Rapport annuel de France Assureurs : la bonne santé du secteur est confirmée

rance Assureurs a publié cet été son rapport annuel 2024 présentant une cartographie d’un marché de l’assurance en croissance. Le contexte particulièrement difficile de l’année 2024 sur les plans écologique, politique, économique et sociétal semble être une source d’opportunité pour les assureurs. Fidèle à son slogan, l’assurance comme (seul) moyen de « faire avancer la société en confiance », voilà la tonalité générale du rapport.

Une photographie de l’activité d’assurance en 2024

La fédération professionnelle France Assureurs a publié cet été deux documents de référence exposant une photographie du marché de l’assurance sur l’année 2024 (France Assureurs, Rapport d’activité 2024 ; L’assurance française. Données clés 2024). Elle y confirme la tendance générale du secteur que l’on retrouve notamment dans les rapports annuels de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) : les données sont « rassurantes » et l’activité d’assurance « prospère » (pour l’année 2023, R. Bigot et L. Denis, Rapport annuel 2023 de l’ACPR : l’assurance française, rassurante et prospère, Dalloz actualité, 12 déc. 2024). La perspective de la crise économique, tant redoutée ou tant annoncée, ne semble pas se confirmer dans les chiffres (J. Delayen, Rapport de l’ACPR sur le secteur de l’assurance en 2021 : vous avez dit crise ? Mais quelle crise ?, Dalloz actualité, 25 nov. 2022 ; J. Delayen, Rapport de l’ACPR : toujours pas de crise en vue dans le secteur de l’assurance !, Dalloz actualité, 9 janv. 2024).

Fiabilité des chiffres

À n’en pas douter, les chiffres présentés sont fiables et permettent d’avoir une représentation fidèle du secteur. France Assureurs est une fédération professionnelle qui rassemble l’ensemble des entreprises d’assurance et de réassurance opérant en France, soit 253 sociétés représentant plus de 99 % du marché global de l’assurance. Il sera toutefois intéressant de comparer ces chiffres à ceux que livrera l’ACPR en octobre prochain conformément à ses habitudes (ACPR, Les chiffres du marché français de la banque et de l’assurance 2023, 24 oct. 2024 ; Les chiffres du marché français de la banque et de l’assurance 2022, 23 oct. 2023).

Saine distance critique quant à la présentation

Mais évidemment, la présentation réalisée devra être prise avec un certain recul critique. Rappelons que parmi les missions de France Assureurs se trouve le fait de « représenter l’assurance auprès des pouvoirs publics », de « promouvoir les actions de prévention » et « la place de l’assurance dans le monde académique et la formation ». Il est certain donc que France Assureurs n’a pas à faire preuve de la même indépendance ou de la même objectivité qu’une autorité administrative indépendante comme l’ACPR (même si on peut parfois aussi exprimer le même recul critique à l’égard de l’ACPR, R. Bigot et L. Denis, art. préc.).

Quoi qu’il en soit, tout l’intérêt de ce rapport est de ne pas se limiter à un simple exposé des chiffres de l’assurance pour opérer d’abord une présentation du rôle de l’assureur. On peut y voir, au regard de la représentativité de France Assureurs, un précipité de comment les assureurs se perçoivent ou souhaitent être perçus. C’est seulement dans la dernière partie du rapport que nous trouverons les chiffres du secteur de l’assurance en général et une approche plus sectorielle ensuite.

Rôle des assureurs et fonctions de l’assurance

Au travers de la présentation des « actions phares de l’année 2024 » (p. 6 s.), le rapport de France Assureurs, reprenant la présentation du rapport 2023, présente l’assurance à la fois comme une prestation (« l’assurance protège », « l’assurance finance »), en distinguant l’assurance non-vie qui protège et l’assurance-vie qui finance, puis comme une activité économique (« l’assurance emploie »). Rien de plus classique en somme. Tous les manuels de droit des assurances présentent ainsi l’activité d’assurance, souvent en inversant le propos (v. par ex., R. Bigot et A. Cayol, Droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 623 s.). Dans cette édition 2024, un nouveau rôle des assureurs en général et de France Assureurs en particulier est toutefois décrit et assumé, rôle dont il est difficile de rendre compte dans les manuels de droit : celui d’influenceur.

Pour se convaincre du rôle essentiel de l’assurance comme « force à la fois protectrice et stabilisatrice » (p. 4), il suffit d’égrener la longue liste des évènements majeurs qui se sont réalisés pendant l’année 2024. Des inondations dans les Hauts-de-France au cyclone Chido à Mayotte en passant par les violences urbaines et les pillages en Nouvelle-Calédonie (p. 9), il est indéniable que l’assurance a joué un rôle essentiel d’amortisseur et de garantie. Le rôle de prévention assumé par les assureurs est également rappelé (v. l’expérience « CyberPrev », p. 5). Quant à la fonction de financement, les assureurs sont « des acteurs majeurs du financement de l’économie » avec 2 632 milliards d’euros d’investissement, soit environ 90 % du PIB. Ces investissements seraient de plus en plus durables (en réduisant de 11 % leurs investissements dans les énergies fossiles pour ne plus représenter que 1,0 % des actifs gérés). Plus rarement mis en lumière, les assureurs financent également « l’action publique » en investissant 600 milliards d’euros en titres d’administrations publiques et en finançant à hauteur d’environ 12 % la dette des administrations (p. 12). La force financière de l’assurance n’est plus à démontrer. « Avec près de 30 milliards d’euros de collecte nette, l’assurance vie est le premier placement, privilégié par les Français en 2024 » et « 89 % des 2 609 milliards d’euros investis par les assureurs proviennent des placements en assurance vie » (p. 14). Enfin, quant à la fonction d’emploi des assureurs, on remarquera simplement l’accent particulièrement mis sur l’apprentissage et l’alternance.

Ce qui transparaît le plus dans l’ensemble du rapport est surtout le rôle clairement assumé de lobbying ou d’influence joué en particulier par France Assureurs. Le rapport n’a de cesse d’affirmer que « les assureurs entendent promouvoir les constructions résilientes », « préconisent (…) », ou encore « travaillent (…) à la construction de solutions (…) qu’ils portent dans le débat public » ou encore propose, ce qui nous semble d’ailleurs pertinent, « d’officialiser des référentiels d’indemnisation pour les victimes de dommages corporels, afin de mettre fin aux disparités d’une juridiction à l’autre et de désengorger les tribunaux » (p. 5, nous soulignons chaque fois). Rien de bien choquant à cela dès lors que France Assureurs est un organe représentatif de la profession (le seul toutefois). Les assureurs peuvent ainsi jouer un rôle d’expert du risque en vue de « l’amélioration de [leur] connaissance, et notamment des risques émergents » (p. 11). La cartographie des risques publiées par France Assureurs est ainsi particulièrement éclairante (J. Delayen, Le paysage du risque du point de vue des assureurs, Dalloz actualité, 7 mars 2025 ; v. égal., p. 11, l’initiative de France Assureurs pour réaliser des essais d’envergure sur les incendies de batteries lithium-ion). Il est également utile que les assureurs s’inscrivent dans une démarche de pédagogie et de prévention (p. 10 sur le rôle joué par les assureurs dans les gestes à adopter en cas d’inondation) ou encore qu’ils se fassent le relai des politiques publiques afin de mieux faire comprendre une réforme (p. 10, au sujet de la disparition de la carte verte et de la vignette automobile au 1er avr. 2024). On trouvera toutefois plus discutable le fait que France Assureurs ait « élaboré, en lien avec le ministère de l’Intérieur, un guide destiné aux élus sur le rôle de chacun après un événement naturel » (p. 5) ou encore que, « les assureurs associent les décideurs publics » (sic) « les entreprises et les startups (…) à leurs réflexions » (p. 5). Le risque de capture du régulateur public ne nous semble plus très loin.

Un contexte économique morose source d’opportunités pour les assureurs

France Assureurs commence par revêtir sa casquette d’économiste pour dresser un tableau plutôt sombre de l’économie en 2024. Ainsi, « l’année 2024 a été marquée par différents chocs. Sur le plan politique, les élections européennes ont façonné un parlement européen fragmenté et polarisé alors qu’en France, les élections législatives, organisées à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, ont conduit à l’instabilité politique du pays. Sur le plan économique, la croissance en zone euro, et particulièrement en France, a été bien en deçà de celle du reste du monde. Certes, l’inflation a reculé et la Banque centrale européenne a cessé d’augmenter ses taux directeurs, mais les taux d’intérêt français restent sous pression avec un spread (différentiel entre le taux d’emprunt français et allemand) qui a nettement augmenté du fait d’une situation budgétaire dégradée. Sur le plan climatique, 2024 a été l’année la plus pluvieuse et la moins ensoleillée depuis plus de 20 ans. La succession des années les plus chaudes confirme l’accélération du risque climatique avec des événements naturels en 2024 toujours très intenses » (p. 25). Malgré tout, « dans ce contexte, le secteur de l’assurance (…) a poursuivi son développement » (p. 25). Les cotisations croissent de + 12,0 % sur l’année (…), nettement plus rapidement que le PIB en valeur (+ 3,2 %). Cette croissance est dynamique sur toutes les principales lignes de métier, particulièrement en assurance vie (+ 14,7 %) et en assurance santé et prévoyance (+ 11,6 %). L’assurance de biens et de responsabilité affiche, quant à elle, une croissance de ses cotisations de + 6,3%, légèrement plus dynamique pour les particuliers (+ 7,3 %) que pour les professionnels (+ 4,8 %) » (p. 25). C’est que l’ensemble de ces évolutions constituent en réalité des opportunités d’assurance. C’est ainsi notamment que « [d]ans un contexte propice à l’épargne, l’assurance vie a capté vers elle la majeure partie des flux de placements financiers des ménages » (p. 32). Sur le plan financier, encore, « les placements de l’assurance ont progressé de + 2,5 % en 2023, après + 4,6 % en 2023 » bien que cela ne semble pas effacer « la forte baisse enregistrée en 2022 (− 10,8 %) » (p. 34). Il en va de même pour l’assurance santé et prévoyance (p. 33). Le seul point de vigilance concerne évidemment l’assurance de biens et de responsabilité et en particulier l’habitation. On sait à quel point les catastrophes climatiques peuvent représenter une épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’assurance. Pour autant, si le montant des primes des assurances habitation a augmenté de 7,5 %, le montant des prestations, quant à lui, et malgré une année propice aux incidents climatiques, a baissé de 17,1 %. Pour autant, la fédération évoque une dégradation financière du système qui tiendrait au coût de la réassurance. C’est ainsi que la « détérioration provient du résultat de la réassurance qui se dégrade (…). Avant réassurance, le ratio combiné enregistre une amélioration de 1,2 point de pourcentage en 2024 » (p. 30). Ou comment c’est en réalité l’assurance des assureurs qui plombe le système !

 

France Assureurs, Rapport annuel 2024

par Julien Delayen, Enseignant-chercheur, UPJV, membre du CEPRISCA

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