Rechute de maladie professionnelle et faute inexcusable

La survenance d’une rechute d’une maladie professionnelle n’a pas pour effet de faire courir à nouveau le délai de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable. En outre, la qualification de rechute ne peut être contestée par le salarié ou ses ayants droit dans le cadre de cette action.

Le 22 juillet 2004, une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) a accepté de prendre en charge, au titre du tableau des maladies professionnelles n° 30 B, les épaississements pleuraux subis par un salarié exposé à l’amiante. Plusieurs années plus tard, l’état de santé de ce dernier s’est aggravé. Un mésothéliome lui a été diagnostiqué le 15 février 2017. Ce cancer a été pris en charge au titre d’une rechute de maladie professionnelle. Deux mois plus tard, le salarié est décédé. Ses ayants droit ont intenté une action en reconnaissance de la faute inexcusable le 12 octobre 2017. Tant la cour d’appel que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vont juger cette action prescrite.

Point de départ du délai de prescription en cas de rechute

L’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale fixe un délai de prescription biennal. L’enjeu est d’en déterminer le point de départ. Selon les juges du quai de l’Horloge, « il résulte des articles L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur se prescrit par deux ans à compter, notamment, de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle ou de la cessation du paiement des indemnités journalières » (pt 5). En l’espèce, les épaississements pleuraux ont été reconnus comme maladie professionnelle le 22 juillet 2004. Quant au versement des indemnités journalières, il a eu lieu, en une fois, le 6 février 2008. Les Hauts magistrats en déduisent « que l’action engagée le 12 octobre 2017, plus de deux ans après le versement des indemnités journalières du 6 février 2008, était prescrite » (pt 8). Les ayants droit du salarié décédé défendaient un autre point de départ : la date à laquelle la rechute a été diagnostiquée. Cette possibilité est clairement écartée : « la survenance d’une rechute d’une maladie professionnelle n’a pas pour effet de faire courir à nouveau la prescription biennale prévue par l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale » (pt 6).

En n’acceptant pas que la rechute fasse courir à nouveau le délai de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirme une solution bien assise (v. not., Soc. 15 juin 1988, n° 86-18.735 P ; Civ. 2e, 29 juin 2004, n° 03-10.789 P ; 1er déc. 2011, n° 10-27.147). Si cette solution a été affirmée à de multiples reprises, elle fait l’objet de contestations. La deuxième chambre civile a eu l’occasion, à deux reprises, de refuser de renvoyer des questions prioritaires de constitutionnalité contestant la constitutionnalité de cette solution. Ce non-renvoi est, notamment, fondé sur l’absence de caractère sérieux des critiques émises. La Cour de cassation juge qu’« il ne peut être sérieusement soutenu que la disposition critiquée, en édictant des règles de prescription de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, qui ne sont pas modifiées en cas de rechute de la victime, porte une atteinte disproportionnée à son droit d’obtenir réparation d’un acte fautif ou méconnaît les exigences du principe d’égalité ; […] en effet l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur n’étant pas liée à l’importance de ses conséquences pour la victime et ne s’appréciant par à la date de la rechute, l’ensemble des victimes disposent de la possibilité d’obtenir, dès la survenance de l’accident ou l’apparition de la maladie professionnelle, la consécration de la responsabilité de l’employeur » (Civ. 2e, 8 sept. 2016, n° 16-12.345, RCA 2017. Comm 9. H. Groutel). Il ne peut pas plus « être sérieusement soutenu […] une atteinte disproportionnée [au droit de la victime] à un recours juridictionnel effectif découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » (Civ. 2e, 23 janv. 2025, n° 24-40.026). Cette position est logique. Seul le fait générateur du dommage est susceptible de constituer une faute inexcusable de l’employeur. Or, ce fait demeure le même pour la maladie professionnelle et pour la rechute. C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle l’indemnisation complémentaire à laquelle la victime d’une faute inexcusable a droit s’étend aux conséquences de la rechute de la maladie (Civ. 2e, 22 janv. 2015, n° 14-10.584 P, D. 2015. 272 ). En l’espèce, le salarié aurait dû solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable commise par son employeur dès qu’il a eu connaissance de sa maladie professionnelle. S’il l’avait obtenue, celle-ci aurait aussi bénéficié à sa rechute. Le fait que l’action soit intentée par les ayants droit du salarié n’a pas d’influence sur le point de départ du délai de prescription (Civ. 2e, 29 juin 2004, n° 03-10.789 P, préc.).

Contestation de la qualification de rechute

La rechute ne faisant pas courir à nouveau le délai de prescription, il peut être opportun pour le salarié ou ses ayants droit de faire valoir que la situation n’est pas une rechute de sa maladie professionnelle, mais une nouvelle maladie professionnelle. Il s’agit du second argument soulevé par les ayants droit en vue de faire prospérer leur action. S’il peut être pertinent de contester la qualification de rechute retenue par la CPAM, encore faut-il que cette contestation intervienne au bon moment. Tel n’a pas été le cas en l’espèce. Comme le rappelle la deuxième chambre civile, « la victime, dont la lésion a été prise en charge par la caisse à titre de rechute, par une décision devenue définitive à son égard, n’est pas fondée à contester ultérieurement cette qualification à l’appui de son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur » (pt 7 ; v. not., Civ. 2e, 19 sept. 2019, n° 18-11.703). Il aurait donc fallu que la victime ou ses ayants droit contestent la décision de la CPAM avant que celle-ci ne devienne définitive. Cette argumentation aurait peut-être pu prospérer. La deuxième chambre civile a déjà admis que les ayants droit d’un salarié décédé sont recevables à agir en reconnaissance de la faute inexcusable à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de la seconde affection subie par la victime dans une hypothèse dans laquelle la nouvelle affection était fondée sur un élément distinct du même tableau de maladies professionnelles que la première affection (Civ. 2e, 16 juin 2011, n° 10-21.419). Or, si les plaques pleurales et le mésothéliome relèvent tous deux du tableau n° 30 relatif aux affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante, elles correspondent à des éléments distincts : B pour les plaques pleurales et D pour le mésothéliome.

Il est ainsi notable que si, sur le fond, la Cour de cassation affirme qu’« ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse […] est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur » (v. not., Civ. 2e, 26 nov. 2015, n° 14-26.240 P, D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ), cette décision a tout de même une influence sur la recevabilité de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable.

 

Civ. 2e, 5 juin 2025, F-B, n° 23-11.468

par Juliette Brunie, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Tours

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