Rapport Langreney : lutter contre le désengagement des assureurs dans la couverture des risques climatiques

Le rapport « Adapter le système assurantiel français face à l’évolution des risques climatiques », co-écrit par Thierry Langreney, Gonéri Le Cozannet et Myriam Mérad a été rendu public le 2 avril 2024. Il contient trente-sept propositions organisées en neuf objectifs, dont le but est de réagencer la responsabilité des différents acteurs que sont les pouvoirs publics, les assureurs, les collectivités locales et les assurés eux-mêmes dans l’assurance, l’adaptation, la prévention et l’atténuation des risques climatiques.

Le régime CatNat : une spécificité française

Le régime de protection contre les catastrophes naturelles (CatNat) a été fondé en 1982 avec pour principes la solidarité nationale (couverture et participation universelle, avec une prime non-indexée sur le risque) et la responsabilité de tous (Loi n° 82-600 du 13 juill. 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles). Cette responsabilité devait s’exprimer notamment dans l’élaboration d’une cartographie des risques – ou Plans d’exposition aux risques (PER devenus PPR), intégrés aux plans d’occupation des sols (devenus plans locaux d’urbanisme). Pour des raisons de facilité opérationnelle, les assureurs furent immédiatement partie prenante : ce sont eux qui collectent les primes (une surprime sur la prime des contrats multirisques habitation), gèrent les sinistres et peuvent se réassurer auprès de la Caisse centrale de réassurance (CCR), réassureur public, lui-même adossé à la garantie de l’État. La CCR finance ainsi un peu plus de 50 % des sinistres du marché français.

En comparaison à d’autres systèmes nationaux, le régime CatNat est une réussite : il a permis la couverture de la presque totalité du territoire national (hors DOM), pour une prime annuelle modique – de l’ordre de 22 € en moyenne en 2023. Il est aujourd’hui menacé, directement et indirectement, par le réchauffement climatique.

Volet assurantiel

Le rapport commence par le constat d’une aggravation soutenue depuis 2016 des différents périls, portée par les inondations et, plus récemment, le risque de retrait-gonflement des argiles (RGA). En conséquence, le régime CatNat est aujourd’hui déséquilibré. Pour y remédier, une première recommandation consiste à augmenter la surprime de 12 % à 20 % (soit une augmentation moyenne de 15 € par an par contrat), recommandation déjà adoptée en fin d’année et qui entrera en vigueur au renouvellement 2025. De plus, attendu que le réchauffement climatique devrait se poursuivre à horizon 2050, le rapport recommande également une indexation annuelle de 1 % des primes ainsi qu’une indexation des franchises sur l’indice du coût de la construction.

Une des nouveautés du rapport est de proposer la consolidation de cartographies nationales sur la base des Plan de prévention des risques (PPR), avec plusieurs objectifs :

  • en renseignant les assurés sur les risques auxquels ils sont exposés, cette cartographie devrait renforcer la bonne information de tout un chacun et « responsabiliser » les acteurs. Notamment, le rapport préconise de libérer les primes des maisons secondaires, des biens locatifs et des risques professionnels de haute valeur dans les zones les plus risquées ;
  • en permettant la communication des parts de marché relatives des assureurs dans les différentes zones à la fois entre assureurs et auprès des autorités ministérielles, cette deuxième cartographie devrait favoriser une bonne mutualisation entre assureurs sur l’intégralité du territoire ; et éviter des désengagements disproportionnels d’assureurs dans des zones à risque ;
  • en asseyant le prélèvement au titre de la prévention (aujourd’hui de 12 % de la surprime) sur les zones à risques de telle sorte que le prélèvement soit plus important (de l’ordre de 30 % à 50 % de la surprime) dans les zones faiblement exposées, les rapporteurs entendent rééquilibrer les marges de rentabilité entre les différentes zones, là encore afin de décourager la sélection des risques.

D’autres mesures techniques sont mises en avant, lesquelles visent à renforcer la résilience du régime et de la CCR, telle que la rétrocession auprès de réassureurs privés, ou encore la relève des plafonds de durée et de montant de la provision pour égalisation, en miroir de l’augmentation observée des risques (la CCR devant être en mesure de reconstituer des réserves pour faire face à des années plus sinistrées que d’autres).  

Volet prévention et adaptation

Afin de renforcer la résilience du régime assurantiel, la prévention et l’adaptation ont un rôle crucial à jouer. Après avoir établi un état des lieux des (multiples) dispositifs existants et des montants associés, le rapport met en avant l’orientation de fait du Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) vers des actions de prévention collective et le besoin de créer en parallèle un fonds dédié à la prévention individuelle (particuliers et entreprises). Ce nouveau fonds devrait contribuer à la recherche, notamment concernant le risque RGA, et prendre en charge des diagnostics de résilience post sinistre.

Toujours concernant le RGA, les rapporteurs se montrent très critiques vis-à-vis des préconisations de la loi Elan (Loi n° 2018-1021 du 23 nov. 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), qui leur semblent insuffisantes : une solution de fond consisterait à exiger une étude de sol systématique dans les zones à risque, ou à tout le moins des fondations plus profondes que le 1,2 m fixé par la loi (3 à 3,5 m en Espagne, par ex.). De façon plus générale, le rapport prône plus de contrôles : respect des conditions de construction définis dans les PPR, souscription de l’assurance dommage-ouvrage, contrôle des travaux effectués post sinistre.

Les rapporteurs prennent soin de distinguer la prévention des risques climatiques du besoin de créer un fonds dédié à la relocalisation des personnes concernées par le retrait du trait de côte qui n’est pas un aléa au sens propre du terme, son occurrence étant certaine à terme.

Enfin, une meilleure information est nécessaire à tous les niveaux : le rapport propose de mettre en place des formations de tous les professionnels concernés, que ce soient les élus locaux, les professionnels, les services déconcentrés de l’État, comme les professionnels de l’immobilier, les syndicats, ou les notaires. Pour ce qui concerne les particuliers, le rapport suggère de créer une association dédiée ou d’élargir les actions de l’Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT) afin de mener des opérations de proximité (sur le modèle de l’association Prévention routière). Cette association devrait également gérer une plateforme permettant l’accès des particuliers aux diagnostics de risques et de résilience, aux aides publiques et aux solutions de financement.

Volet atténuation 

Le troisième volet porte sur les mesures d’atténuation auxquelles les assureurs peuvent contribuer. Le rapport souligne le rôle primordial qu’auront à jouer les assureurs, notamment au travers de leurs investissements, mais se focalise sur le passif et les produits d’assurance dommage, notamment le scope 3 aval des émissions : dans l’indemnisation des sinistres, les assureurs auraient un rôle majeur de transformation des comportements par leur choix de solutions de réparation et des pièces de remplacement (la comptabilité carbone divise les émissions de gaz à effet de serre des entreprises en trois principales catégories, appelées « scopes », afin de mesurer l’impact carbone de l’entreprise tout au long de sa chaîne de valeur. Le scope 1 inclut les émissions produites directement par l’entreprise. Le scope 2 regroupe les émissions indirectes associées à la consommation d’énergie, qui ne sont pas générées directement sur les sites de l’entreprise. Le scope 3 couvre les autres types d’émissions indirectes, liées aux émissions qui ne sont pas sous le contrôle de l’entreprise. Dans ce dernier cas, on subdivise en scope 3 amont, qui inclut les émissions provenant des fournisseurs de l’entreprise, et scope 3 aval, qui se rapporte aux émissions liées à l’utilisation des produits par les clients).

Désincitation à la sélection des risques ?

L’un des éléments importants du rapport est de rendre explicite une des menaces structurelles qui pèse sur le régime CatNat et qui se trouve exacerbée par le réchauffement climatique. Comme on l’a vu, il s’est mis en place avec une volonté de mutualisation forte entre tous les assurés ; mais cette mutualisation dépend aussi de la collaboration de tous les assureurs dans la couverture du territoire. Or, en 1982 la connaissance des risques était très sommaire ; elle s’est affinée avec le développement de modèles stochastiques et, à partir des années 2000, de la collecte de données à l’adresse permettant ainsi de constituer une connaissance du risque plus granulaire, au sein de la CCR et des grands acteurs du marché. Comme ailleurs (v. par ex., le marché britannique), cette meilleure connaissance est une menace pour le régime : en France, les primes étant fixées par décret et indépendantes du risque, elles établissent de fait une marge très disparate entre les différentes expositions. Il peut donc y avoir un arbitrage, chez certains assureurs, les conduisant à choisir leur risque, créant une antisélection et un déséquilibre pour ceux d’entre eux qui ne pratiqueraient pas de sélection : à terme, tous les assureurs seraient amenés à revoir leur exposition pour éviter des pertes, créant de fait des zones inassurées. Cet arbitrage est d’autant plus menaçant que le régime est déséquilibré : les assureurs seraient amenés à sélectionner les risques comme mesure « d’autoprotection » de leurs bilans (p. 45). 

D’une certaine manière, le rapport peut se lire comme une liste de propositions visant à éviter le désengagement des assureurs de certaines zones, dont il est dit qu’il a commencé, « même si l’étendue du phénomène est difficile à estimer » (p. 8). Ramener globalement les primes à l’équilibre, proposer une péréquation entre les zones à risques pour neutraliser le différentiel de marge, rendre transparente la sélection des risques entre assureurs, mais aussi maîtriser les coûts actuels et futurs via la prévention, l’adaptation et l’atténuation – autant de mesures urgentes pour pérenniser le système.

 

Rapport Langreney, 2 avr. 2024

© Lefebvre Dalloz