Recevabilité et mal-fondé du pourvoi formé en matière de requalification d’un contrat à temps partiel en temps complet et de preuve des frais professionnels

La demande tendant à requalifier le contrat de travail à temps partiel en temps complet, en ce qu’elle vise à obtenir le paiement de rappels de salaire, n’est pas indéterminée. En outre, le remboursement des frais professionnels engagés par un salarié requiert la preuve des justificatifs des dépenses.

 

Dans cette affaire, une assistante d’élevage à temps partiel, titulaire de plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs, a saisi la juridiction prud’homale aux fins de requalification du dernier contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet et de paiement de diverses sommes. Le conseil de prud’hommes l’a déboutée aux motifs, s’agissant de la demande en remboursement de frais professionnels, que la salariée ne fournissait aucun justificatif lié aux dépenses alléguées. Elle s’est pourvue en cassation, invoquant deux défauts de base légale au regard de la règle suivant laquelle les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l’employeur (v. par ex., Soc. 9 janv. 2001, n° 98-44.833 P, D. 2001. 526  ; Dr. soc. 2001. 441, obs. J. Mouly  ; RTD civ. 2001. 699, obs. N. Molfessis  ; 27 mai 2025, n° 24-10.866 B, Dalloz actualité, 23 juin 2025, obs. P. Dumortier ; D. 2025. 1003 ). La salariée faisait valoir que les juges du fond auraient dû rechercher si elle avait accueilli un chaton pendant trois mois à son domicile, circonstance susceptible d’impliquer le règlement de frais professionnels, et si elle avait dû, à deux reprises, utiliser son véhicule personnel pour conduire un chat chez un vétérinaire.

La Cour a examiné d’office la recevabilité du pourvoi puis, sitôt l’avoir jugé recevable, l’a déclaré mal fondé. D’une part, la demande en requalification d’un contrat à temps partiel en temps complet ne constitue pas une demande indéterminée. Dès lors que l’ensemble des demandes formées par la salariée ne dépassant pas le taux de compétence en dernier ressort du conseil de prud’hommes, le pourvoi était recevable. D’autre part, les juges du fond ont justement débouté la salariée de sa demande en remboursement de frais professionnels pour carence dans l’administration de la preuve de leurs justificatifs.

Caractère déterminé de la demande en requalification d’un contrat à temps partiel en temps complet

La Cour de cassation a jugé recevable le pourvoi formé par la salariée en ce que l’ensemble des demandes formulées par celle-ci, en ce compris celle tendant à la requalification d’un contrat à temps partiel en temps complet, quoique déterminée, est inférieur au taux de de compétence en dernier ressort du conseil de prud’hommes.

L’article 40 du code de procédure civile prévoit que « le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d’appel », si bien que le pourvoi dirigé à l’encontre de ce jugement n’est pas recevable (v. par ex., Soc. 3 sept. 2025, n° 23-21.514, inédit). Aussi, ont jadis été considérées comme indéterminées la demande tendant à qualifier le contrat de travail en contrat à durée déterminée (Soc. 28 janv. 1998, n° 95-43.660 P) et, de manière plus générale, « la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail » (Soc. 30 janv. 2001, n° 98-45.032, inédit). Mais ces décisions ont été rendues antérieurement à un courant prétorien plus récent selon lequel « n’est pas indéterminée, quel que soit son fondement allégué, une demande tendant à l’allocation d’une somme d’argent dont le montant est précisé » (Soc. 13 juill. 2004, n° 02-46.230 P, D. 2004. 2478, et les obs.  ; Dr. soc. 2005. 114, obs. M. Keller  ; 26 oct. 2004, n° 02-42.959, inédit ; 23 févr. 2005, n° 02-45.660 ; 10 mai 2005, n° 03-40.846 ; 23 mai 2006, n° 03-45.447 P ; Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 16-15.670). Une telle solution « fait prévaloir la détermination de l’objet de la demande sur l’indétermination de son fondement » (R. Perrot, Notion de demande indéterminée en matière prud’homale, Procédures 2004. Comm. 229). En l’espèce, la salariée agissait aux fins de requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps complet, action qui vise à obtenir le paiement de rappels de salaire. Il s’ensuit que la demande n’est pas indéterminée : elle est chiffrée au regard des montants réclamés par la salariée. Mais encore faut-il que des montants soient effectivement sollicités, sinon la demande en requalification pourrait être indéterminée en soi (v. la formulation ambigüe de Soc. 9 févr. 2005, n° 04-41.214, inédit).

La solution interroge les contours de la « prétention » : la requalification constitue-t-elle une prétention per se ou bien n’est-elle que le réceptacle de celle qui vise à obtenir le paiement des rappels de salaires ? La Cour de cassation choisit, dans cet arrêt, la seconde branche de l’alternative, ce qui doit être approuvé : la prétention constitue « l’objet concret de la demande » (N. Cayrol, Procédure civile, 5e éd., Dalloz, 2025, n° 115, p. 50), c’est-à-dire les rappels de salaire dans l’hypothèse de la requalification. La chambre sociale juge en effet que « la demande de requalification [tend] à obtenir des sommes en fonction de cette requalification » (Soc. 30 juin 1994, n° 90-44.152 B). La requalification est plutôt le fondement juridique au soutien duquel la salariée peut réclamer, au moyen d’une prétention, les sommes d’argent qu’elle estime dues par son employeur. En conséquence, l’indétermination du fondement (requalification) ne rend pas indéterminée la prétention qui, elle, est chiffrée (rappels de salaire).

En définitive, l’ensemble des demandes formées en fait étant inférieur au taux de compétence en dernier ressort du conseil de prud’hommes fixé à 5 000 € (C. trav., art. D. 1462-3), l’appel n’était pas ouvert, ce qui implique ipso facto que le pourvoi était recevable.

Carence de preuve des frais professionnels

Nul doute que les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l’employeur (v. par ex., Soc. 9 janv. 2001, n° 98-44.833 P, préc. ; 27 mai 2025, n° 24-10.866, préc.), nonobstant que cette règle ne procède d’aucun fondement textuel. Mais le remboursement sollicité par le salarié auprès de son cocontractant requiert que le premier rapporte la preuve des frais par lui exposés. Or en l’espèce, cette preuve n’a pas été administrée par la salariée. Il était par suite totalement superfétatoire pour le conseil de prud’hommes d’effectuer les recherches invoquées par le pourvoi, ayant constaté le défaut de preuve des frais déboursés dont la salariée demandait le remboursement. Dans ces conditions, le moyen de cassation reposant sur deux défauts de base légale paraissait manifestement mal fondé en droit par cela que, suivant la jurisprudence constante de la Cour de cassation (v. par ex., Civ. 2e, 9 janv. 2025, n° 22-21.970, inédit ; Civ. 3e, 30 janv. 2025, n° 23-16.014, inédit ; 13 mars 2025, n° 23-21.681, inédit), les juges du fond ne sont pas tenus de procéder à des recherches que leurs constatations rendaient inopérantes. Car en tout état de cause, à supposer que la salariée eût véritablement engagé des frais à caractère professionnel, elle ne produisait pas leurs justificatifs. La solution n’appelle nulle critique : idem est non esse aut probari.

 

Soc. 10 sept. 2025, FS-B, n° 24-11.064

par Alexandre Nivert, Docteur en droit privé, Consultant indépendant, Chargé d’enseignement vacataire, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Université Paris Nanterre, Ex-juriste assistant, Cour d’appel de Paris

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