Recours après paiement de la caution et plan de surendettement

Dans un arrêt rendu le 4 avril 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que la caution qui a payé après l’adoption du plan de surendettement et qui exerce son recours personnel ne peut pas se voir opposer les mesures de rééchelonnement des dettes du débiteur.

Le 4 avril 2024, la Cour de cassation a pu rendre trois décisions intéressant le droit des sûretés et, plus précisément, le droit du cautionnement personnel. Une première explore l’éventuelle disproportion de cette garantie, motif récurrent en jurisprudence (Com. 4 avr. 2024, n° 22-21.880, D. 2024. 676 ). Les deux autres ont trait à la délicate question des recours que la caution peut exercer au stade de la contribution à la dette. Ces actions sont fondamentales en ce qu’elles permettent de rappeler que le cautionnement personnel n’est qu’une garantie, la caution ne devant rien au stade contributif. Elle doit donc pouvoir se désintéresser facilement à l’aide d’un recours subrogatoire (v. sur l’intensité d’un tel recours, Civ. 1re, 4 avr. 2024, n° 22-23.040, Dalloz actualité, 22 avr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 678 ) mais également grâce à son recours personnel, ces deux actions présentant des avantages différents (v. sur la dualité, P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 241 s., nos 213 s.). Ce dernier motif des recours après paiement est au cœur de l’arrêt que nous étudions aujourd’hui en croisant la route du droit du surendettement, facteur d’une complexité toujours plus grande.

Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont assez simples. Un établissement bancaire consent à deux personnes physiques un prêt par une offre acceptée le 18 juin 2006. L’emprunt s’élève à 208 000 € remboursable en 300 mensualités. L’opération est garantie par un cautionnement donné par une société professionnelle. L’un des deux emprunteurs bénéficie d’un plan de surendettement rééchelonnant les dettes de celui-ci à compter du 31 juillet 2015. Ce plan inclut le paiement de la créance de l’établissement bancaire. Entre mars et mai 2016, la banque met en demeure son débiteur de s’acquitter des échéances à régler. Elle informe ensuite les deux emprunteurs que, vu qu’elle n’a pas été payée à terme, elle entendait prononcer la déchéance du terme. La caution règle les sommes réclamées par le créancier et assigne ainsi les emprunteurs en remboursement. En cause d’appel, les juges du fond décident que la demande en remboursement contre l’époux placé en surendettement doit être rejetée puisqu’un plan éponyme est en cours le concernant. La déchéance du terme ne pouvait pas, selon la cour d’appel, être prononcée en pareille situation, rendant le recours de la caution impossible dans ce contexte.

Celle-ci se pourvoit en cassation voyant dans ce raisonnement une violation des règles gouvernant le recours personnel après paiement. L’arrêt du 4 avril 2024 aboutit, en effet, à une cassation pour violation de la loi.

L’entrecroisement du droit du cautionnement avec la procédure de surendettement

La thématique centrale de l’arrêt, et son originalité ayant expliqué sa publication au Bulletin, repose sur la procédure de surendettement qui a été mise en place dans le courant de l’année 2015 au profit de l’un des deux débiteurs. Comme nous l’avons vu, il s’agissait notamment de l’adoption d’un plan de rééchelonnement des dettes dont celle qui faisait l’objet du cautionnement. Comme bien souvent, le cautionnement ne se combine qu’assez mal avec le droit du surendettement, ce qui devrait par ailleurs pousser le législateur à réfléchir à une réforme systémique de la question. C’est précisément ce caractère malaisé qui explique l’hésitation apparue dans l’affaire ayant donné lieu au pourvoi.

La caution doit-elle se voir opposer le plan de surendettement au moment de son action après paiement ? La question peut faire surgir chez le lecteur quelques hésitations notamment quand nous nous rappelons un arrêt que nous avons commenté dans ces colonnes l’année dernière. Une décision rendue le 13 avril 2023 avait, en effet, interrogé sur le recours de la caution personne morale en matière de surendettement (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 21-23.334, Dalloz actualité, 20 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; Rev. prat. rec. 2023. 7, chron. O. Salati et C. Simon  ; D. 2023. 732 ). La première chambre civile avait pu préciser que la caution, personne morale, qui est devenue personnellement créancière du débiteur par le règlement de la créance initiale effectué au cours de la procédure de surendettement, peut se voir opposer les mesures rendues exécutoires à l’égard de la créance cautionnée, si la caution a été avisée par la commission de surendettement. La condition posée pour une telle opposabilité reposait donc sur un point précis, à savoir l’information donnée à la caution par la commission de surendettement. Toutefois, l’arrêt rendu le 4 avril 2024 examine un pourvoi dirigé contre un arrêt rendu le 11 mai 2022, soit antérieurement à la publication de cette décision.

En tout état de cause, il faut toutefois noter que les juges du fond sont saisis de difficultés importantes autour du carrefour entre droit du surendettement et droit du cautionnement. Malheureusement, aucune règle très précise ne vient régler certaines difficultés rencontrées, ce qui explique que les différents ressorts optent pour des solutions parfois très différentes, notamment sur cette question d’opposabilité des mesures liées au plan de surendettement. Cette position du problème explique pourquoi l’arrêt étudié est publié au Bulletin. La première chambre civile entend essayer d’unifier l’interprétation en la matière, ce qui n’est pas tâche aisée. Plusieurs enjeux s’entrecroisent et se percutent puisque la réponse donnée à l’hésitation peut perturber toute l’économie du plan de surendettement ou, au contraire, empêcher le garant ayant payé la dette d’autrui se pouvoir se désintéresser. Ces intérêts antagonistes expliquent parfaitement l’hésitation quant à la solution à privilégier.

Les mesures de rééchelonnement des dettes ne sont pas opposables à la caution

La cassation opérée par l’arrêt du 4 avril 2024 intervient pour violation de la loi au visa de l’article 2305 ancien du code civil. Ce texte ne délivre toutefois pas la solution directement puisqu’il ne fait que de viser le recours personnel dans sa généralité. On sait que la caution, au stade de la contribution à la dette dispose d’une dualité de recours, à la fois subrogatoire (Civ. 1re, 4 avr. 2024, n° 22-23.040, préc.) mais également personnel.

L’intérêt majeur du recours personnel est la nouveauté du lien obligatoire qui naît entre la caution et le débiteur principal. Cette obligation n’est pas liée à celle qui a été payée et ce contrairement au recours subrogatoire lequel repose intégralement sur le même lien de droit que celui qui unissait le créancier et le débiteur principal. Cette idée est fondamentale pour la motivation de l’arrêt de la première chambre civile et explique que cette dernière censure l’arrêt attaqué. Lorsque le recours est personnel, rien ne permet de justifier que la caution puisse subir les âpretés du plan de surendettement, à défaut d’une règle issue de la loi qui viendrait prévoir le contraire. On pourrait peut-être le regretter, mais dans cette situation, c’est au législateur d’agir.

Lu en diptyque avec l’arrêt rendu le même jour par la même chambre, la décision commentée permet de mettre en lumière toutes les nuances des recours contributifs de la caution. Les professionnels du droit ont tout intérêt à maîtriser cette question car les subtilités sont importantes et peuvent faire varier les solutions drastiquement (ici, par ex., sur l’intérêt de la nouveauté du lien de droit du recours personnel par rapport à la transposition d’un même lien obligatoire du recours subrogatoire).

 

Civ. 1re, 4 avr. 2024, F-B, n° 22-18.822

© Lefebvre Dalloz