Quand un appel limité du ministère public en cour d’assises lui entrouvre la porte du procès équitable

Pour assurer le caractère équitable de la procédure devant la cour d’assises, il est nécessaire d’unifier les voies de recours. En conséquence, l’appel principal du procureur général, fût-il irrégulièrement limité, doit être considéré comme portant sur l’ensemble des dispositions de l’arrêt pénal concernant la personne visée par cette condamnation.

Voici un arrêt singulier qui mérite attention. C’est en effet à l’occasion d’une simple requête en désignation de cour d’assises d’appel qu’il fait évoluer une jurisprudence bien établie concernant la recevabilité d’un appel partiel du procureur général. Le vecteur inhabituel utilisé par la chambre criminelle pour édicter une nouvelle règle juridique donne d’autant plus de poids à sa décision.

À la suite d’une condamnation par la cour d’assises, après acquittement partiel, des membres d’un groupe criminel, trois des accusés interjetaient appel. Le ministère public formait un appel incident, le procureur général ayant, en outre, interjeté un appel principal limité à un acquittement concernant un quatrième auteur.

La chambre criminelle était saisie afin de désigner la cour d’assises d’appel, procédure commune ne donnant traditionnellement pas lieu à publication ou commentaire.

La jurisprudence traditionnelle du « tout ou rien » concernant l’appel du ministère public en cour d’assises

En matière correctionnelle, les articles 500, 505 et 509 du code de procédure pénale conduisent à ce que l’affaire soit dévolue à la cour d’appel qui va infirmer ou confirmer le jugement dans la limite fixée par l’acte d’appel. Il en va différemment en matière criminelle. Les dispositions combinées des articles 380-1, 380-2-1 et 380-14 de ce même code imposent que la cour d’assises statuant en appel procède au réexamen de l’affaire « comme en cas de renvoi après cassation ». L’appel met donc à néant la décision attaquée.

Cela a conduit la chambre criminelle à développer une jurisprudence bien établie selon laquelle l’appel d’une décision de cour d’assises ne pouvait être cantonné à une partie de la décision (Crim. 17 oct. 2012, n° 11-87.476, Dalloz actualité, 5 nov. 2012, obs. M. Léna ; D. 2012. 2522 ; AJ pénal 2013. 166, obs. J. Pronier ; Procédures 2012, n° 367, obs. A.-S. Chavent-Leclère).

Si la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 est venue rompre le principe de l’indivisibilité des décisions sur la culpabilité et sur la peine en permettant de cantonner un appel à la peine, la doctrine considère que les solutions antérieures, déclarant irrecevable un appel cantonné à certaines peines ou à certaines de leurs modalités, demeurent valables. L’effet dévolutif de l’appel impose d’appréhender comme un tout indissociable l’ensemble des infractions pour lesquelles il y a une déclaration de culpabilité. Il en est de même pour l’ensemble des peines.

Pendant longtemps, la chambre criminelle en a déduit qu’un appel cantonné était irrecevable. Ainsi, de nombreuses décisions rappelaient que le ministère public ne pouvait limiter son appel à une partie de la décision rendue par une cour d’assises (Crim. 23 sept. 2015, n° 15-84.897, RSC 2015. 904, obs. F. Cordier ; 27 janv. 2016, n° 15-87.393 P). N’était donc pas recevable un appel limité aux seuls acquittements si l’accusé était par ailleurs condamné pour d’autres faits (Crim. 17 oct. 2012, n° 11-87.476, préc. ; 24 juin 2009, n° 08-88.262, Dalloz actualité, 7 sept. 2009, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2009. 413, obs. G. Roussel ; Procédures 2009, n° 333, obs. J. Buisson). Il en était de même de l’appel incident du procureur général formé contre l’arrêt de condamnation comportant également un acquittement partiel (Crim. 14 déc. 2016, n° 16-87.086 P), en application du principe selon lequel l’appel incident formé par le procureur général ne saisit pas la cour d’assises des infractions dont l’intéressé a été acquitté en première instance (Crim. 4 mars 2015, n° 14-81.685, Dalloz actualité, 20 mars 2015, obs. J. Gallois ; D. 2015. 1395, chron. G. Barbier, B. Laurent et G. Guého ; AJ pénal 2015. 434, obs. P. de Combles de Nayves ).

La chambre criminelle filtrait donc de façon particulièrement stricte et rigoureuse, au stade de l’examen de recevabilité, tout appel contenant une restriction, fût-elle implicite, telle qu’un appel portant sur « les condamnations prononcées » alors que la décision comprenait également un acquittement (Crim. 10 févr. 2016, n° 16-80.598 P).

Une évolution au bénéfice de l’accusé en octobre 2023 : quand un appel limité se mue en appel total

Cette jurisprudence aurait dû impliquer que l’appel d’un condamné, limité à un seul des chefs de la déclaration de culpabilité, soit déclaré irrecevable.

Or, c’est la solution contraire qui a été retenue il y a un an par la Haute juridiction (Crim. 18 oct. 2023, nos 23-80.202 et 23-80.206, Dalloz actualité, 8 nov. 2023, obs. M. Slimani ; AJ pénal 2024. 44 ). Par cet arrêt, la chambre criminelle abandonnait, au visa de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article préliminaire du code de procédure pénale, sa jurisprudence en ce qui concernait l’appel formé par l’accusé. Considérant que la position traditionnelle n’était pas compatible avec le droit d’accès à un tribunal et le droit au recours garanti par ces deux textes, la chambre criminelle décidait que la limitation de l’appel de l’accusé à certains chefs de culpabilité ne saurait entraîner l’irrecevabilité de son appel.

Elle ne remettait cependant pas en cause le principe selon lequel la cour d’assises d’appel devait juger la situation d’un accusé dans son entier. En effet, la Cour précisait que si l’accusé limite son appel à l’un des chefs d’accusation retenus par la cour d’assises, cet appel, qui tend aussi à contester la peine prononcée, saisit la cour de l’ensemble des chefs dont il a été déclaré coupable. D’un appel limité, la cour d’assises d’appel se trouve donc automatiquement saisie de l’ensemble des chefs retenus au titre de la culpabilité.

Compte tenu de ce revirement, un même appel cantonné avait vocation à être traité différemment selon qu’il soit interjeté par l’accusé ou le ministère public. Mettant à profit le renvoi en formation ordinaire de la demande de désignation d’une nouvelle cour d’assises, l’avocat général P. Bougy, favorable à une extension de cette jurisprudence, invitait les juges à s’interroger « sur l’opportunité de faire évoluer (cette) jurisprudence ancienne sur l’irrecevabilité de l’appel formé par le procureur général contre une décision de cour d’assises lorsque cet appel est cantonné ».

Le caractère équitable de la procédure au soutien d’un alignement du droit d’appel du ministère public

Il n’était pas évident que la chambre criminelle fasse évoluer sa jurisprudence. En effet, l’arrêt du 18 octobre 2023 vise deux fondements textuels peu applicables au bénéfice du ministère public. La Convention européenne des droits de l’homme ne garantit que les droits des personnes, qu’elles soient physiques ou morales, ce qu’à l’évidence ne peut être le ministère public. Par ailleurs, c’est au nom du droit d’accès à un tribunal et du droit au recours qu’est intervenue cette évolution. Or, l’article préliminaire du code de procédure pénale ne consacre ce droit que pour « toute personne condamnée », ce qui ne concerne assurément pas plus le ministère public.

Néanmoins, pour soutenir cette évolution, l’avocat général s’est basé sur le principe de l’égalité des armes entre les parties. Faire peser sur le ministère public un régime procédural plus strict que celui applicable à l’accusé ne serait-il pas contraire aux exigences du procès équitable ? En outre, il s’interrogeait sur l’intérêt à introduire de la complexité en prévoyant des régimes juridiques différents selon que l’appelant soit l’accusé ou le ministère public.

La chambre criminelle a été sensible à l’argument issu du principe de l’égalité des armes entre les parties. Certes, ce n’est pas l’expression littérale reprise par l’arrêt, sans doute car ce principe n’est exprimé en ces termes par aucun texte puisqu’il s’agit d’une expression prétorienne issue de la Commission des droits de l’homme (CEDH 30 juin 1959, Szwabowicz c/ Suède, n° 434/58) puis adoptée et développée par la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, la décision retient qu’il faut « assurer le caractère équitable de la procédure », ce qui n’est finalement que le langage constitutionnel pour l’égalité des armes (v. pour une analyse exhaustive de cette notion, J.-P. Dintilhac, L’égalité des armes dans les enceintes judiciaires, Rapport de la Cour de cassation pour 2003, p. 151 ; F. Desportes, L’égalité des armes dans la procédure pénale, Justice et Cassation 2020. 43).

La chambre criminelle déclare donc recevable l’appel principal du procureur général, sans s’arrêter à la limitation irrégulière mentionnée, ainsi que les appels incidents. C’est l’article préliminaire, en son premier alinéa (la procédure doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties), qui fonde cette décision, alors que dans l’arrêt du 18 octobre 2023, précité, c’était l’alinéa 11 qui en servait de base.

Ce nouveau revirement est permis car l’arrêt du 18 octobre 2023 n’a pas remis en cause la règle imposant à la cour d’assises d’appel de procéder au réexamen entier de l’affaire. Il a uniquement considéré que la conséquence d’un cantonnement irrégulier de l’appel n’était plus l’irrecevabilité de celui-ci, mais l’absence d’effet donné à ce cantonnement. Vu sous cet aspect, il n’existait guère de raison d’apporter une réponse différente selon que cet appel soit relevé par le condamné ou le ministère public.

Quelle évolution possible à la suite de ce revirement ?

S’agissant d’un revirement jurisprudentiel, en estimer la portée n’est jamais évident et il est souvent utile d’attendre des arrêts ultérieurs pour l’apprécier véritablement.

Ce qui est évident, c’est que désormais, l’appel principal cantonné du ministère public ne doit plus être considéré comme irrecevable, mais au contraire est automatiquement étendu à toutes les dispositions de l’arrêt pénal concernant la personne visée par l’appel.

Par ailleurs, en cas de déclaration partielle de culpabilité frappée d’appel par l’accusé, l’appel incident du ministère public est également recevable. Si le procureur général peut ne relever appel à titre principal que de certains chefs, pourquoi ne pourrait-il pas relever appel incident lorsque c’est l’accusé qui ne relève appel à titre principal que de certains chefs de condamnation ? Cependant, dans cette hypothèse, la Cour n’en tire pas la même conclusion et ne dit rien sur l’extension à toutes les dispositions de l’arrêt pénal. Il semble donc que la jurisprudence selon laquelle l’appel incident formé par le procureur général ne saisit pas la cour d’assises d’appel des infractions dont l’intéressé a été déclaré non coupable en première instance (Crim. 4 mars 2015, préc.) demeure d’actualité.

Si cette solution apparaît compréhensible puisque favorable à l’accusé, on peine néanmoins à en voir la logique alors que quatre lignes plus haut les juges énoncent que l’appel principal limité irrégulièrement doit s’étendre à « toutes les dispositions de l’arrêt pénal ». La cour reste muette sur ce qui justifie qu’un appel cantonné soit traité différemment selon qu’il soit principal ou incident. Nous émettrons l’hypothèse que l’appel limité du ministère public ne doit être considéré comme étendu à toutes les dispositions de l’arrêt pénal que s’il porte sur des acquittements partiels. Sinon, il ne s’étend qu’à toutes les condamnations.

Toutefois, le véritable apport de cet arrêt apparaît être plus large puisqu’il s’agit en réalité d’un double revirement de jurisprudence. Au-delà de la recevabilité d’un appel limité devant la cour d’assises, c’est aussi (surtout ?) un revirement beaucoup plus profond.

La chambre criminelle avait jusqu’à ce jour toujours considéré que le ministère public ne saurait invoquer une prétendue atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article préliminaire du code de procédure pénale « qui ne garantissent que les droits et les libertés des parties privées » (Crim. 8 sept. 2015, n° 14-84.315, Dalloz actualité, 2 oct. 2015, obs. C. Fonteix ; AJ pénal 2016. 94, obs. P. de Combles de Nayves ). Cette position était largement approuvée par la doctrine majoritaire pour laquelle, notamment, « le contradictoire et le caractère équitable de la procédure sont l’une des facettes des droits de la défense ayant pour objet de rétablir un équilibre entre les parties aux procès qui est à l’avantage du ministère public » (L. Cadiet et alii, Théorie générale du procès, PUF, 2013, nos 174 s).

Si cette position demeure en ce qui concerne la Convention européenne qui, comme nous l’avons vu, ne peut concerner le ministère public, la chambre criminelle vient d’entrouvrir la porte sur le fondement de l’article préliminaire en son premier point qui concerne les principes généraux de la procédure pénale. Il est à ce stade difficile d’estimer si cela annonce une évolution plus importante ou si cette décision restera isolée et d’espèce.

Quelques observations sont, en revanche, possibles. La Cour de cassation, en ne visant que l’article préliminaire du code de procédure pénale, a retenu une base législative comme fondement de sa décision. Dans une conception classique de la hiérarchie des normes, une autre disposition législative estimée inéquitable ne saurait être remise en cause puisque justifiée par une norme de même valeur. Ainsi, à titre d’exemple, l’impossibilité pour le seul ministère public d’interjeter appel principal d’une décision d’homologation de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne semble pas pouvoir être concernée. On notera cependant que la doctrine reste partagée sur la valeur juridique de l’article préliminaire, certains auteurs estimant que, s’agissant de principes directeurs, ils auraient une force plus grande que d’autres dispositions du code de procédure pénale (v. pour un examen des différentes positions doctrinales, J.-Cl. Procédure pénale, Art. préliminaire, fasc. 20, par É. Vergès, §§ 20 s.).

Envisager une conception extensive de cette décision supposerait de rattacher le principe de l’égalité des armes ou de l’équité de la procédure à un nouvel objectif à valeur constitutionnelle ou à un objectif déjà préexistant tel que la répression des infractions (Cons. const. 16 juill. 1996, n° 96-377DC, AJDA 1997. 86 , note C. Teitgen-Colly et F. Julien-Laferrière ; ibid. 1996. 693, note O. Schrameck ; D. 1997. 69 , note B. Mercuzot ; ibid. 1998. 147, obs. T. S. Renoux ; RFDA 1997. 538, note P.-E. Spitz ; RTD civ. 1997. 787, obs. N. Molfessis ) ou de bonne administration de la justice (Cons. const. 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC, Dalloz actualité, 9 déc. 2009, obs. S. Brondel ; AJDA 2009. 2318 ; ibid. 2010. 80, étude A. Roblot-Troizier ; ibid. 88, étude M. Verpeaux ; RFDA 2010. 1, étude B. Genevois ; Constitutions 2010. 229, obs. A. Levade ; RSC 2010. 201, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2010. 66, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ), ce qui apparaît éloigné de la position actuelle du Conseil.

En l’état donc, ce revirement ne semble pouvoir s’appliquer, comme en l’espèce, que pour corriger des positions jurisprudentielles considérées inéquitables vis-à-vis du ministère public. Il semble dès lors devoir rester marginal. Peut-être peut-on imaginer, sans certitude et par une interprétation extensive de la jurisprudence, l’hypothèse d’une demande de renvoi accordée par le juge des libertés et de la détention sans que le parquet n’ait été entendu (Crim. 10 nov. 2021, nos 21-84.948 et 21-85.182, Dalloz actualité, 24 nov. 2021, obs. D. Pamart ; D. 2021. 2048 ; AJ pénal 2022. 41, obs. J. Hennebois ; RSC 2022. 874, obs. J.-P. Valat ).

S’il n’est plus totalement vrai de dire qu’en tant que partie publique, le ministère public ne peut se prévaloir d’une rupture de l’égalité des armes ou d’une rupture de l’équité de la procédure à son détriment, il est nécessaire que la doctrine explore cette nouvelle voie afin de conceptualiser ce à quoi elle peut concrètement mener. Il sera également nécessaire de donner à la Cour de cassation la possibilité de définir plus clairement les contours de sa décision, ce qui suppose que les parquets s’en emparent afin que de nouvelles décisions viennent la préciser et définir son champ d’application.

 

Crim. 9 oct. 2024, FS-B, n° 24-85.030

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