Rapport annuel 2024 de l’ACPR et distribution d’assurance : utilité des contrats pour l’assuré et professionnalisme des distributeurs d’assurance
Selon le rapport annuel de l’ACPR pour l’année 2024, présenté le 27 mai 2025, le secteur financier flotterait entre « normalisation » et « préparation du nouveau monde » (Gouverneur de la Banque de France, Discours, 27 mai 2025).
Le programme de travail de l’ACPR pour 2025 vise simplement à améliorer « la qualité » des pratiques commerciales. Le rapport annuel 2024 de l’ACPR procure des indications pratiques en ce sens concernant tant les contrats d’assurance que les distributeurs d’assurance. Les premières reposent sur l’exigence d’un rapport minimal entre l’utilité du contrat d’assurance pour les assurés et le prix de ce contrat, avec l’ancrage du concept de la value for money ; les secondes poussent à l’amélioration du professionnalisme des distributeurs d’assurance, avec de nouvelles exigences.
L’irrésistible emprise du concept de valeur ajoutée (value for money) comme critère du service rendu à l’assuré par le contrat d’assurance
Les données relatives au contrôle de la seule distribution d’assurance sont malaisées à extraire du rapport annuel de l’ACPR. Le premier domaine d’amélioration de la distribution d’assurance réside dans l’utilité des contrats d’assurance, du point de vue des assurés.
Les moyens et les résultats du contrôle de la distribution d’assurance par l’ACPR
Selon le rapport annuel 2024 de l’ACPR, son programme prévoyait, pour l’année 2024, 98 contrôles au titre des seules pratiques commerciales, en regard d’une capacité totale de 238 enquêtes (Rapp. 2024, p. 87). Parmi les 91 contrôles de pratiques commerciales engagés durant l’année 2024, 42 se sont terminés cette même année. L’ACPR a signifié 765 demandes de mesures correctives (sans précision ni des entités concernées, ni de leurs activités commerciales). 813 publicités ont été contrôlées en assurance (937 en 2023, Rapp. 2024, p. 91). 71 nouveaux contrôles sont prévus en 2025, au titre des pratiques commerciales.
Alors que la baisse des entreprises d’assurance agréées se poursuit (639 en tout au 31 déc. 2024, rapp. 2024 de l’ACPR, p. 25), l’ACPR a réalisé quatre-vingt-dix contrôles sur place et onze enquêtes, en 2024, matérialisés par six mises en demeure, au titre des pratiques commerciales. Les statistiques publiées n’offrent pas l’information des natures juridiques de distributeurs concernés, entre intermédiaires et entreprises d’assurance.
Moins de 8 % de l’effectif du secrétariat général de l’ACPR (1 103 agents) se consacre au contrôle des pratiques commerciales (Rapp. 2024, p. 72). Les courtiers d’assurance contribuent pour environ 1,6 % du budget annuel 2024 de l’ACPR (de l’ordre de 235 millions ; Rapp. 2024, p. 81).
Des produits bancaires vendus par les banques combinent de l’assurance à faible valeur ajoutée pour l’assuré
La notion désormais familière de value for money désigne des « offres de produits représentant un intérêt trop faible pour les clients. » En soi, la découverte ou l’existence même de produits d’assurance « à faible valeur ajoutée » surprend (Rapp. 2024, p. 41), tant ce concept est adverse de la protection élémentaire des clients. La persistance de pareille situation ne cesse de surprendre. Le plan d’actions pour y remédier demeure vaporeux. La value for money permet, in fine, une concurrence moins déséquilibrée.
Ces contrats associent des « produits bancaires et assurantiels. » Ils cumulent toutes les vertus (…) : faible intérêt pour les clients concernés, qui les détiennent sans même en avoir conscience et sans disposer d’information ni, évidemment, de conseil. Ils sont conçus et distribués exclusivement par des banques. Or, celles-ci sont intensivement contrôlées par l’ACPR. Le rapport de l’ACPR est muet quant au plan d’actions envisagé pour mettre fin à cette activité clairement préjudiciable aux clients concernés.
La faible valeur ajoutée des contrats d’assurance emprunteur
En 2024, l’ACPR s’est enfin décidée à constater un fait objectif : la faible valeur ajoutée des contrats d’assurance de prêt (L. Denis, Protection de la clientèle d’assurance : conversation de l’ACPR oscillant entre conservation des habitudes et conversion au respect des intérêts des clients, Dalloz actualité, 20 mars 2025). Il s’agit encore d’un marché de contrats d’assurance dominé par les banques (assurances de groupe).
L’ACPR confesse qu’« il serait souhaitable que le partage de la valeur entre professionnels (assureurs et distributeurs) et clients soit plus favorable à ces derniers ». En crédit à la consommation, le rapport rappelle que le commissionnement des distributeurs d’assurance peut atteindre jusqu’aux trois quarts des primes. Hors ces surcoûts manifestes infligés aux assurés par ces contrats d’assurance de prêt, les taux de refus d’indemnisation ressortent comme trop élevés chez « certains » assureurs.
L’appareil statistique dont s’est doté l’ACPR, sans grande concertation avec les professionnels concernés, adresse le même reproche de « sous-intérêt » à l’ensemble des contrats d’assurance de prêt. Se pose donc inévitablement la question de la qualité des méthodes, notamment statistiques. La mesure de la faible valeur ajoutée d’un contrat d’assurance passe d’abord par la transparence des méthodes utilisées.
L’inutilité de certains contrats d’assurance affinitaires
Les affaires judiciaires à ce propos émaillent l’actualité : jugement du 17 décembre 2024, 31e chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris ; procédures nouvelles, y compris contre l’ACPR (Mise en demeure adressée à la Banque de France d’indemniser des consommateurs, 6 mai 2025). L’ACPR, dans ce contexte tumultueux, affiche une posture de circonstance pour souligner l’absence d’utilité, pour l’assuré, de certains contrats d’assurance affinitaires, particulièrement en matière de téléphonie mobile (Rapp. 2024, p. 41).
Onze réseaux de distribution ont été sollicités par une vague massive d’environ 200 « visites mystères ». Étonnamment, les « visiteurs » n’ont pas éprouvé de pression commerciale malvenue. Tant mieux.
La saga des contrats d’assurance obsèques déséquilibrés
Les déséquilibres commerciaux des contrats dits « d’assurance obsèques », depuis longtemps bien identifiés, expriment avant tout le reflet d’une forme d’impuissance, inquiétante : celle de la supervision française à protéger le consommateur, l’assuré, lorsque la pratique commerciale risquée est pourtant mise en évidence (L. Denis, Avis du CCSF concernant les contrats d’assurance « obsèques » : la pédagogie préférée au devoir de conseil en assurance, Dalloz actualité, 29 nov. 2024).
En 2024, le feuilleton des abus en matière de ventes d’assurances obsèques s’est donc poursuivi (Rapp. 2024, p. 42).
La nécessité d’étoffer le professionnalisme des distributeurs d’assurance
Pour l’ACPR, cette orientation pesant cette fois sur les distributeurs d’assurance vise au « renforcement des orientations du marché » formule juridiquement aussi vague que le terme de « professionnalisme. » Le rapport 2024 la décline selon trois axes.
La supervision des associations professionnelles agréées qui accompagnent les courtiers d’assurance fait l’objet de précisions méthodologiques confidentielles
En 2024, l’ACPR « a poursuivi ses actions d’accompagnement auprès des associations professionnelles de courtage » (Rapp. 2024, p. 42) auxquelles l’adhésion est une condition d’accès à la profession (C. assur., art. L. 513-3 s. et art. R. 513-1 s. ; Loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, n° 2021-402 du 8 avr. 2021 et Décr. n° 2021-1552 du 1er déc. 2021 ; Quinquennat Macron : quelle évolution du droit des assurances ?, Dalloz actualité, 28 mars 2022). Leurs rapports d’activité, hélas, ne sont pas publics.
Chargées de « suivi d’activité » (C. assur., art. L. 513-3) et de « vérifications » des conditions d’accès et d’exercice ainsi que du respect des exigences professionnelles et organisationnelles de leurs membres, courtiers et mandataires d’assurance » (C. assur., art. L. 513-3, I et art. R. 513-10 s.), ces associations professionnelles étaient libres de leurs méthodes. L’inévitable résultat s’est produit : la dispersion du contrôle des intermédiaires concernés. Le rapport annuel de l’ACPR annonce ainsi des « standards communs » « permettant de garantir à l’ensemble des courtiers et à leurs mandataires » une « égalité de traitement » et un « accompagnement structuré (sic) dans leur mise en conformité ».
Il est regrettable que ces « standards communs » de conformité fassent seulement l’objet d’échanges confidentiels. Il est tout aussi regrettable que les distributeurs d’assurance dépourvus du statut juridique de courtier d’assurance ou de mandataire de ces courtiers fassent l’objet de méthodes de contrôle demeurant inconnues et, manifestement, étrangères à cette action d’harmonisation. Les établissements de crédit agissant comme courtiers d’assurance sont exemptés de cette obligation d’adhésion ; or, deux des quatre exemples de contrats d’assurance discutables sous l’angle de leur utilité pour l’assuré proviennent de leur activité de distribution d’assurance.
L’ACPR annonce les premiers contrôles de ces associations en 2025. Ceux-ci produiront une influence directe et immédiate sur les « vérifications » effectuées par ces mêmes associations auprès des courtiers d’assurance comme auprès de leurs mandataires d’assurance. L’intensité des contrôles des courtiers d’assurance va s’accroître, de la part cette fois des associations professionnelles agréées.
La liste des associations professionnelles agréées, amputée de deux associations privées d’agrément par l’ACPR en 2025 (ACPR, Communiqué de presse du 16 avr. 2025) sera actualisée le 11 juillet 2025. Les intermédiaires concernés doivent faire le nécessaire pour maintenir cette condition d’accès à la profession.
Tous les distributeurs d’assurance sont tenus d’améliorer la délivrance du devoir de conseil en assurance en 2025
Le rapport annuel de l’ACPR rappelle aux distributeurs, intermédiaires ou non, l’exigence permanente du conseil en assurance. L’entité de supervision en assurance voit ce devoir de conseil en assurance comme « la contrepartie » de la rémunération du distributeur. Dans une autre lecture, juridique, la loi exige que le distributeur place l’assuré en situation de « prendre une décision en toute connaissance de cause » (C. assur., art. L. 521-4, I). Le devoir de conseil (formulation inutilisée par la loi) s’inscrit ainsi dans les « règles de conduite » que la législation de l’assurance ne prend même pas la peine de qualifier de « bonnes ».
La recommandation relative au conseil en assurance, révisée en 2024 (ACPR, Recomm. 2024-R-03 du 21 nov. 2024, applicable le 31 déc. 2025 ; V. Roulet, ACPR : renforcement des informations relatives au client pour l’exercice du devoir de conseil et la fourniture d’un service de recommandation personnalisée en assurance, Dalloz actualité, 15 janv. 2025) affiche quatre objectifs : créer le devoir de conseil dans la durée en assurance-vie ; introduire une part minimale de fonds non cotés dans les gestions profilées d’assurance-vie, favorisant l’industrie dite « verte » ; intégrer la prise en compte des préférences des assurés en matière « de durabilité » ; et réduire les cas d’inadéquation du conseil en assurance, par exemple, en prévenant le cumul involontaire d’assurances pour un même risque.
Les liens que pourraient tisser à l’avenir le devoir de conseil en assurance avec la notion de value for money (v. infra), critère absent de la recommandation de l’ACPR du 21 novembre 2024, sont susceptibles d’apparaître bien vite. L’actualisation du devoir de conseil en assurance-vie entrera en application en 2028 ; l’ACPR recommande de lancer les chantiers nécessaires dès 2025.
Indirectement, le devoir de conseil apparaîtra bientôt comme l’un des vecteurs de diffusion de la durabilité en matière d’assurance (Rapp. 2024, p. 61). L’enquête conduite en 2024 par l’ACPR auprès des entreprises d’assurance a montré que « seule la moitié d’entre eux […] a intégré [ces risques] dans leurs politiques écrites, conformément à la réglementation » notamment en le prenant « davantage en considération dans le risque d’investissement. »
L’ACPR élude l’intéressante question des obligations de l’assuré, en regard de celles du distributeur d’assurance. Pourtant, celles-ci contribuent à spécifier l’obligation de conseil du distributeur d’assurance et matérialisent autant de limites au devoir de conseil en assurance. Par exemple : la bonne présentation de son activité par le client (réc., en ce sens, Com. 19 mars 2025, n° 23-16.193). La nécessité pour chaque distributeur de fixer sa propre fiche de conseil en assurance (en l’absence de toute fiche standardisée), rappelée par l’exigence de preuve qui écrase le distributeur (« le distributeur […] précise par écrit […] », C. assur., art. L. 521-4, I), fait de l’obligation de conseil en assurance une charge de haute priorité pour tout distributeur d’assurance.
La Lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme demeure la grande priorité de l’ACPR
La Lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme (LCB-FT) ressort comme une priorité suprême de l’ACPR. En 2024, elle conduit à trente-cinq contrôles sur place, débouchant sur vingt-cinq lettres de suite, sur deux sanctions disciplinaires (Rapp. 2024, p. 47) ainsi que sur trois mises en demeure (ibid. ; ou sur une mise en demeure et une limitation temporaire selon le rapport, p. 49, C. mon. fin., art. 561-36-1, III). Le rapport annuel pour 2024 ne précise pas quelles natures d’établissements étaient concernées par ces contrôles de LCB-FT. En 2024, la Commission des sanctions de l’ACPR a prononcé seulement trois sanctions (Rapp. 2024, p. 57), dont deux, en effet, en matière de LCB-FT (C. mon. fin., art. 561-36-1, IV ; un établissement de crédit et un établissement de paiement).
L’articulation des contrôles de l’ACPR en LCB-FT avec l’Agence européenne dédiée, l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC ou AMLA) n’est pas exposée. Du 10 juin au 11 juillet 2025, l’ACPR diffuse un nouveau questionnaire sur ce thème, auprès des courtiers.
par Laurent Denis, Avocat
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