Rappel salutaire de la compétence du juge judiciaire sur l’appel de la partie civile d’un jugement de relaxe de l’agent public

La chambre criminelle rappelle qu’il se déduit des articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale que le juge répressif, saisi du seul appel de la partie civile, est compétent, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite. Il est en revanche incompétent pour statuer sur les demandes d’indemnisation en l’absence de faute détachable du service.

Le principe

Par principe, les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents. En effet, l’action de l’administration et de ses agents, lorsqu’elle se manifeste comme puissance publique, ne doit pas être jugée par les juridictions judiciaires. Aussi, la juridiction répressive est incompétente pour connaître de l’action civile relative à la faute pénale commise par un agent de l’administration agissant dans le cadre de ses fonctions lorsque cette faute est une faute de service, l’agent n’étant pas personnellement responsable (T. confl. 14 janv. 1935, n° 00820, Thépaz). Tel est notamment le cas s’agissant de la réparation du dommage causé par un homicide involontaire commis par un médecin hospitalier, dont la faute commise n’apparaît pas détachable du service (Crim. 27 nov. 1984, n° 83-94.889).

A contrario, l’agent d’un service public est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis si celui-ci constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions (T. confl. 9 juill. 1953, Delaître c/ Bouquet ; Crim. 27 nov. 1984, n° 83-94.889, préc.). Aussi les juridictions judiciaires sont-elles compétentes dans cette hypothèse, la responsabilité de la puissance publique s’effaçant au profit de la responsabilité personnelle des agents de l’administration.

La jurisprudence rappelle régulièrement ce principe, lequel est fondé sur le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire posé par la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III (Crim. 20 juin 2006, n° 05-87.415, AJDA 2006. 1807 ; AJ pénal 2006. 409, obs. G. Royer ; 15 mars 2016, n° 14-87.237, Dalloz actualité, 30 mars 2016, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2016. 576 ; AJCT 2016. 462, obs. Y. Mayaud ; Légipresse 2016. 263 et les obs. ; 14 mars 2023, n° 21-86.163, Légipresse 2023. 139 et les obs. ; ibid. 2024. 125, obs. N. Verly ).

L’on comprend donc que, pour accueillir ou non l’exception d’incompétence des juridictions répressives relative à la réparation, il appartient à ces dernières de déterminer l’existence ou non d’une faute détachable du service, et ce, même d’office. Notamment, dans un arrêt du 15 mars 2016, la chambre criminelle a cassé l’arrêt d’appel ayant condamné un maire de Moselle à indemniser la partie civile en raison des propos diffamatoires qu’il avait tenus à son encontre, lors d’un conseil municipal (Crim. 15 mars 2016, n° 14-87.237, préc.). Elle considère en effet qu’« en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile du prévenu, maire ayant agi dans l’exercice de ses fonctions, sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service », la cour d’appel méconnaît notamment la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III (v. déjà, Crim. 18 nov. 2014, n° 13-86.284, AJCT 2015. 170, obs. J. Lasserre Capdeville ; 30 mars 2016, n° 14-87.528, Dr. soc. 2016. 665, chron. R. Salomon ; 31 oct. 2017, n° 16-87.632, Légipresse 2017. 587 et les obs. ; 19 juin 2018, n° 17-81.690).

Il en va de même lorsque le tribunal répressif est appelé à statuer sur les intérêts civils après le prononcé d’une relaxe. Les juridictions répressives sont en effet compétentes pour dire si le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite. Étant précisé que cette faute civile doit découler des faits visés par le texte d’incrimination et être caractérisée en tous ses éléments pénaux (v. not. Crim. 4 mai 2016, n° 15-81.244, Dalloz actualité, 24 mai 2016, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2016. 1002 ; AJ pénal 2016. 436 ; RTD com. 2016. 566, obs. L. Saenko ; 10 mai 2017, n° 15-86.906, Dalloz actualité, 8 juin 2017, obs. J. Gallois ; AJ pénal 2017. 396, obs. L. Grégoire ; 28 févr. 2018, n° 16-85.518, JA 2018, n° 577, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ pénal 2018. 315, obs. A. Darsonville ; RSC 2018. 139, obs. N. Jeanne ; ibid. 690, obs. Y. Mayaud ), ce qui inclut les critères d’engagement de la responsabilité pénale d’une personne morale, conformément aux dispositions de l’article 121-2 du code pénal.

Il en va, en revanche, différemment de la réparation du dommage qui relèvera tantôt de la juridiction répressive si la faute est une faute détachable, tantôt de la juridiction administrative si la faute est une faute de service. 

Aux fins de clarté, la jurisprudence de la Cour de cassation n’hésite pas à rappeler cette position à l’appui d’une formule devenue classique : « il se déduit des articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale que la cour d’appel, saisie du seul appel de la partie civile, est compétente, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite » (v. déjà, Crim. 14 nov. 2017, n° 17-80.934, AJDA 2017. 2281 ; D. 2017. 2370 ; AJ pénal 2018. 151 ; 14 mars 2023, n° 21-86.163, préc.).

L’espèce

La solution rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 septembre 2024, est conforme à cette règle.

En l’espèce, une femme estimant n’avoir pas été titularisée en raison de son état de santé a porté plainte et s’est constituée partie civile pour discrimination à l’encontre de l’établissement public l’employant, représenté par son directeur des ressources humaines. Le tribunal correctionnel a cependant relaxé l’établissement public et déclaré irrecevable la constitution de partie civile.

Saisie sur le seul appel de la partie civile déclarée recevable, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 21 mars 2023, a reconnu l’existence d’une faute civile à partir et dans la limite de la prévention à l’encontre de l’établissement public, mais s’est déclarée incompétente pour statuer sur les demandes de la partie civile, la faute ayant été commise par un agent public en service (§ 16).

Pour caractériser une telle faute imputable à l’égard de l’établissement public, les juges d’appel ont retenu, d’une part, que « l’évaluation finale du stage de Mme [K] est négative sur tous les items et s’inscrit ainsi en contradiction avec les précédentes, qui ne comportaient pas de réserves » et, d’autre part, que « les termes de cette évaluation finale sont contredits par les témoignages recueillis, lesquels sont globalement positifs ». Les juges parisiens ont encore relevé que « les nombreuses insuffisances professionnelles invoquées par le prévenu pour justifier la non-titularisation de l’intéressée n[’étaient] pas démontrées et que le seul manquement du fait d’un surinvestissement auprès des patients, mentionné dans des témoignages et une évaluation, ne saurait justifier une non-titularisation au regard de l’ensemble des évaluations très positives des autres compétences de Mme [K]. Ils en déduisent que le motif réel de la non-titularisation de l’intéressée était son état de santé, qui avait entraîné une absence pour une longue période et laissait craindre une vacance de poste en cas de titularisation ». Et d’en conclure que « l’établissement public a commis, en la personne de son directeur des ressources humaines, qui a la capacité d’engager la personne morale, une faute en invoquant un motif erroné à la non-titularisation de Mme [K], cette faute ayant été commise par un agent public en service » (§§ 11 à 15).

C’est donc en vain que l’établissement public reprochait, dans son pourvoi, aux juges d’appel de s’être prononcés sur le caractère fautif de son action au moyen que « le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires f[er]ait obstacle à ce que le juge pénal, saisi du seul appel de la partie civile d’un jugement de relaxe, se prononce sur le caractère fautif de l’action d’un établissement public à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ».

En effet, après avoir énoncé ce principe ci-rappelé, selon lequel « il résulte des articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale que la cour d’appel, saisie du seul appel de la partie civile, est compétente, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite », la Haute juridiction précise que, « lorsque les poursuites ont été initiées à l’encontre d’une personne morale de droit public à l’exclusion de toute personne physique, la cour d’appel, saisie du seul appel de la partie civile après relaxe du prévenu, est compétente pour rechercher, conformément aux dispositions de l’article 121-2 du code pénal, si l’organe ou le représentant agissant pour le compte de la personne morale de droit public a commis une faute personnelle détachable du service, à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite » (§ 8).

Cette espèce s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence rendue par la chambre criminelle. Par exemple, dans un arrêt rendu le 14 mars 2023, la Cour de cassation énonce que, statuant sur la seule action civile, la cour d’appel devait rechercher, à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite, l’existence de propos diffamatoires à l’égard de la partie civile, apprécier l’offre de preuve et, le cas échéant, les circonstances propres à caractériser la bonne foi des prévenus, les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne pouvant être réparés que sur ce fondement (Crim. 14 mars 2023, n° 21-86.163, préc.).

À titre conclusif, notons que l’établissement public obtient toutefois la cassation de l’arrêt portant sur le refus de sa demande de renvoi justifiée par la communication tardive des conclusions de la partie civile et de la formulation de nouvelles demandes d’indemnisation, au visa des articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale, relatifs au droit à un procès équitable, pour défaut de motivation. 

 

Crim. 17 sept. 2024, F-B, n° 23-82.501

Lefebvre Dalloz