Rappels utiles en matière de confiscation
Par cet arrêt, la chambre criminelle apporte d’intéressantes précisions à propos de la confiscation d’un yacht dans le cadre d’une information suivie des chefs d’association de malfaiteurs et de blanchiment aggravé.
Un pourvoi a été formé contre l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui, dans le cadre d’une information des chefs d’association de malfaiteurs et de blanchiment aggravé, a confirmé une ordonnance de non-restitution de bien saisi. Il s’agissait en l’espèce d’un yacht stationné en Italie et qui appartenait à une société sise aux Îles Caïmans.
Dans le premier moyen, le propriétaire du bien soulève l’incompétence de la chambre de l’instruction en matière d’appel d’une ordonnance de refus de restitution.
L’application dans le temps de la loi du 24 juin 2024 relative aux saisies et confiscations
Sur ce point, il faut préciser que la chambre de l’instruction s’est prononcée le 29 août 2024, alors que la loi du 24 juin 2024, entrée en vigueur le 26 juin de la même année, prévoit dorénavant la compétence exclusive du premier président de la cour d’appel ou d’un conseiller désigné par lui pour statuer sur ce recours (C. Fonteix, Loi du 24 juin 2024 : une loi drastique pour saisir et confisquer davantage à moindre coût, au prix des droits du propriétaire ?, Dalloz actualité, 9 sept. 2024 ; M. Hy, Loi du 24 juin 2024 relative aux saisies et confiscations : la logique comptable plutôt que la logique juridique ?, AJ pénal 2024. 440
). Il s’agissait donc, pour les Hauts magistrats, de se positionner sur les modalités selon lesquelles cette loi nouvelle, dépourvue de dispositions transitoires, s’applique aux instances en cours.
Après avoir rappelé les termes des articles 112-2, 1°, du code pénal et 99, alinéa 5, du code de procédure pénale, ils en concluent que nonobstant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi transférant au premier président de la cour d’appel la compétence pour statuer sur ce recours, la chambre de l’instruction régulièrement saisie conserve sa compétence jusqu’au prononcé de la décision lorsque les débats devant elle ont été régulièrement tenus conformément à la loi ancienne avant l’entrée en vigueur des dispositions nouvelles.
En conséquence, le moyen est écarté. Ce choix s’imposait dans la mesure où les débats devant la chambre de l’instruction avaient régulièrement eu lieu le 19 juin 2024. Cet aspect a en effet été déterminant, étant précisé que l’application immédiate des lois de compétence aux instances en cours ne doit pas avoir d’effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne (Crim. 14 nov. 2001, n° 00-88.017 ; 4 janv. 2006, n° 05-84.231, D. 2006. 393
; RSC 2006. 637, obs. A. Giudicelli
; Gaz. Pal. 2006. 2. Somm. 2731, note Monnet ; 17 mars 1993, n° 93-81.040 P ; 23 juin 1993, n° 93-82.541).
Ensuite, le requérant fait grief aux juges du fond de ne pas s’être assurés qu’il avait eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie. Or, la chambre criminelle constate qu’il était indiqué, dans l’arrêt attaqué, que le procureur général avait déposé le dossier au greffe de la chambre de l’instruction le 11 juin 2024 pour être tenu à la disposition des avocats. Ce faisant, le requérant a pu accéder aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie, droit dont il a bénéficié en réalisant une requête en communication de pièces le 20 février 2024 et en déposant ensuite un mémoire le 18 juin 2024. Logiquement, ce moyen est donc également écarté par la chambre criminelle.
Confiscation et blanchiment en bande organisée
Dans le troisième moyen, le requérant conteste le bien-fondé de la confiscation. Il estime en effet que les délits de blanchiment et d’association de malfaiteurs ne génèrent pas de « produit » au sens de l’article 131-21 du code pénal et qu’en conséquence le yacht ne pouvait pas être confisqué. En outre, il soulève le caractère disproportionné de l’atteinte portée au droit de propriété.
Pour écarter ce moyen, la chambre criminelle s’appuie méthodiquement sur la motivation dégagée par les juges du fond et notamment sur l’utilisation d’une société basée aux Îles Caïmans pour immatriculer le yacht. Elle constate que le refus de restitution reposait sur des indices tendant à démontrer que le propriétaire du yacht était impliqué dans un vaste schéma de blanchiment en bande organisée. Or, en matière de blanchiment, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus (Crim. 16 oct. 2024, n° 23-85.360, Dalloz actualité, 18 nov. 2024, obs. G. de Foucher et C. Méléard ; AJ pénal 2024. 578 et les obs.
; Dr. soc. 2025. 72, étude R. Salomon
). Les Hauts magistrats ajoutent que l’infraction de blanchiment en bande organisée est punie de la confiscation de la chose qui en est le produit et/ou de tout ou partie des biens du condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis (Crim. 25 nov. 2015, n° 14-84.985, Dalloz actualité, 17 déc. 2015, obs. S. Fucini ; D. 2015. 2503
). Le yacht pouvait donc valablement être confisqué.
L’argument relatif au caractère disproportionné de l’atteinte portée au droit de propriété est balayé par la Cour de cassation. Elle considère en effet que ce grief est inopérant, dans la mesure où ce bien était confiscable au titre d’objet de l’infraction. Or, le maintien de la saisie de l’objet ou du produit de l’infraction n’est pas subordonné à la mise en œuvre d’un contrôle de proportionnalité de l’atteinte portée, par ledit maintien, au droit de propriété (Crim. 3 mai 2018, n° 17-82.098, Dalloz actualité, 4 juin 2018, obs. L. Priou-Alibert ; Gaz. Pal. 2018. 2133, obs. S. Detraz ; 15 mai 2019, n° 18-84.494 P, Dalloz actualité, 13 juin 2019, obs. L. Jay ; D. 2019. 1105
; Gaz. Pal. 2019. 2619, obs. S. Detraz).
En conséquence, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
par Dorothée Goetz Charlon, Docteur en droit
Crim. 12 févr. 2025, FS-B, n° 24-86.467
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