Recel et non-justification de ressources : deux infractions exclusives ?
La connaissance établie de l’origine frauduleuse des biens, élément constitutif du délit de recel excluant l’examen des conditions de la présomption de l’article 321-6 du code pénal, nécessaires pour retenir le délit de non-justification de ressources, en l’absence de caractérisation de cette connaissance, ces deux infractions sont exclusives l’une de l’autre lorsqu’elles portent sur les mêmes faits.
En l’espèce, une comptable a commis des détournements au sein de plusieurs sociétés du même groupe. L’information judiciaire a permis d’établir qu’avec son compagnon, ils menaient un train de vie ne correspondant pas à leurs revenus (rénovation complète de leur maison, achat de véhicules haut de gamme, voyages…). À l’issue de l’instruction, l’auteur des détournements a été renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs de faux et usage, escroquerie et tentative et abus de confiance. Son compagnon a quant à lui été renvoyé devant cette juridiction des chefs de recel et non-justification de ressources. Pour ces faits, il a été condamné par le tribunal correctionnel à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 € d’amende. Sa culpabilité sur ce double terrain a ensuite été confirmée par la cour d’appel. Les seconds juges ont en effet retenu qu’en ayant profité du train de vie financé par son épouse, il ne pouvait pas ignorer que ces achats, notamment les véhicules de luxe, les travaux dans la maison, les nombreux voyages ne pouvaient pas être financés par les salaires du couple. Pour ces faits, ils ont retenu sa culpabilité du chef de recel. Parallèlement, ils l’ont aussi déclaré coupable de non-justification de ressources pour ne pas avoir pu justifier le financement des véhicules, des voyages, des travaux de rénovation, ces investissements n’étant manifestement pas en adéquation avec les revenus du couple.
Dans son pourvoi, le requérant reproche aux juges du fond de l’avoir déclaré coupable de recel et de non-justification de ressources, ces deux infractions étant, selon lui, exclusives l’une de l’autre. Il considère en effet qu’en se prononçant ainsi les juges du fond ont méconnu le principe ne bis in idem. Sur le fond, la chambre criminelle le rejoint et casse l’arrêt rendu par la cour d’appel le déclarant coupable des délits de recel et de non-justification de ressources.
Cependant, dans une motivation particulièrement détaillée, elle ne fonde pas cette cassation sur une méconnaissance du principe ne bis in idem.
Recel et présomption de recel
Les hauts magistrats commencent par rappeler les éléments constitutifs de chacune des deux infractions. Le recel, défini par l’article 321-1 du code pénal, consiste à dissimuler, détenir, transmettre une chose, sachant qu’elle provient d’un crime ou d’un délit ou d’en bénéficier par tout moyen, en connaissance de cause. Le délit de non-justification de ressources, prévu par l’article 321-6 du code pénal, a quant à lui été créé en 2006 pour instaurer une présomption de recel lorsque ne peut être établie l’origine frauduleuse de la chose. Ce délit se définit comme le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l’origine d’un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui, soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes de l’une de ces infractions.
Inévitablement, pour résoudre la question du cumul de ces deux infractions, la chambre criminelle s’appuie sur le désormais incontournable arrêt de principe du 15 décembre 2021 dans lequel elle a infléchi sa position en matière de concours idéal d’infractions en considérant qu’un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne, outre le cas où la caractérisation des éléments constitutifs d’une infraction exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs d’une autre, lorsque l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes : dans la première, l’une des qualifications, telle qu’elle résulte des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue ; dans la seconde, l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale.
En d’autres termes, l’apport majeur de cet arrêt consiste à délimiter un périmètre de non-cumul en créant un rapport d’exclusion entre deux qualifications, en raison, soit de la contradiction de qualifications concurrentes, soit de leur spécialisation, soit – comme le prétendait le requérant – de leur superposition (Crim. 15 déc. 2021, n° 21-81.864, Dalloz actualité, 6 janv. 2022, obs. M. Dominati ; D. 2022. 154
, note G. Beaussonie
; AJ pénal 2022. 34, note C.-H. Boeringer et G. Courvoisier-Clément
; RSC 2022. 311, obs. X. Pin
; ibid. 323, obs. Y. Mayaud
; RTD com. 2022. 188, obs. B. Bouloc
; JCP 2022. 132, note N. Catelan ; Gaz. Pal. 2022. 145, note Parizot ; ibid. 303, obs. S. Detraz ; ibid. 778, obs. L. Saenko et N. Catelan ; Dr. pénal 2022. Comm. 23, obs. P. Conte ; Lexbase pénal 23 déc. 2021, § 32, p. 27, obs. Bouchet et Auroy ; Lexbase pénal 27 janv. 2022, note J.-C. Saint-Pau ; Adde, M. Fouquet et P. Labrousse, Ne bis in idem : au cœur de l’évolution jurisprudentielle, Dr. pénal 2022. Dossier 2 ; P. Conte, Non bis in idem : exercice d’analyse d’où il résulte que le droit n’est pas la mathématique. À propos de l’arrêt de la chambre criminelle du 15 décembre 2021, Dr. pénal 2022. Dossier 3 ; O. Décima, Requiem pour Ne bis in idem, Dr. pénal 2022. Dossier 4 ; X. Pin, Conflit de qualifications : beaucoup de bruit…, RSC 2022. 311
).
La connaissance de l’origine frauduleuse des biens : paramètre déterminant du cumul ou du non-cumul entre le recel et la non-justification de ressources
La chambre criminelle estime que l’arrêt du 15 décembre 2021, fondé sur le principe ne bis in idem invoqué par le requérant, n’est pas applicable aux faits de l’espèce. Le cumul impossible de ces deux infractions a en effet, pour les hauts magistrats, une autre explication, dans la mesure où la connaissance établie de l’origine frauduleuse des biens exclut l’examen des conditions de la présomption prévue par l’article 321-6 du code pénal. Ce faisant, et pour cette raison, la chambre criminelle en déduit que les délits de recel et de non-justification de ressources ne peuvent en l’espèce être retenus à l’encontre de la même personne pour les mêmes faits.
C’est donc la connaissance de l’origine frauduleuse des biens qui devient le paramètre déterminant du cumul ou du non-cumul de ces deux infractions. Indirectement, la chambre criminelle avait déjà – et même avant l’arrêt du 15 décembre 2021 – érigé ce critère en élément distinctif entre les deux infractions. En effet, par un arrêt du 3 novembre 2016, elle avait considéré qu’en l’état d’énonciations, desquelles il résulte, d’une part, que Mme X… ne percevait pas de salaires, compte tenu des difficultés financières des sociétés dont elle était la gérante, et que ses seuls revenus personnels dont l’origine est certaine ne pouvaient lui permettre d’assumer, notamment, ses charges d’emprunt relatives au bien immobilier lui appartenant en indivision, d’autre part, qu’elle était en relations habituelles avec M. Y…, qui se livrait à la commission de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et lui procurant des revenus directs ou indirects, et dès lors qu’à défaut pour la prévenue de justifier de revenus correspondant à son train de vie, ces seules constatations caractérisent le délit de non-justification de ressources, la cour d’appel, qui n’avait pas à établir la connaissance par la prévenue des délits effectivement commis par la personne avec laquelle elle était en relations habituelles, a justifié sa décision (Crim. 3 nov. 2016, n° 15-85.751 P, Dalloz actualité, 7 déc. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2283
; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire
).
Crim. 19 juin 2024, F-B, n° 23-81.965
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