Quand d’un cours d’eau jaillit une cascade de questions

Dans un arrêt publié au Bulletin, La Cour de cassation explicite la qualification d’une source en « eau publique et courante ». S’ensuit une interrogation sur la prescription de l’usage gratuit de cette eau de source et sur le principe de non-rétroactivité des actes administratifs concernant la délibération municipale relative au tarif de l’eau.

Le litige porte sur la facturation de la consommation d’eau de la commune demanderesse, adressée par la commune de Saint-Nectaire, sur les eaux des sources de la Monne, émergentes sur son domaine dont le captage a été autorisé en 1954. La commune demanderesse prétend que la source est une eau publique et courante au sens de l’article 643 du code civil, que ses habitants avaient prescrit l’usage gratuit de cette eau selon l’article 642, alinéa 3, du même code, et donc que les titres de recettes émis sont infondés.
 

Usage gratuit ou contrepartie financière ?

Aux termes de l’article 643 du code civil, si, dès la sortie du fonds d’où elles surgissent, les eaux de source forment un cours d’eau offrant le caractère d’eaux publiques et courantes, le propriétaire ne peut les détourner de leur cours naturel au préjudice des usagers inférieurs. Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a souverainement retenu qu’il n’est pas établi que « dès la sortie du fonds d’où jaillissent les eaux des sources de la Monne, se formait un cours d’eau présentant un niveau de débit et un lit lui conférant le caractère d’eaux publiques et courantes ». Conséquemment, en premier lieu, les dispositions de l’article 643 du code civil ne sont pas applicables : ainsi, seul le captage réalisé sur le fonds émergent de la commune de Saint-Nectaire a permis le recueil des eaux en un point précis puis leur distribution. En second lieu, les habitants du fonds inférieur n’ont pu acquérir par prescription l’usage gratuit de l’eau de la source litigieuse. Une contrepartie financière à l’usage partagé de l’eau est ainsi caractérisée.

Violation de la séparation des pouvoirs

Mais par un moyen relevé d’office, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a violé le principe de séparation des pouvoirs. Par délibération du 28 septembre 2017, la commune de Saint-Nectaire a fixé le tarif de l’eau dérivée sur la commune demanderesse applicable à compter de 2014. Pour écarter l’exception d’illégalité de cette délibération, invoquée en raison de sa portée rétroactive pour contester la validité des titres de recettes en litige, la cour d’appel a retenu que cette délibération a validé à l’unanimité des votants le tarif appliqué aux consommations d’eau et que la rétroactivité de la facturation se justifie par la nécessité d’assurer la continuité du service dont la commune demanderesse avait bénéficié. En statuant ainsi, « alors que la question de la légalité de la délibération du 28 septembre 2017, à raison de sa portée rétroactive, soulevait une difficulté sérieuse dont dépendait la solution du litige et impliquait de saisir la juridiction administrative d’une question préjudicielle, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs », estime la Cour de cassation. En effet, conformément au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 du titre II de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, le juge administratif est seul compétent pour statuer sur toute contestation de la légalité de décisions prises par l’administration dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, soulevée à l’occasion d’un litige relevant à titre principal de l’autorité judiciaire (T. confl. 16 juin 1923, Septfonds c/ Compagnie des Chemins de Fer du Midi, n° 0732, Lebon ).

 

Civ. 3e, 26 sept. 2024, FS-B, n° 22-19.915

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