Quand l’homologation d’une CRPC permet au parquet un pourvoi pour excès de pouvoir
Un pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’homologation des peines proposées sur requête du procureur de la République, dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, n’est possible que si son examen fait apparaître un risque d’excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation.
Commet un tel excès de pouvoir le juge délégué qui homologue une proposition de peines en répression de faits expressément exclus, en application de l’article 495-7 du code de procédure pénale, du champ d’application d’une telle procédure.
Poursuivi sous la qualification de violences par conjoint et en état d’ivresse ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, M. FD faisait l’objet d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) qui, après homologation de la peine proposée par le procureur de la République et acceptée par lui, le condamnait notamment à la peine de neuf mois d’emprisonnement avec sursis probatoire.
Le procureur de la République forma ensuite un pourvoi contre cette ordonnance homologuant la peine qu’il avait lui-même proposée.
Sauf erreur le parquet ne se trompe jamais….
L’article 495-7 du code de procédure pénale exclut du champ de la CRPC notamment les délits d’atteintes volontaires à l’intégrité des personnes lorsqu’ils sont punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à cinq ans. Or, dans notre espèce, compte tenu des circonstances aggravantes retenues dans la poursuite, le prévenu de faits de violences volontaires aggravées encourait une peine de sept ans d’emprisonnement. La poursuite sous cette qualification était donc insusceptible de faire l’objet d’une procédure de CRPC.
On rappellera que l’ordonnance d’homologation de la peine proposée par le procureur de la République dans le cadre d’une CRPC a les effets d’un jugement de condamnation et est immédiatement exécutoire. L’article 495-11 du code de procédure pénale dispose qu’elle ne peut faire l’objet d’un appel que de la part du prévenu alors que le ministère public ne dispose que d’un appel incident.
L’absence de possibilité d’appel du parquet se fonde sur l’idée que l’homologation de la peine qu’il a proposée lui ôte tout intérêt à agir et ne peut lui causer aucun grief.
On aurait pu objecter que le prévenu ayant lui-même, après conseil de son avocat, accepté la peine, n’est pas dans une situation très différente et que, par ailleurs, le fait qu’un tribunal correctionnel suive intégralement les réquisitions du parquet ne prive pas ce dernier de son droit d’appel (Crim. 24 janv. 2007, n° 06-82.052 P, Dalloz actualité, 5 mars 2007, obs. A. Darsonville ; AJ pénal 2007. 144
). Si au quotidien on imagine mal les parquets, compte tenu de leur charge de travail, initier des appels sur des décisions homologuant leurs propositions de peine, cette limitation peut engendrer des difficultés lorsque, comme en l’espèce, c’est à tort qu’a été proposée puis homologuée une CRPC, mais que la personne condamnée ne forme aucun appel.
… Mais il n’hésite pas à se dédire pour veiller au respect de l’application de la loi…
Dans des hypothèses similaires, afin de ne pas laisser subsister une décision contenant un vice d’une particulière gravité, la jurisprudence a admis, de façon prétorienne, le recours pour excès de pouvoir. Il est retenu qu’en l’absence de recours prévus par les textes, voire lorsqu’un recours est expressément exclu, le pourvoi en cassation est recevable en cas d’excès de pouvoir. Cela concerne aussi bien les matières civiles (Cass., ch. mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153 P, D. 2005. 386, obs. V. Avena-Robardet
; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero
; AJDI 2005. 414
) que pénales (Crim. 9 juin 1987, n° 87-83.119 P ; 29 oct. 1996, n° 96-80.440 P, D. 1997. 182
, note B. Bouloc
; 1er oct. 2013, n° 13-81.813 P, Dalloz actualité, 27 oct. 2013, obs. D. Le Drevo ; AJ pénal 2014. 92, obs. J. Lasserre Capdeville
; 18 juin 2014, n° 14-81.422 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2014, obs. S. Fucini ; D. 2014. 1381
).
Dépourvu de toute voie de recours, le parquet s’est donc tourné vers cette possibilité. La chambre criminelle, par trois arrêts remarqués, avait semblé admettre, en théorie, la recevabilité d’un pourvoi sur le fondement de l’excès de pouvoir. Cependant, dans chaque espèce, cela concernait des ordonnances de refus d’homologation. Par ailleurs, la cour n’avait finalement pas retenu d’excès de pouvoir dans les espèces concernées (Crim. 1er sept. 2020, n° 19-83.658 ; 30 mars 2021, n° 20-86.358, AJ pénal 2021. 317, obs. C. Ingrain
; RSC 2021. 659, obs. R. Parizot
; 17 mai 2022, n° 21-86.131, Dalloz actualité, 8 juin 2022, obs. M. Slimani ; D. 2022. 995
; AJ pénal 2022. 438, obs. G. Roussel
; RSC 2022. 642, obs. P.-J. Delage
).
Il peut paraître singulier que le procureur de la République formule un grief d’excès de pouvoir à l’encontre du juge qui a homologué sa propre proposition de peine.
C’est oublier qu’il lui appartient de veiller « au respect de l’application de la loi et à l’exécution des décisions justice » (Crim. 24 mars 2015, n° 14-84.154 P, Dalloz actualité, 10 avr. 2015, obs. J. Gallois ; RDI 2015. 487, obs. G. Roujou de Boubée
; AJ pénal 2015. 372, obs. D. Cholet
). Quand bien même il est à l’origine de l’irrégularité, qui n’a par ailleurs été relevée ni par le prévenu ou son avocat ni par le juge, c’est de l’essence même de sa fonction de la corriger. On ne peut donc lui opposer un quelconque défaut d’intérêt à agir ou manque de grief.
…Ouvrant la voie au pourvoi pour excès de pouvoir dans le cadre de la CRPC
Le Cour accueille donc la possibilité d’un pourvoi en reproduisant sa formule traditionnelle : « Aucun texte n’envisageant la possibilité d’un recours du procureur de la République contre l’ordonnance d’homologation des peines proposées sur sa requête dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, un pourvoi en cassation contre une telle décision n’est possible que si son examen fait apparaître un risque d’excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation ».
La Cour de cassation n’a jamais défini précisément ce qu’était la notion d’excès de pouvoir, constatant selon les arrêts que le juge a excédé ou outrepassé ses pouvoirs, qu’il a méconnu les limites de son pouvoir, ou encore entrepris sur les pouvoirs d’une autre autorité. Dans leur ouvrage, La cassation en matière pénale (Dalloz Action, n° 92.09), MM. Jacques et Louis Boré soulignent :
« Dans un sens étroit, qui est le plus usuel, l’excès de pouvoir est la transgression par le juge, compétent pour connaître du litige, d’une règle d’ordre public par laquelle la loi a circonscrit son autorité. L’excès de pouvoir peut être positif ou négatif. Il est positif lorsque le juge dépasse le cercle de ses attributions, négatif lorsque celui-ci refuse de se reconnaître un pouvoir que la loi lui confère. Ainsi constitue un excès de pouvoir négatif le fait pour le juge répressif d’omettre de vérifier la légalité d’un règlement administratif sanctionné pénalement, dans le cadre de l’exception d’illégalité ou le fait de refuser de statuer pénalement, par une application trop extensive du principe de la séparation des pouvoirs, sur le délit commis par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions. L’omission de statuer et le déni de justice constituent également des formes d’excès de pouvoir négatif […]. L’excès de pouvoir se rencontre principalement dans deux séries de cas : 1° lorsque le juge empiète sur les pouvoirs d’une autre autorité ; 2° lorsqu’il transgresse les limites du litige ».
Dans une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel a expressément énoncé que le juge doit exercer lors de l’audience d’homologation tous les pouvoirs qui incombent au juge du fond (Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, JO 10 mars, p. 4637 ; D. 2004. 2756
, obs. B. de Lamy
; ibid. 956, chron. M. Dobkine
; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl
; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino
; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges
; ibid. 2005. 122, étude V. Bück
; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri
). Il appartient donc au juge de vérifier la régularité de la procédure. Dès lors, excédant son pouvoir juridictionnel en statuant hors du champ d’application de la procédure de CRPC en ce qui concerne une infraction dont la loi lui ôtait expressément la compétence, le juge a évidemment excédé ses pouvoirs.
C’est donc la première fois que la Haute juridiction prononce la cassation d’une ordonnance de CRPC fondée sur un excès de pouvoir et il est singulier de noter que cela concerne une ordonnance d’homologation.
Crim. 30 janv. 2024, F-B, n° 23-84.773
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