Questions subsidiaires devant la cour d’assises et motivation de la période de sûreté facultative
Le moyen tiré de l’absence de question subsidiaire dans les cas prévus par l’article 351 du code de procédure pénale ne saurait être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
Il appartient à l’accusé ou à son avocat, s’il entend contester la formulation des questions, d’élever un incident contentieux dans les formes de l’article 352 du même code. En outre, la chambre criminelle rappelle utilement l’exigence d’une motivation spéciale pour justifier du prononcé d’une période de sûreté facultative.
Par un arrêt du 13 juillet 2023, deux accusés étaient condamnés pour des faits de viols aggravés, association de malfaiteurs, ainsi que pour détention et diffusion aggravées de représentations pédopornographiques. Le premier se voyait infliger une peine de dix-huit années de réclusion, cinq ans de suivi socio-judiciaire, une interdiction définitive d’exercer toute activité en contact avec des mineurs et une période de sûreté des deux tiers de la peine était prononcée. Le second écopait de cinq années d’emprisonnement, dont une avec sursis, et d’une peine de confiscation. Chacun formait un pourvoi en cassation, lesquels étaient joints en raison de leur connexité.
La question subsidiaire obligatoire de l’article 351, alinéa 2, du code de procédure pénale
L’article 351 du code de procédure pénale énonce que s’il résulte des débats devant la cour d’assises que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation, le président pose une ou plusieurs questions subsidiaires. Il s’agit, par là, d’inspirer le pouvoir de requalification de la cour d’assises afin de ne pas laisser des accusés échapper à une sanction pénale, non pas en raison de l’insuffisance des éléments apportés à leur encontre, mais du fait d’une qualification impropre.
Les questions subsidiaires peuvent tantôt être posées d’office par le président, tantôt être sollicitées par une partie. Cependant, aux termes de l’article 351-1 du code de procédure pénale, le président ne peut poser une ou plusieurs questions prévues aux articles 350 (questions spéciales) ou 351 (questions subsidiaires) que s’il en a préalablement informé les parties au cours des débats et au plus tard avant le réquisitoire. Plus encore, la procédure devant la cour d’assises étant orale par essence, lecture doit être donnée des questions à l’audience, sous peine d’irrégularité de la procédure (Crim. 9 déc. 2009, n° 09-83.362).
Deux conditions de fond enserrent toutefois les questions subsidiaires. D’une part, celles-ci ne sauraient porter sur un fait nouveau mais seulement sur une nouvelle qualification que la juridiction entendrait donner à un fait appréhendé par la décision de mise en accusation (Crim. 12 mai 1970, n° 70-90.223). D’autre part, comme a pu le rappeler la chambre criminelle, la question subsidiaire ne se substitue jamais à la question principale, si bien que le président d’audience ne peut exercer cette faculté de l’article 351 que pour autant que la Cour et le jury aient, au préalable, répondu négativement à la question principale posée (v. not., Crim. 19 nov. 1986, n° 86-92.739).
En 2018, la loi Schiappa destinée à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (Loi n° 2018-703 du 3 août 2018) a fait naître un alinéa second à l’article 351 du code de procédure pénale disposant que lorsque l’accusé majeur est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de quinze ans de la victime, le président pose la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans si l’existence de violence, contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats. Ainsi, cette nouvelle disposition oblige la cour d’assises saisie d’un viol commis sur un mineur de moins de quinze ans à statuer sur la culpabilité de la personne accusée du chef d’atteinte sexuelle, si les éléments constitutifs du viol sont contestés au cours des débats. Il s’agit d’une simple obligation spécifique destinée à guider davantage la juridiction que l’alinéa premier. Les travaux parlementaires éclairent, s’il le fallait véritablement, la volonté du législateur quant à cet ajout : « empêcher l’acquittement pur et simple de la personne poursuivie ». Plus encore, les motifs de la loi évoquaient la volonté de répondre à « des décisions d’acquittement ou de relaxe difficilement compréhensibles ».
On peut aisément comprendre qu’il soit frustrant pour une juridiction, même s’il s’agit de l’exacte application de la loi pénale, de devoir innocenter un mis en cause alors même qu’une autre infraction semblerait matériellement caractérisée. Il semble toutefois que l’étendue de cette problématique ait été réduite par l’adoption, en 2021, de l’article 222-23-1 du code pénal (D. Goetz, Violences sexuelles sur mineurs et inceste : la loi est publiée, Dalloz actualité, 27 avr. 2021 ; D. Goetz, Viol sur mineur de quinze ans : conformité à la Constitution, Dalloz actualité, 14 sept. 2023). Cette disposition qui a fait couler tant d’encre avant qu’elle n’entre en vigueur (et après !) prévoit que constitue un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans, peu importe le consentement du mineur à l’acte sexuel (absence de violence, contrainte, menace ou surprise).
Dans le cas qui nous intéresse, si le demandeur avait raison sur l’inobservation, par les juges du fond, des prescriptions de l’article 351, le rejet du moyen tiré de ce que la question portant sur la qualification subsidiaire d’atteinte sexuelle sur mineur n’a pas été posée, malgré la contestation de la qualification de viol par l’accusé, était attendu. En effet, la chambre criminelle avait déjà énoncé antérieurement qu’un accusé ne peut utilement se prévaloir, devant la Cour de cassation, de ce qu’une question n’a pas été posée dès lors qu’il n’a pas, devant les juridictions du fond, élevé d’incident contentieux à ce sujet, en vertu des dispositions de l’article 352 du code de procédure pénale (Crim. 22 nov. 1995, n° 95-81.501 ; 17 juin 2020, n° 19-80.718).
L’utile rappel de l’exigence de motivation de la période de sûreté facultative
Par cette décision, la Cour de cassation prend le soin de rappeler une évidence dont les juges du fond avaient fait peu de cas : le prononcé d’une période de sûreté doit faire l’objet d’une décision spéciale et motivée lorsque celle-ci est facultative ou excède la durée prévue de plein droit.
En effet, lorsque la période de sûreté est obligatoire et automatique (alors dite « de plein droit »), elle ne suppose pas, en vertu de l’article 365-1 du code de procédure pénale, d’être formalisée par une décision spéciale, en ce qu’elle constitue une simple « modalité d’exécution de la peine privative de liberté » (Crim. 10 déc. 1980, n° 80-92.358 ; 10 mars 1992, n° 91-84.011, RSC 1993. 313, obs. B. Bouloc
). Tel n’est pas le cas, en revanche, quand la juridiction entend réduire ou augmenter la durée de la période de sûreté. L’article 132-23, alinéa 2, du code pénal dispose en ce sens que « La cour d’assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu’aux deux tiers de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu’à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées ».
En l’espèce, la Haute juridiction relève qu’il résulte de la feuille de motivation que la cour d’assises a notamment retenu la gravité des faits, l’appétence ancienne de l’accusé pour la pédopornographie et sa personnalité pour conclure qu’il convient de le condamner à la peine de dix-huit ans de réclusion criminelle. En aucun cas elle n’a donc justifié ni motivé le prononcé d’une période de sûreté exceptionnellement portée aux deux tiers de la peine par une décision spéciale, ce qui entraîne – et l’on s’en réjouira – une cassation partielle de l’arrêt.
par Ilan Volson-Derabours, Chargé d’enseignement à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Élève-avocat
Crim. 5 févr. 2025, FS-B, n° 23-85.137
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