Quand les écrits judiciaires viennent au secours de l’oralité des débats
En l’absence de mention dans le procès-verbal des débats d’un incident qui aurait été soulevé par le conseil de l’accusé au cours de ces derniers, le contenu de la feuille de motivation suffit à garantir le respect d’un procès équitable.
Poursuivi pour viol aggravé en récidive, le requérant a été condamné par la Cour d’assises du Var le 20 octobre 2023 à la peine de vingt ans de réclusion criminelle, quinze ans d’interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et dix ans d’inéligibilité.
Dans cette espèce, après renonciation du ministère public et acquiescement des parties et de l’accusé, il a été passé outre au cours des débats l’audition de l’expert psychiatre qui avait examiné l’accusé. Au terme de leur motivation, la cour et le jury n’ont pas retenu l’altération du discernement de l’accusé au moment des faits. Le requérant s’est pourvu en cassation au regard du fait qu’il n’est pas mentionné dans le procès-verbal des débats les conditions dans lesquelles il aurait été discuté des conclusions de l’expert, absent lors des débats, violant ainsi l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La question qui était posée à la chambre criminelle était de savoir si l’oralité des débats avait été respectée dans cette procédure, faute de mention dans le procès-verbal des conditions dans lesquelles il avait été discuté des conclusions de l’expert.
La Cour de cassation a considéré que la procédure était régulière dans la mesure où il résultait de la feuille de motivation que la cour et le jury avaient apprécié l’absence d’altération du discernement de l’intéressé au vu des débats, rappelant par ailleurs que le procès-verbal des débats, qui ne contenait pas de réclamation ou d’observation, n’avait pas à faire mention des lectures faites à l’audience.
Cet arrêt, conforme à la jurisprudence de la chambre criminelle, est l’occasion de quelques rappels toujours utiles sur la procédure devant la cour d’assises.
Sur le rappel du contenu du procès-verbal des débats
La procédure suivie devant la cour d’assises est singulière à bien des égards et notamment s’agissant du principe de l’oralité des débats. Ce principe fondamental et absolu du fonctionnement de la cour d’assises est déduit des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 347 du code de procédure pénale aux termes duquel le président ordonne, une fois les débats clos, que le dossier de la procédure soit remis entre les mains du greffier. Les pièces écrites du dossier ne constituent que le support des débats à l’audience et ne peuvent plus être consultées au cours du délibéré, la loi prescrivant que le dossier est remis à ce moment-là entre les mains du greffier dès que la cour et le jury quittent la salle d’audience. Ainsi, c’est de l’instruction orale devant la cour, et non du dossier écrit de la procédure, que doit se former la conviction de la juridiction.
Si la procédure est orale, l’audience est, en revanche, elle-même émaillée de formalités et écrits judiciaires permettant d’assurer la liberté et la loyauté du débat et de garantir un procès équitable. Le seul moyen de s’assurer de l’accomplissement de ces formalités est en effet d’exiger qu’elles soient constatées dans un acte authentique, faute de quoi la censure de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, s’exercera. Telle est la raison d’être du procès-verbal des débats qui doit contenir « le narré clair, fidèle et complet des formalités qui ont été observées » (Crim. 6 sept. 1816, Bull. crim. n° 61). Il est, selon Faustin Hélie, « la sanction de toutes les formes de la procédure orale et la garantie qu’elles ont été appliquées dans le débat » (Faustin Hélie, Pratique criminelle des cours et tribunaux, 5e éd., Litec, 1951, t. II, n° 317). Le procès-verbal des débats constitue ainsi une pièce essentielle de la procédure, servant à prouver les faits survenus au cours de ceux-ci et à vérifier l’accomplissement des formalités substantielles (Crim. 16 juin 1814, S. 1814. 1. 257 ; 9 avr. 1891, D. 1892. 1. 170 ; 8 févr. 1977, n° 76-92.858). Il résulte des dispositions de l’article 378 du code de procédure pénale qu’il doit être dressé par le greffier, à l’effet de constater l’accomplissement des formalités prescrites, et doit être signé par lui-même et le président dans le délai de trois jours après le prononcé de l’arrêt. Il est donc essentiel qu’il soit dressé avec le plus grand soin.
S’agissant de son contenu, il énonce obligatoirement la composition de la cour, la présence du ministère public et des parties et de leurs défenseurs, et l’accomplissement de toutes les formalités substantielles de la procédure criminelle à partir de l’ouverture de l’audience, les incidents et donnés-acte, jusqu’à l’avertissement donné à l’accusé condamné. Ainsi, tous éventuels incidents élevés et donnés-acte accordés au cours des débats et leur objet doivent y figurer (Crim. 17 mars 1999, n° 98-81.124, D. 1999. 130
; Dr. pénal 1999. Comm. 121, obs. Maron).
Dans son arrêt du 9 octobre 2024, la chambre criminelle a rappelé qu’aucune disposition légale n’impose que le procès-verbal des débats contienne les lectures faites à l’audience et ainsi, dans la présente espèce, les éléments relatifs à la lecture du rapport de l’expert dont il a été passé outre l’audition. L’absence de la mention d’une telle lecture dans ce procès-verbal n’entraîne ainsi aucune irrégularité. Il ne s’agit pas là d’une disposition substantielle.
Ne pouvant s’assurer, au seul visa du contenu du procès-verbal des débats, de la régularité de la procédure, la chambre criminelle a apprécié et donné du sens aux éléments qui n’y figuraient pas. Elle a en effet relevé que le procès-verbal des débats ne contenait aucune réclamation ou observation relativement à l’expertise dont il s’agit, révélant ainsi que l’absence de lecture du rapport d’expertise n’avait posé aucune difficulté au regard des exigences d’un procès équitable.
En effet, le procès-verbal des débats doit mentionner les incidents qui se sont élevés au cours des débats et ainsi tous les faits d’audience qui touchent aux droits des parties. Le seul moyen légal d’établir l’existence d’un fait ayant eu lieu pendant l’audience étant sa constatation, en la forme authentique, au procès-verbal des débats, il appartient, lors de ceux-ci, à la partie qui souhaite qu’il en soit fait mention, d’en demander acte (Crim. 29 mars 1962, Bull. crim. n° 154 ; 11 juill. 1963, Bull. crim. n° 257 ; 22 avr. 1977, Bull. crim. n° 130, D. 1978. 28, obs. Chapar). C’est pour elle l’unique moyen de sauvegarder la possibilité de se prévaloir, lors d’un éventuel pourvoi en cassation, du fait ou de l’incident qu’elle estime contraire à ses droits. Ainsi, si un avocat de la défense entend porter une réclamation ou formuler une observation au cours de l’audience, il a la possibilité de demander au président de lui « donner acte » de n’importe quel fait, déclaration ou omission survenus à l’audience. Si ce dernier accède à la demande, le greffier prend acte de l’incident en question et l’inscrit au procès-verbal de l’audience. En revanche, si le président s’y oppose, il appartiendra à l’avocat de déposer des conclusions d’incident pour obtenir un « donné acte » et la cour d’assises se prononcera sur les faits dont il est demandé acte.
La cour confirme par là sa jurisprudence selon laquelle à défaut d’une mention d’un incident dans le procès-verbal, c’est vainement qu’il peut en être fait état, au soutien d’un pourvoi, devant la Cour de cassation où le moyen est écarté comme reposant sur une simple allégation (Crim. 5 sept. 1907, Bull. crim. n° 393 ; 11 déc. 1908, Bull. crim. n° 496 ; 25 août 1915, Bull. crim. n° 180 ; 29 mars 1962, Bull. crim. n° 154 ; 11 juill. 1963, Bull. crim. n° 257 ; 22 juin 1988, Bull. crim. n° 85).
La chambre criminelle s’est enfin également fondée sur un autre écrit judiciaire propre à la procédure devant la cour d’assises pour s’assurer du respect de la procédure.
Sur la feuille de motivation
La délibération de la cour d’assises est la discussion qui s’instaure entre ses membres en vue de la décision, qui sera prise au moyen de votes successifs, sur la culpabilité de l’accusé et, si celle-ci est reconnue, sur l’application de la peine. L’ensemble de ces décisions, qui constitue la déclaration de la cour et du jury, est consigné dans un document auquel l’article 364 du code de procédure pénale donne le nom de feuille de questions. L’article 365-1 du code de procédure pénale dispose quant à lui que la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises et qui ont été exposés au cours des délibérations. La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l’article 364 du code de procédure pénale.
Dans la présente espèce, la chambre criminelle considère qu’il résulte de la feuille de motivation que la cour et le jury se sont prononcés sur l’absence d’altération du discernement de l’accusé au moment des faits au regard des débats. En effet, ils ont considéré que si l’expert avait conclu que le discernement de l’accusé pouvait dans une certaine mesure être altéré, l’infraction n’était pas directement en lien avec les éléments pathologiques décrits et les circonstances de celle-ci allaient dans le sens d’un but utilitaire et opportuniste de l’accusé au moment des faits. Ces éléments ont permis à la cour et au jury de ne pas retenir l’altération du discernement. Ainsi, pour la chambre criminelle, le principe de l’oralité a été respecté, la cour et le jury s’étant prononcés au vu des débats. Une nouvelle fois, l’écrit judiciaire que constitue la feuille de motivation est venu au secours de l’oralité.
Crim. 9 oct. 2024, F-D, n° 23-86.278
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