Récidive et qualité d’État membre de l’Union européenne

Une condamnation prononcée par une juridiction d’un État à une date à laquelle ce pays n’était pas membre de l’Union européenne ne peut être retenue comme premier terme de récidive légale.

Poursuivi pour viol aggravé, le requérant a été condamné par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône le 10 novembre 2023, laquelle a constaté l’état de récidive légale, à la peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle, quinze ans d’interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et à une interdiction définitive du territoire français. Dans cette espèce, la cour d’assises a pris en compte, comme premier terme de récidive, la condamnation du requérant par le Tribunal de Bacau, en Roumanie, le 29 juin 2001, pour des faits de tentative de viol et meurtre aggravé. Le requérant s’est pourvu en cassation en critiquant l’arrêt sur le fondement du fait que la condamnation rendue à son encontre par la juridiction roumaine ne pouvait constituer le premier terme de la récidive légale, dans la mesure où, lors du prononcé de cette condamnation, cet État ne faisait pas (encore) partie de l’Union européenne. L’issue du pourvoi avait tout son intérêt eu égard au fait qu’il résulte des articles 222-23-1, 222-23-2 et 222-24 du code pénal que le viol aggravé est puni de vingt ans de réclusion criminelle, hors situation de récidive.

La question qui se posait à la chambre criminelle était de savoir si la décision de justice rendue par un État non encore membre de l’Union européenne à la date de son prononcé, mais devenu membre par la suite, pouvait être retenue comme premier terme d’une récidive légale.

La Cour de cassation, par une interprétation stricte, a tranché en faveur du fait que constitue une condamnation prononcée par la juridiction pénale d’un État membre de l’Union européenne au sens de l’article 132-23-1 du code pénal celle décidée par une juridiction d’un État qui en était membre lors de son prononcé, ce qui n’était pas le cas de la Roumanie qui n’est entrée dans l’Union que le 1er janvier 2007.

Un nouvel éclairage sur les conditions d’application de l’article 132-23-1 du code pénal

Il résulte des dispositions de l’article 132-23-1 du code pénal que pour l’application de ce code et du code de procédure pénale, les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condamnations prononcées par les juridictions pénales françaises et produisent les mêmes effets juridiques que ces condamnations.

Seuls trois arrêts ont été rendus par la Cour de cassation sur le fondement des articles 132-23-1 et 132-23-2 du code pénal depuis leur entrée en vigueur. La chambre criminelle a en effet déjà eu l’occasion de se prononcer en matière d’entraide internationale aux fins de saisie (Crim. 3 févr. 2016, n° 14-84.259, inédit), d’application immédiate des dispositions de l’article 132-23-1 (Crim. 24 mars 2015, n° 15-80.023 P, Dalloz actualité, 14 avr. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2015. 420, obs. J. Lasserre Capdeville ) et de confusion de peines (Crim.19 nov. 2014, n° 13-80.161 P, Dalloz actualité, 7 janv. 2015, obs. M. Léna ; D. 2014. 2411 ; RTD eur. 2015. 348-30, obs. B. Thellier de Poncheville ).

Par la décision rapportée, la chambre criminelle se prononce pour la première fois sur les conditions dans lesquelles la décision d’une juridiction pénale d’un État membre constitue un premier terme de la récidive. Dans la présente espèce, la décision retenue par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône comme constituant le premier terme de la récidive avait été prononcée le 29 juin 2001, soit six ans et demi avant que la Roumanie ne rejoigne l’Union. Ayant été prononcée par la juridiction roumaine à une date antérieure à l’adhésion de cet État à l’Union européenne, ladite décision ne pouvait pas constituer le premier terme de la récidive, peu importe qu’il ait rejoint l’Union par la suite.

Par cet arrêt du 9 octobre 2024, la chambre criminelle entend également confirmer sa jurisprudence sur la prise en considération d’une condamnation étrangère pour l’application du régime de la récidive et maintenir la distinction faite entre les États membres et les États non-membres de l’Union européenne.

Une distinction entre les États membres et les États non-membres de l’Union européenne

En raison du principe de la territorialité de la loi pénale, la France a longtemps refusé toute autorité aux jugements étrangers de telle sorte qu’elle ne tenait pas compte du passé pénal étranger d’un individu à l’occasion de faits ultérieurement commis et poursuivis sur le territoire français, la Cour de cassation considérant que les condamnations pénales prononcées par les tribunaux étrangers n’étaient pas applicables en France (Crim. 30 avr. 1885, S. 1886. 1. 132). Il en résultait une impossibilité de faire exécuter en France un jugement rendu dans un autre État ainsi que l’interdiction pour le juge français de faire produire un quelconque effet à la condamnation prononcée à l’étranger. Ainsi, la Cour de cassation s’est toujours opposée à la prise en considération d’une condamnation étrangère pour l’application du régime de la récidive (Crim. 7 nov. 1968, D. 1969. 220 ; 27 nov. 1928 P).

Cette situation prévaut encore aujourd’hui pour une large part, s’agissant des condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État non-membre de l’Union européenne. S’agissant de ces derniers États, et sauf à ce qu’une convention internationale ait prévu une telle prise en considération, la loi ne prévoit pas de prise en compte d’une condamnation antérieure prononcée à l’étranger sur une condamnation pénale postérieure par les juridictions françaises. Ainsi, tout au plus, les juges peuvent-ils prendre en compte ces condamnations étrangères au titre de leur pouvoir souverain d’appréciation de la peine lorsqu’ils fixent le quantum de la peine dans la limite du maximum légal. Pour reprendre les termes de M. Rebut, « il leur est ainsi loisible de donner un certain effet au passé pénal étranger de la personne (…) mais cette prise en compte doit intervenir dans le cadre des règles applicables à une première condamnation », la condamnation prononcée à l’étranger ne pouvant être qualifiée de premier terme de la récidive pour l’application des règles françaises relatives à la fixation du maximum de la peine (D. Rebut, Droit pénal international, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2015, n° 741).

Il en va différemment d’une condamnation prononcée par un État membre de l’Union européenne.

Outre le développement de la criminalité internationale qui a contraint les États à appréhender de façon plus globale les phénomènes criminels, la construction européenne a également participé de ce mouvement de reconnaissance extranationale des jugements répressifs. Dès le 28 mai 1970, une Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs a été adoptée. En vertu de son article 56, « Tout État contractant prend les mesures législatives qu’il estime appropriées afin de permettre à ses tribunaux, lors du prononcé d’un jugement, de prendre en considération tout jugement répressif européen contradictoire rendu antérieurement en raison d’une autre infraction en vue que s’attache à celui-ci tout ou partie des effets que sa loi prévoit pour les jugements rendus sur son territoire. Il détermine les conditions dans lesquelles ce jugement est pris en considération ». Ce texte a ainsi jeté les bases d’une prise en considération par les États membres des décisions rendues dans un autre État jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par un instrument plus efficace, une décision-cadre n° 2008/675/JAI du Conseil du 24 juillet 2008 (art. 4), dont le but était de permettre que des conséquences soient attachées à une condamnation antérieure prononcée dans un État membre, à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale engagée dans un autre État, dans la mesure où ces conséquences sont attachées à des condamnations nationales antérieures en vertu du droit de cet autre État (consid. 6 du préambule de la décision-cadre).

Sur le plan interne, une évolution était également amorcée.

Un premier élargissement avait été opéré par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 qui avait inséré dans le code pénal l’article 132-16-6, aux termes duquel les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne étaient prises en compte au titre de la récidive. Abrogeant cette loi du 12 décembre 2005 et ainsi ledit article 132-16-6, la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale en a reconduit les termes dans deux nouveaux articles 132-23-1 et 132-23-2 relatifs aux effets des condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne. Alors que l’ancien article 132-16-6 concernait la seule récidive, les dispositions des articles 132-23-1 et 132-23-2 s’étendent aux poursuites, aux condamnations et à l’exécution des sentences pénales. Cet élargissement du dispositif de prise en considération des condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de l’Union européenne s’imposait à la France en raison de la décision-cadre n° 2008/675/JAI précitée.

La chambre criminelle, par son arrêt du 9 octobre 2024, illustre parfaitement cette distinction qui est aujourd’hui faite entre État non-membre et État membre de l’Union européenne, seules les décisions des juridictions pénales de ce dernier pouvant être prises en considération au titre de la récidive.

Rappelons que la récidive est une technique d’aggravation des peines destinée à sanctionner plus sévèrement ceux qui, déjà condamnés pour une première infraction, en commettent une seconde. Aussi, il est heureux que la chambre criminelle encadre de garanties l’application des règles relatives à l’application de ce mécanisme.

 

Crim. 9 oct. 2024, F-B, n° 23-86.770

Lefebvre Dalloz