Reconnaissance conjointe notariée par un couple de femmes : pas de renvoi de QPC devant le Conseil constitutionnel
La Cour de cassation refuse le renvoi devant le Conseil constitutionnel d’une QPC concernant l’article 342-11 du code civil qui impose aux couples de femmes ayant recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur de procéder à une reconnaissance conjointe anticipée pour établir la filiation à l’égard de la femme qui n’accouche pas de l’enfant.
La propension aux demandes de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) à propos des dispositions issues de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, ne faiblit pas. Mais celle-ci, portée devant la Cour de cassation, a eu moins de succès que d’autres (CE, QPC, 7 avr. 2023, nos 467467 et 467776, AJ fam. 2023. 245, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; Cons. const. 9 juin 2023, nos 2023-1052 et 2023-1053 QPC, Dalloz actualité, 29 juin 2023, obs. D. Vigneau ; D. 2023. 1122, et les obs.
; ibid. 2024. 700, obs. P. Hilt
; ibid. 891, obs. REGINE
; AJ fam. 2023. 408, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; ibid. 357, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; RDSS 2023. 853, note L. Brunet et M. Mesnil
).
La Cour de cassation refuse le renvoi devant le Conseil constitutionnel, d’une QPC transmise par le Tribunal judiciaire de Créteil concernant l’article 342-11 du code civil, qui prévoit pour les couples de femmes ayant recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur, une reconnaissance conjointe anticipée devant notaire. La question posée (ou relayée) par le tribunal judiciaire était de savoir si ce texte ne porte pas « atteinte au principe d’égalité et en particulier au principe d’égalité entre les hommes et les femmes, à la liberté personnelle, au droit à une vie familiale normale, au droit au respect de la vie privée, ainsi qu’au principe fondamental reconnu par les lois de la République de gratuité de l’établissement des actes de l’état civil ».
En l’occurrence, deux femmes avaient assigné le procureur de la République devant le tribunal judiciaire, pour qu’il donne instruction à l’officier de l’état civil de recevoir leur reconnaissance conjointe anticipée. La Cour de cassation estime que la question n’est pas nouvelle et qu’elle ne présente pas de caractère sérieux, ce qu’elle explicite avec précision.
La reconnaissance conjointe notariée ne porte pas atteinte au principe d’égalité
Reprenant une formulation habituelle qui appartient au Conseil constitutionnel lui-même, la Cour de cassation rappelle que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes. Il ne s’oppose pas non plus à ce que le législateur déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général. Dans les deux cas, il faut et il suffit que la différence de traitement soit « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». La Cour de cassation estime que tel est le cas, s’agissant de la reconnaissance notariée de l’article 342-11 du code civil.
Des conditions identiques au regard de l’accès à l’AMP
L’un des objets de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a été d’ouvrir aux couples de femmes ayant un projet parental l’accès à l’AMP avec donneur (sur ce point, D. Vigneau, La PMA à tout faire, RGDM 2021. 41), et d’en tirer les conséquences en assurant aux enfants qui en sont issus une « filiation sécurisée », ouvrant les mêmes droits que la filiation fondée sur la vraisemblance biologique ou l’adoption. Au regard de l’accès à l’AMP avec donneur, les conditions sont identiques, qu’il s’agisse d’un couple homme/femme, d’un couple de femmes, ou d’une femme seule. Ces conditions sont fixées par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique : conditions d’âge, entretiens avec l’équipe médicale, consentement préalable à l’insémination artificielle ou au transfert d’embryon. Le texte précise d’ailleurs que l’accès à l’AMP ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement en fonction du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.
Dans tous les cas, les demandeurs à une AMP avec tiers donneur doivent donner préalablement leur consentement à un notaire « qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation, ainsi que des conditions dans lesquelles l’enfant pourra, s’il le souhaite, accéder à sa majorité aux données non identifiantes et à l’identité de ce tiers donneur » (C. civ., art. 342-10). Cet acte revêt une importance particulière, puisqu’il interdit en principe par la suite, toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation (sauf à soutenir que l’enfant n’est pas issu de l’AMP ou que le consentement a été privé d’effet ; C. civ., art. 342-10, al. 3). Il implique en outre des obligations spécifiques pour celui ou celle qui en est l’auteur (obligation de reconnaissance pour l’homme dans le cas d’un couple homme/femme non marié ; obligation de remise de la reconnaissance conjointe à l’officier de l’état civil pour un couple de femmes), obligations dont l’inobservation est de nature à engager sa responsabilité (C. civ., art. 342-13, al. 1er et 3 ; N. Baillon-Wirtz et P. Dauptain, Assistance médicale à la procréation et pratique notariale : nouvelles familles, nouveaux réflexes, JCP N 2022. 1125).
Des modalités différentes au regard de l’établissement de la filiation que justifie une différence de situation
En revanche, explique la Cour de cassation, la situation n’est pas la même « au regard de la vraisemblance biologique du lien de filiation » sous l’angle du parent d’intention et des enfants conçus de cette manière. Effectivement, à l’égard du « père d’intention », la filiation résulte de la présomption de paternité si le couple est marié ou d’une reconnaissance s’il ne l’est pas. Cette reconnaissance peut intervenir après la naissance ou avant (mais après la conception). Ce sont donc les modes d’établissement de droit commun de la filiation prévus par le Titre VII du Livre 1er du code civil qui s’appliquent.
Pour la « mère d’intention » dans le cas d’un couple de femmes, le législateur a opté pour un mode spécifique d’établissement de la filiation, fondé non pas sur la vraisemblance biologique mais sur le projet parental commun (pour la mère biologique, la filiation reste fondée sur l’accouchement ; C. civ., art. 342-11, al. 2). C’est pourquoi il est prévu une reconnaissance conjointe devant notaire lorsque ce dernier recueille le consentement à l’AMP, donc avant même la conception de l’enfant. Tel est l’objet de l’article 342-11 du code civil qui a eu ainsi pour finalité de « sécuriser la filiation » dans cette situation. Selon la Cour de cassation, ce dispositif ne porte pas atteinte au principe d’égalité, puisqu’il instaure une différence de traitement entre des situations différentes, qui est en rapport avec l’objet de la loi.
Le raisonnement et sa conclusion ne souffrent guère de discussion.
Toutefois, il est permis d’observer que la différence de situation, qui justifie la différence de traitement, trouve son origine dans la loi elle-même. Comme le remarque la Cour de cassation, les règles du Titre VII du Livre 1er du code civil dans lequel ont été insérées les dispositions relatives à l’AMP avec donneur sont fondées sur une vraisemblance biologique. Mais pour les couples de femmes ou plus précisément pour la mère d’intention et elle seule, « le législateur a opté pour un mode spécifique d’établissement de la filiation…détaché de toute vraisemblance biologique ». Il est vrai, cela lui appartient. Le Conseil constitutionnel a souvent exprimé son refus de substituer son appréciation à celle du législateur (Cons. const. 8 juill. 2022, n° 2022-1003 QPC, D. 2022. 1313
; ibid. 2229, point de vue B. Moron-Puech
; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot
; ibid. 662, obs. P. Hilt
; ibid. 855, obs. RÉGINE
; ibid. 1235, obs. E. Debaets et N. Jacquinot
; AJ fam. 2022. 435, obs. M. Mesnil
; ibid. 401, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; RTD civ. 2022. 874, obs. A.-M. Leroyer
).
Il n’empêche que la situation qui en résulte est complexe et pour le moins ambigüe. Car en résumé, la critique d’inégalité faite au texte est de ne pas permettre qu’un couple de femmes ayant recours à une AMP avec donneur puisse établir la filiation de l’enfant qui en est issu selon les mêmes modalités qu’un couple homme/femme. Effectivement, la reconnaissance conjointe permettant à deux femmes qui sollicitent une AMP d’établir leur lien de filiation à l’égard de l’enfant n’est pas une reconnaissance de droit commun devant l’officier de l’état civil. Et si le couple de femmes est marié, la présomption de paternité ne s’applique pas.
C’est aussi ce qu’exprimait dans la demande de renvoi de QPC, un autre grief formulé, d’atteinte au principe de gratuité d’établissement des actes de l’état civil qui résulterait du caractère payant de l’acte notarié. La Cour de cassation a pu se borner à répondre que cette disposition étant de nature règlementaire, elle ne peut être soumise au Conseil constitutionnel.
Les compromis consentis par la loi du 2 août 2021 n’auront donc pas suffi à désamorcer les critiques (L. Brunet, Les dispositions de la nouvelle loi de bioéthique sur l’AMP et la filiation des enfants qui en sont issus. Splendeurs et misères du principe de non-discrimination, AJ fam. 2021. 522
). Ni celui consistant à intégrer la filiation par AMP avec donneur dans le Titre VII relatif à la filiation, plutôt que dans un Titre VII bis distinct. Ni celui consistant à abandonner les termes de « déclaration anticipée de volonté » pour préférer celui de reconnaissance conjointe. Au contraire, cela n’a fait que brouiller les pistes et aiguiser un peu plus les revendications.
On entend la différence de situation et la justification d’un traitement différent. On voit plus difficilement pourquoi la filiation de l’enfant issu d’une AMP avec donneur au profit d’un couple de femmes devrait être plus « sécurisée » que celle de l’enfant issu d’une AMP au profit d’un couple homme/femme. Ou dit autrement, on voit mal pourquoi la filiation d’un enfant issu d’une AMP avec donneur au profit d’un couple hétérosexuel devrait être plus aléatoire que celle d’un enfant issu d’une AMP au profit d’un couple de femmes. Car si le couple hétérosexuel n’est pas marié, l’établissement de la filiation paternelle reste dépendant de la reconnaissance volontaire de l’homme ou d’une décision judiciaire. La question est donc en amont celle de la pertinence du choix fait par le législateur de persister à fonder la filiation de l’enfant issu d’une AMP avec donneur sur une « vraisemblance biologique » qui est précisément invraisemblable et d’avoir regroupé dans un même chapitre en lien avec la filiation biologique des modes d’établissement qui sont sans lien avec la réalité biologique.
La reconnaissance conjointe notariée ne porte pas atteinte à la liberté personnelle ni au respect de la vie familiale
On retrouve ici de façon classique un autre grief qui est souvent invoqué en parallèle avec celui de violation du principe d’égalité (Cons. const. 8 juill. 2022, n° 2022-1003 QPC, préc.).
En ce qui concerne l’atteinte à la liberté personnelle, la Cour de cassation rejette brièvement l’objection, « dès lors qu’en consentant à l’assistance médicale à la procréation devant le notaire, la femme qui ne portera pas l’enfant, dans un couple de femmes, comme l’homme, dans un couple composé d’un homme et d’une femme, s’engagent à ce que leur filiation soit établie à l’égard des enfants qui naîtront du projet parental commun ». L’affirmation est exacte, mais elle ne dit pas tout. Car la portée de l’engagement n’est pas la même dans les deux cas, en particulier si le couple n’est pas marié. Le concubin peut ne pas reconnaître l’enfant et sa filiation ne sera alors établie que si une action en recherche est exercée. Il n’en va pas de même pour un couple de femmes : la reconnaissance anticipée est liée au consentement à l’AMP devant notaire et elle ne pourra être contestée qu’en démontrant que l’enfant n’est pas issu de l’AMP.
En ce qui concerne le droit au respect de la vie familiale, la Cour de cassation estime qu’il n’est pas non plus atteint, « le choix du législateur étant précisément de sécuriser la filiation de l’enfant dès l’origine du projet parental ». Plus précisément, ce qui était en cause, c’est la publicité susceptible d’être donnée à la conception et aux origines de l’enfant par l’indication de la mention d’une reconnaissance anticipée à l’état civil. Mais cette mention ne figure pas sur les extraits délivrés aux tiers mais uniquement sur les copies intégrales dont la communication est limitée.
La présente décision répond à la question posée. Elle ne suffira pas, et ce n’était pas son objet, à clore le débat ravivé par la loi du 2 août 2021 sur la filiation des enfants issus d’une AMP avec donneur, et sur le fondement même de la filiation.
Civ. 1re, 10 mai 2024, FS-B, n° 24-40.001
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