Quand les règles prudentielles se heurtent à la confidentialité d’une procédure de conciliation

L’ouverture d’une procédure de conciliation, qui n’est pas l’un des signes d’absence probable de paiement par le débiteur visés à l’article 178 du règlement (UE) n° 575/2013 du 26 juin 2013, était une information confidentielle qui ne pouvait être utilisée pour justifier une déclaration de défaut, peu important que cette information lui avait été révélée par le bénéficiaire de cette procédure, de sorte qu’en procédant à une telle déclaration de défaut, il avait été causé un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser.

« En toute chose il faut considérer la fin » (La Fontaine, Le renard et le bouc), dans son acception de finalité.

Le recours aux procédures préventives a pour finalité la recherche d’un accord dans le dessein d’assurer la pérennité de l’entreprise. Elles sont animées, pour ce faire, d’une philosophie qui « repose sur un subtil mélange de confidentialité et de transparence sélective. Les deux notions – antinomiques au premier abord – s’avèrent être d’une complémentarité décisive. Répondant à cette volonté, la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises a créé l’article L. 611-15 du code de commerce. Les travaux préparatoires et débats parlementaires relatifs à ce texte ont été innervés par la notion-clé de confidentialité » (S. Doray, BJE janv. 2016, n° 112z7).

L’obligation de confidentialité emporte interdiction de divulguer des informations relatives à la procédure préventive, qu’il s’agisse de son ouverture même et de son contenu, et tant par la personne soumise à un devoir de confidentialité que par un tiers. En conséquence, des journalistes (Com. 15 déc. 2015, n° 14-11.500, Dalloz actualité, 17 déc. 2015, obs. A. Lienhard ; D. 2016. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2016. 193, obs. P. Roussel Galle ; Légipresse 2016. 12 et les obs. ; RTD com. 2016. 191, obs. F. Macorig-Venier ), et en notre espèce les établissements de crédit, ne peuvent divulguer ces informations.

Cet arrêt s’inscrit donc dans la continuité de cette construction prétorienne consistant à définir les contours légalement imprécis du périmètre de la confidentialité, avec une approche toujours plus extensive.

En vertu des dispositions de l’article L. 611-15 du code de commerce « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ».

Cette construction jurisprudentielle a débuté en 2015 par une confrontation de la notion de confidentialité et de celle de liberté d’expression. L’obligation de confidentialité emporte interdiction de divulguer des informations relatives à la procédure de mandat ad hoc – la solution vaut également pour la conciliation – tant par la personne soumise à un devoir de confidentialité que par un tiers auquel on ferait interdiction de divulguer des informations relatives à ce mandat, et notamment des journalistes. Cette interdiction ne porte pas atteinte à la liberté d’expression, car des restrictions légales peuvent être apportées à cette liberté, dans la mesure de ce qui est nécessaire dans une société démocratique pour protéger les droits d’autrui et empêcher la divulgation d’informations confidentielles. Le caractère confidentiel des mesures de prévention des difficultés des entreprises fait obstacle à leur diffusion par voie de presse, à moins qu’elle ne contribue à la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général. La diffusion de telles informations, dès lors qu’elle ne contribue pas à l’information du public sur une question d’intérêt général, constitue à elle seule un trouble manifestement illicite, pouvant comme tel être apprécié par le juge des référés. Il sera sans doute très rare que l’on constate cette nécessité d’information du public sur une question d’intérêt général.

Mais quid lorsque la confidentialité s’oppose aux règles prudentielles édictées par l’article 178 du règlement (UE) n° 575/2013 du 26 juin 2013 qui font obligation aux établissements de crédit de procéder au signalement d’une société en défaut auprès de la banque de France. N’apparaît-il pas essentiel pour concourir à l’objectif de stabilité du système financier, poursuivi par les règles prudentielles, que les établissements de crédit signalent les difficultés du débiteur aux autorités de supervision ?

Cet arrêt répond à cette question inédite par la négative. Il nous faut ainsi conserver à l’esprit l’idée que, dans la mise en balance des droits antagonistes, la balance penchera, par principe, pour la confidentialité.

En l’espèce, une société A. a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire.

Par un jugement du 7 juillet 2017, le tribunal a arrêté un plan de cession des actifs de cette société portant notamment sur un parc de plus 6 500 véhicules faisant l’objet de contrats de crédit-bail.

Suivant un protocole d’accord signé le 4 juillet 2017, préparatoire au plan, les crédits-bailleurs, comptant parmi eux trois filiales de la Banque S., ont cédé les véhicules au cessionnaire, la société D., moyennant un prix payable sur trente-six mois.

Le 11 décembre 2019, la société D. a obtenu l’ouverture d’une procédure de conciliation à laquelle elle a appelé l’ensemble des crédits-bailleurs.

Le 25 mai 2020, la Banque S. a déclaré la société D. en défaut à la Banque de France. Subséquemment, celle-ci a dégradé le niveau de cotation de la société D. de 5+ à 6 dans le fichier bancaire des entreprises (FIBEN), jugeant que la capacité de cette entreprise à honorer ses engagements sur trois ans était passée de faible à très faible.

Soutenant que cette déclaration de défaut constituait un trouble manifestement illicite dès lors que la Banque S. ne pouvait lui reprocher aucun arriéré ou incident de paiement, et invoquant le caractère confidentiel de l’ouverture de la procédure de conciliation, la société D. l’a assignée en référé pour obtenir, sur le fondement de l’article 873 du code de procédure civile, la main levée de l’inscription de défaut et la réparation de son préjudice. La Banque S. lui a opposé, qu’usant de la marge d’appréciation que lui confère le point 58 du guide d’orientation de l’Autorité bancaire européenne, elle analyse l’ouverture d’une procédure de conciliation comme un signe d’une probable absence de paiement, constitutif d’un défaut au sens de l’article 178 du règlement (UE) n° 575/2013 du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du 4 juillet 2012.

Les sages du quai de l’Horloge affirment que l’ouverture d’une procédure de conciliation, qui n’est pas l’un des signes d’absence probable de paiement par le débiteur visés à l’article 178 du règlement, était une information confidentielle qui ne pouvait être utilisée pour justifier une déclaration de défaut, peu important que cette information lui avait été révélée par le bénéficiaire de cette procédure, de sorte qu’en procédant à une telle déclaration de défaut, il avait été causé un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser.

La chambre commerciale affirme, non sans une certaine autorité, s’inscrire encore et toujours dans la continuité de cette construction jurisprudentielle à sens unique et ultra protectrice de la confidentialité, en ce qu’elle promeut et garantit le recours aux procédures préventives. Ainsi l’analyse livrée par la Haute juridiction permet-elle de conserver le caractère confidentiel de ces procédures qui en constitue l’un des attraits majeurs pour les débiteurs. D’aucuns considèreront qu’il est bienvenu que la Cour de cassation prête son concours à renforcer une procédure dont l’efficacité est quelque peu émoussée. Mais, la méthode consistant à retenir l’absoluité du principe de confidentialité et par conséquent à écarter d’un revers de main les exigences prudentielles dont les enjeux sont cruciaux et autrement protecteurs peut laisser perplexe. Les règles prudentielles, à l’instar de la liberté d’expression, plient donc devant la confidentialité, et en outre obligent l’établissement de crédit et le journaliste à réparer le préjudice. En effet, l’effectivité de cette protection ne serait pas assurée si ce texte ne conduisait pas à ériger en faute la divulgation. Cependant, cette réparation sur le terrain de la responsabilité civile devant être à la mesure du préjudice subi, ne saurait être disproportionnée. Les juges du fond ne pourront sanctionner aussi lourdement la diffusion de l’ouverture de la procédure même, que celle de son existence ou encore de son contenu. S’il est impérieux de faire cesser fermement le trouble manifestement illicite, il en est autrement de la réparation qui dépendra du principe de proportionnalité.

Il n’est pas inepte de s’interroger jusqu’où l’absoluité de la confidentialité restera légitime, dès lors que même l’enjeu des règles prudentielles consistant à assurer la stabilité du système financier, rompt.

L’absoluité d’un principe ne vaut, si c’est au détriment du bon sens, de la protection, voire de la morale, sauf à se défaire d’une certaine éthique de la responsabilité. La meilleure intention, qu’est d’observer et de faire observer la confidentialité, et le secret ou la discrétion qu’elle sous-tend, ne pourrait que paver l’Enfer, sans la prudence requise, vertu intellectuelle. Seule la prudence permet d’atteindre la fin que toute intention vise.

 

Com. 3 juill. 2024, F-B, n° 22-24.068

Lefebvre Dalloz