Quand peut-on parler d’assurance maritime ?

Constitue un risque maritime tout risque qui peut se produire au cours de la navigation maritime, quelle qu’en soit la cause.

L’intérêt immédiat de l’arrêt rapporté est relativement secondaire. L’article R. 112-1 du code des assurances impose de rappeler dans les polices les règles sur la prescription biennale. Dans le prolongement, la Cour de cassation ajoute que parmi ces règles figurent les causes d’interruption dont on sait qu’elles ne sont pas exactement les mêmes selon les polices, puisque l’on admet, dans le monde terrestre, que ces causes trouvent leur expression dans une action en justice, mais également dans une lettre recommandée avec accusé de réception. La Cour de cassation ajoute que la sanction de ce rappel – l’inopposabilité de la prescription à l’assuré – doit également être reproduite.

L’arrêt est plus intéressant en ce qu’il souligne, ce que fait la loi elle-même, que ces exigences sont propres au droit des assurances terrestres et ne concernent pas les assurances maritimes. Du reste, de nombreux intérêts s’attachent à la qualification des assurances, selon qu’elles sont terrestres ou maritimes. On se souviendra, notamment, que les textes maritimes sont, pour la plupart, supplétifs (C. assur., art. L. 171-2), contrairement aux textes terrestres, que la faute inassurable n’est pas conçue de la même façon et que les sanctions des déclarations inexactes de risques ne sont pas les mêmes.

Ce qui mérite encore plus d’attention est dans l’attendu de motivation et exprimé sous la forme d’un principe, l’arrêt nous disant que constitue un risque maritime « tout risque qui peut se produire au cours de la navigation maritime, quelle qu’en soit la cause ». À notre connaissance, c’est la première fois, depuis la réforme des assurances maritimes et plus largement des assurances transport, opérée par l’ordonnance n° 2011-839 du 15 juillet 2011, que la Cour de cassation se prononce sur cette qualification.

Avant la réforme, l’assurance maritime garantissait les risques relatifs à une « opération maritime » : aussi était-ce moins la nature intrinsèque du risque que celle de l’opération dans laquelle il s’inscrivait qui comptait. Par opération, il fallait comprendre toute activité ayant trait à l’exploitation du navire, ce qui visait, entre autres opérations, le transport et l’affrètement par mer, mais aussi la construction et la réparation navales. Désormais, les textes ne parlent plus d’ « opération maritime » : la référence est supprimée, l’article L. 171-1, 1°, indiquant que le contrat d’assurance maritime « a pour objet de garantir les risques maritimes. »

Cette nouvelle rédaction soulève un certain nombre de questions. Le risque d’avarie corps dans une cale sèche n’est pas un risque de transport, mais un risque maritime. De même en est-il de l’incendie dans un hangar ou du vol sur un terminal. Faut-il alors rechercher si le risque en cause est l’accessoire d’un risque maritime (P.-Y. Nicolas, De la fortune de mer au risque maritime, DMF 2011, n° 729) ? Compte tenu de ces difficultés, la solution la plus raisonnable serait, comme nous l’avons suggéré (P. Delebecque, Droit maritime, 20e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 1133 ; v. égal., P.-Y. Nicolas, DMF 2023, n° 863, 1044), de continuer à comprendre le risque maritime comme étant le risque relatif à une opération maritime.

Ce n’est cependant pas ce que nous dit ici la Cour de cassation en faisant observer que constitue un risque maritime « tout risque qui peut se produire au cours de la navigation maritime, quelle qu’en soit la cause. » La formule conduit à écarter le droit des assurances maritimes dès lors que les risques couverts sont étrangers à la navigation. Tel était bien le cas en l’espèce, puisque le sinistre était survenu alors que le navire était en réparation ou plus exactement faisait l’objet d’une rénovation dans un chantier. Plus précisément encore, la Cour de cassation a censuré – pour défaut de base légale – l’arrêt d’appel qui avait conclu à la nature maritime de l’assurance en se fondant sur l’intention des parties : la cour d’appel, est-il observé, aurait dû caractériser les circonstances permettant de qualifier de risques maritimes (exclus de l’application des dispositions d’ordre public de l’art. R. 112-1 c. assur.), les opérations couvertes par la police.

La solution peut-elle se comprendre au regard des faits particuliers de l’espèce ?

Peut-être, car on comprend que le navire était une péniche restaurant et que son exploitant avait souscrit une police corps, risques divers et responsabilité civile, avant d’en étendre, ultérieurement et par avenant, la couverture aux opérations nécessaires à la transformation et à l’aménagement du bâtiment pour une année supplémentaire. Mais, à la réflexion, qu’il s’agisse de navire (ce qui est sans doute discutable ici, car une péniche restaurant n’est pas un engin affecté à une navigation maritime ; C. transp., art. L. 5000-2, I, 1°) et n’est pas pour reprendre la qualification jurisprudentielle un engin capable d’affronter les périls de la mer) ou de bateau, cela ne changeait rien à l’affaire, dans la mesure où les polices fluviales (donc relatives aux bateaux) relèvent, en principe, des dispositions sur les assurances maritimes (C. assur., art. L. 171-1, 4°).

La définition que nous donne la Cour de cassation des assurances maritimes (ou non terrestres) est en tout cas stricte, voire restrictive et renoue avec les dispositions de l’ancien article 334 du code de commerce qui limitait le domaine de l’assurance maritime aux risques de la navigation (« L’assurance peut avoir pour objet : le corps et quille du vaisseau, vide ou chargé, armé ou non armé, seul ou accompagné, es agrès et apparaux, les armements, les victuailles, les sommes prêtées à la grosse, les marchandises du chargement, et toutes autres choses ou valeurs estimables à prix d’argent, sujettes aux risques de la navigation. »). Elle est sans doute en lien avec la définition même du navire, mais elle ajoute quelque peu au texte de l’article L. 171-1 qui ne parle pas de navigation et se contente du qualificatif maritime. 

Ainsi si le navire est en réparation, il ne navigue pas. Le droit terrestre lui serait-il applicable ? Faudrait-il distinguer selon que la réparation est faite en cale sèche ou dans un dock flottant ? Quid aussi des opérations de stockage portuaire ? Ces opérations sont généralement couvertes par des assurances facultés. Est-ce désormais irrégulier au motif que les marchandises ne sont pas encore transportées ou plus transportées ? Il est permis d’en douter, mais la question se pose.

Le critère tiré de la navigation pour définir ce qu’il faut entendre par assurances maritimes avait du sens lorsque les expéditions maritimes se faisaient de port à port. Ce qui n’est plus le cas depuis déjà longtemps, d’autant que les marchandises sont assurées sans interruption, en quelque endroit qu’elles se trouvent, « dans les limites (toutefois) du voyage défini par la police » (C. assur., art. L. 173-18 ; rappr. Civ. 12 nov. 1947, JCP 1948. II. 4475, note Veaux, sauf convention contraire, les risques terrestres garantis par une police d’assurance maritime en considération du voyage de mer sont soumis aux règles de l’assurance maritime). La même observation s’impose pour les polices corps, car la navigation n’est qu’un temps dans l’exploitation du navire. On ne peut pas ne pas tenir compte de ce qui lui précède et de ce qui lui succède, ce qui est aussi le cas dans la manutention maritime (v. art. L. 5422-19 qui définit cette manutention comme couvrant les opérations de mise à bord et de déchargement des marchandises, y compris les opérations de mise et de reprise sous hangar et sur terreplein, « qui en sont le préalable ou la suite nécessaire » ).

Une dernière remarque s’impose puisque si l’arrêt rapporté parle de risque de navigation, il ne manque pas d’ajouter « quelle qu’en soit la cause ». On restreint d’un côté le champ d’application des assurances maritimes en le limitant aux risques liés à la navigation, mais on l’élargit de l’autre, car on ne s’attache pas à l’origine du risque. On sait cependant que l’on admet aujourd’hui que cette origine tient à la fortune de mer, mais aussi aux fautes de l’assuré et de ses préposés, sous réserve que ces fautes ne soient pas intentionnelles ni inexcusables (du moins pour l’assuré lui-même). Autrement dit, cette ouverture n’est qu’un rappel et l’important, une fois encore, tient au critère de la navigation. Est-ce à dire que l’on ne doit plus parler d’opération maritime et plus précisément de risque relatif à une opération maritime pour circonscrire le périmètre des assurances maritimes ? Attendons d’autres arrêts plus déterminants pour l’affirmer.

 

© Lefebvre Dalloz