Quelle autonomie du CSE d’établissement pour désigner un expert ?

Le comité social et économique (CSE) d’établissement n’a pas compétence pour engager une consultation portant sur la situation économique et financière de l’établissement à moins qu’un accord d’entreprise ou que l’employeur l’y autorise. Ce défaut de compétence fait obstacle à ce que le CSE d’établissement procède à la désignation d’un expert pour mener à bien ladite consultation.

Sous l’empire de la loi Rebsamen du 17 août 2015, la Cour de cassation approuvait les consultations du comité d’établissement lorsqu’elles relevaient du domaine des consultations dites récurrentes. Pour mener à bien ces consultations, le comité bénéficiait d’une autonomie lui conférant le pouvoir de désigner un expert. Deux arguments justifiaient cette position : d’une part, lesdits comités étaient considérés comme détenteurs des mêmes attributions que les comités d’entreprise dans la limite des pouvoirs conférés au chef de l’établissement (C. trav., anc. art. L. 2327-15). D’autre part, les prérogatives du comité d’établissement étaient considérées comme découlant expressément de l’autonomie dont ils bénéficiaient (Soc. 18 nov. 2009, n° 08-16.260 P, Dalloz actualité, 7 déc. 2009, obs. L. Perrin ; RDT 2010. 180, obs. F. Signoretto ).

Pour cette raison, il était considéré que « le droit du comité central d’entreprise d’être assisté pour l’examen annuel de la situation économique et financière de l’entreprise ne prive pas le comité d’établissement du droit d’être assisté par un expert-comptable afin de lui permettre de connaître la situation économique, sociale et financière de l’établissement dans l’ensemble de l’entreprise et par rapport aux autres établissements avec lesquels il doit pouvoir se comparer » (Soc. 16 janv. 2019, n° 17-26.660 P, Dalloz actualité, 8 févr. 2019, obs. H. Ciray ; D. 2019. 133  ; Rev. sociétés 2019. 418, note B. Saintourens  ; RDT 2019. 344, obs. L. Milet  ; RJS 4/2019, n° 230 ; JCP S 2019. 1058, obs. V. Piccoli).

Suivant l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, la doctrine s’est faite l’écho de l’incohérence d’une telle position face à la rédaction des nouvelles dispositions de l’article L. 2312-22 du code du travail.

C’est précisément cette confrontation entre niveau de consultation et droit de désigner un expert qui se trouvait révélée dans l’arrêt étudié. Pour la première fois et sous l’empire de l’ordonnance précitée, la Cour de cassation était amenée à trancher la question de l’autonomie du CSE d’établissement en matière de désignation d’un expert lors d’une consultation portant sur la situation économique et financière de l’établissement.

Dans les faits, une association avait été sous-divisée en plusieurs établissements dans lesquels étaient instaurés des CSE d’établissement, dont le CSE d’établissement du secteur d’activité « cohésion sociale ». Un CSE central avait également été mis en place.

Le CSE « cohésion sociale » avait été consulté sur les comptes annuels administratifs des établissements ainsi que sur la situation financière et économique 2020 et perspectives 2021 relevant de son secteur d’activité. Insatisfait des éléments dont il disposait, ledit CSE avait décidé de désigner un cabinet d’expertise comptable afin qu’il procède à une analyse de la situation économique et financière de l’établissement. L’association contestait cette désignation.

Déboutée en appel, l’association formait un pourvoi en cassation à l’occasion duquel la Haute Cour s’est livrée à un raisonnement en deux temps. Il convenait de déterminer préalablement le champ des compétences du CSE d’établissement pour ensuite en déduire son autonomie en matière de désignation d’un expert.

Faute de compétences …

Dans l’arrêt commenté, deux positions s’opposaient.

D’une part, l’association considérait que le CSE d’établissement n’avait pas compétence pour mener la consultation visant la situation économique et financière de l’établissement et qu’ainsi, il n’avait pas compétence pour procéder à la désignation de l’expert destiné à mener ladite consultation.

D’autre part, le CSE d’établissement revendiquait sa pleine compétence en niant tout empiètement de sa part sur les domaines d’intervention du CSE central.

La position du CSE était critiquable. En effet, bien que les dispositions de l’article L. 2316-20 du code du travail disposent que « le comité social et économique d’établissement a les mêmes attributions que le comité social et économique d’entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement », la répartition des compétences du CSE d’établissement a été considérablement modifiée par l’ordonnance du 22 septembre 2017.

S’inscrivant dans l’idée d’une centralisation des consultations, notamment, celles relatives à la situation économique et financière de l’entreprise, l’article L. 2312-22 du code du travail prévoit qu’elles « sont conduites au niveau de l’entreprise, sauf si l’employeur en décide autrement et sous réserve de l’accord de groupe prévu à l’article L. 2312-20 ».

Autrement dit, les compétences du CSE d’établissement sont – en partie – déterminées soit par l’employeur qui peut décider de le consulter, soit par un accord d’entreprise qui peut prévoir sa consultation. En l’absence d’un tel accord ou d’une quelconque sollicitation de l’employeur, la compétence du CSE d’établissement s’éteint au profit de celle du CSE central.

Dans le cas d’espèce, l’un de ces deux éléments fondait-il la compétence du CSE ?

La réponse est assurément négative, l’attendu de la Cour de cassation exposant « qu’aucun accord collectif d’entreprise ne prévoyait la consultation du comité social et économique de l’établissement et que l’employeur n’avait pas décidé de le consulter, de sorte que la consultation récurrente sur la situation économique et financière de l’entreprise relevait du seul comité social et économique central et que le comité social et économique de l’établissement ne pouvait recourir à une expertise ».

En définitive, puisque le CSE d’établissement ne disposait pas de la compétence attendue – faute respectivement, de consultation par l’employeur et d’accord collectif – il ne pouvait procéder à la désignation d’un expert.

…Pas d’autonomie

Suivant la détermination de la compétence, il convenait de trancher le point central du litige, lequel concernait la désignation de l’expert. La cour d’appel avait considéré que « la possibilité du comité central d’entreprise d’être assisté par un expert-comptable pour l’examen annuel de la situation économique et financière de l’entreprise ne prive pas le comité social et économique d’établissement, qui dispose d’une autonomie suffisante et dans les limites de pouvoirs confiés au chef d’établissement, d’être assisté par un expert-comptable pour l’examen des comptes annuels, et donc plus largement de la situation économique et financière de l’établissement pour pouvoir notamment se comparer avec les autres établissements ». En d’autres termes, celle-ci validait le recours à l’expert-comptable.

La position de la cour d’appel est, sans surprise, sanctionnée par la Cour de cassation. S’appuyant sur le droit antérieur, les juges du fond approuvaient l’autonomie du CSE d’établissement, lequel pouvait accéder à la situation de l’entreprise dans son ensemble par le biais d’une expertise qu’il avait lui-même diligentée (Soc. 16 janv. 2019, n° 17-26.660 P, Rev. sociétés 2019. 418, note B. Saintourens )

Or, sous l’empire de l’ordonnance du 22 septembre 2017, cette faculté ne lui est offerte qu’à condition qu’il intervienne dans ses domaines de compétence. À cet effet, l’article L. 2316-21 du code du travail dispose que « le comité social et économique d’établissement peut faire appel à un expert […] lorsqu’il est compétent conformément aux dispositions du présent code ».

Dès lors, le raisonnement de la cour d’appel succombait. La validité de la désignation de l’expert était indissociable de la détermination préalable de la compétence du CSE d’établissement, la première étant ainsi indissociable de la seconde.

 

© Lefebvre Dalloz