Quels leviers pour améliorer la SST dans les chaînes d’approvisionnement du BTP ?
Clauses spécifiques, passeports de sécurité, ateliers de confiance… Six organismes de recherche ont compilé dans un rapport publié cet été plusieurs exemples de réussites européennes en matière de santé et sécurité au travail (SST) dans les chaînes d’approvisionnement du secteur de la construction. Secteur particulièrement exposé à des risques élevés d'accidents du travail ou de maladies professionnelles.
« La pression exercée sur les sous-traitants est à l’origine de performances problématiques en matière de SST dans de nombreuses chaînes d’approvisionnement de la construction ». Un constat partagé par les auteurs d’une revue de littérature (en anglais), publiée en juillet pour l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA).
Ces derniers pointent une règlementation davantage appliquée à « un nombre limité de sociétés cotées », une réduction de la capacité d’inspection et une complexification des chaînes d’approvisionnement. Complexité due à un nombre important d’acteurs, de micro-entreprises et PME (client, entrepreneur principal, divers sous-traitants, fabricants de matériaux de construction, agences de main-d’œuvre, bureaux d’études, cabinets d’architectes, etc.) travaillant simultanément sur un même chantier.
Résultats : la gouvernance se trouve quelque peu éparpillée, le suivi partiel et les leviers d’amélioration, plus difficiles à mettre en place. Le secteur de la construction compte parmi les secteurs où le risque d’accidents mortels et non mortels est le plus élevé, où les travailleurs sont les plus susceptibles de déclarer des TMS, où la main d’œuvre migrante s’accompagne le plus souvent de mauvaises conditions de travail.
Dans une moindre mesure, certains « leviers de marché » actionnés en Europe, instruments et pratiques appliqués dans les relations acheteur-fournisseur retenus par les organismes, permettent de prévenir les risques.
« Relations contractuelles claires et détaillées »
Premier levier mis en avant, la gouvernance contractuelle. « La recherche suggère que des relations contractuelles claires et détaillées sont essentielles au bon fonctionnement des relations inter-organisationnelles dans les projets de construction ». Sensibles au risque réputationnel lié à de mauvaises conditions de travail au sein de leur chaîne de sous-traitance, les grands clients professionnels ont tout intérêt à être les garants de la SST dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Comment ? En « utilisant les normes de SST comme critère clé dans les achats, les entreprises peuvent s’assurer que les sous-traitants qu’elles choisissent pour effectuer une tâche spécifique sont conformes aux normes et réglementations en matière de SST » (cf. encadré).
70 % des PME espagnoles du secteur de la construction auraient des clauses SST dans leurs contrats de sous-traitance 
Si les preuves de succès de cette approche « semblent être mitigées, le respect de ces spécifications [n’étant] pas toujours contrôlé », les chercheurs retiennent la réussite de projets à grande échelle, comme le pont dano-suédois entre Copenhague et Malmö et les Jeux olympiques de Londres, où entrepreneurs et sous-traitants ont été sélectionnés en fonction de leurs capacités, compétences et antécédents en matière SST.
Des projets qui s’accompagnent toutefois de « systèmes de surveillance, […] d’audits réguliers de tous les entrepreneurs présents, d’un personnel de sécurité ayant autorité sur tous les entrepreneurs présents sur un site (James et al., 2015a) et de la signature de codes de conduite ».
Un contrôle qui peut également être mis en place via des clauses spécifiques. La ville de Copenhague a par exemple inséré dans ses contrats des clauses assurant un travail décent à tous les employés travaillant pour ses fournisseurs et sous-traitants. « La ville a créé son propre groupe de travail, qui effectue des visites inopinées sur les chantiers de construction pour évaluer le respect des clauses de travail », rendent compte les auteurs, qui notent que « les agents internes sont plus efficaces que l’externalisation du suivi des conditions de travail ».
À noter que selon une étude de 2017 rapportée par les auteurs, 70 % des PME espagnoles du secteur de la construction auraient des clauses SST dans leurs contrats de sous-traitance.
Normes et certifications, l’exemple allemand
Le deuxième levier évoqué par les chercheurs est l’incontournable système de normes et certifications, « moyens essentiels pour les entreprises de construction de montrer leur engagement en matière de SST sur le lieu de travail à leurs clients et au grand public ». Au niveau international, seraient à privilégier l’ISO 45001 (ex-OHSAS 18001) sur la santé au travail, l’ISO 9001 (qualité) et l’ISO 26000 (RSE).
Au niveau national, outre les régimes de certification propres à chaque pays européens dont la France, les chercheurs mettent en avant le passeport de sécurité et l’outil allemand d’auto-évaluation GDA-ORGAcheck. Le premier est une certification individuelle délivrée aux personnes possédant les compétences requises en matière de SST, seules autorisées à accéder à un site de construction (ce passeport est parfois intégré dans les systèmes de certification nationaux, comme en Belgique ou aux Pays-Bas).
Le second est un outil qui « exige des entreprises qu’elles analysent et améliorent leur organisation en matière de SST grâce à une planification systématique du travail, à l’utilisation continue d’évaluations des risques et à l’intégration de la SST dans tous les processus opérationnels », expliquent les auteurs. Un outil expressément développé pour permettre aux grandes entreprises d’évaluer leurs fournisseurs. Les entreprises ont la possibilité de comparer leur performance avec celle des autres entreprises participantes via une analyse comparative en ligne.
En Allemagne toujours, une institution d’assurance sociale contre les accidents pour le bâtiment (BG BAU) a développé un système de gestion de la SST pour la construction (AMS BAU) et délivre des certifications permettant aux entreprises de répondre plus facilement aux appels d’offres. Un système dont les résultats seraient « positifs », après évaluation en 2013. « Les responsabilités et les processus liés à la SST se sont considérablement améliorés [et] le nombre d’accidents du travail ainsi que de cas d’arrêt de maladie était nettement inférieur à celui d’avant la mise en œuvre », rapportent les auteurs du rapport.
« Culture et bonne communication »
Programmes de sensibilisation, promotion d’une culture de sécurité, soutien aux contractants dans la mise en œuvre des mesures de sécurité, signalement des quasi-accidents… « Une gestion réussie de la SST entre différents partenaires dans un projet de construction repose également sur des facteurs non contractuels tels que la culture et une bonne communication », expliquent les auteurs.
« La recherche montre que de bonnes relations personnelles entre les acteurs centraux d’un projet de construction (notamment le directeur de la construction, les chefs de chantier, le superviseur, le personnel spécialisé et les sous-traitants – mais aussi entre les travailleurs eux-mêmes) sont cruciales pour faciliter des flux d’informations efficaces, la planification et la gestion des problèmes et des situations de crise, retiennent-ils. Ce qui pourrait s’avérer essentiel pour les résultats en matière de SST. »
Créer un environnement où les accidents évités de justesse et les petits accidents sont systématiquement signalés par les employés des sous-traitants, sans crainte de représailles ou de réprimandes
Une confiance mutuelle développée par exemple sur le mégaprojet d’infrastructures routières Schiphol, Amsterdam et Almere (SAA) aux Pays-Bas, à travers une série d’ateliers (valeurs partagées, traitement de dilemmes, narration, jeux de rôle, etc.), organisés à différents stades de mise en œuvre du projet (initiation, négociation, formation et exploitation).
« Les partenaires du projet ont négocié une relation réciproque équilibrée et l’échange simultané de ressources équivalentes et sans délai », ajoutent les auteurs du rapport, qui soulignent l’insuffisance sur ce chantier des arrangements contractuels.
Une étude sur le transfert de connaissances en matière de SST dans le secteur de la construction au Royaume-Uni de 2020 souligne enfin la « nécessité d’une culture de sensibilisation à la SST ». Par exemple, en créant « un environnement où les accidents évités de justesse et les petits accidents sont systématiquement signalés par les employés des entrepreneurs principaux et des sous-traitants, sans crainte de représailles ou de réprimandes », avancent-ils.
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5 propositions pour améliorer la SST dans les chaînes d’approvisionnement |
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Les chercheurs concluent leur rapport par plusieurs suggestions d'amélioration, parmi lesquelles :
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© Lefebvre Dalloz