Recours relatif aux conditions indignes de détention : liens entre recevabilité et bien-fondé de la requête

Dans le cadre d’un recours relatif aux conditions de détention, le président de la chambre de l’application des peines remplit son office dès lors que les éléments qu’il écarte de sa saisine ont fait l’objet d’une ordonnance d’irrecevabilité du juge d’application des peines. Ce dernier peut déclarer une requête partiellement irrecevable, notamment lorsque les éléments déclarés comme tels ont fait l’objet d’une ancienne requête jugée infondée.

Le recours permettant de faire cesser des conditions indignes de détention, prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale, continue à faire l’objet d’un contrôle de la Haute juridiction qui s’emploie à préciser l’agencement des différentes ordonnances que ce juge doit rendre dans un tel contentieux (M. Giacopelli, JCP 2021. 458 ; J. Falxa, Des précisions sur le recours de l’article 803-8 du code de procédure pénale relatif aux conditions de détention, AJ pénal 2022. 491 ; M. Dominati, De la comparution du détenu lors du recours contre l’indignité des conditions de sa détention, Dalloz actualité, 29 sept. 2022). En effet, ce recours par pallier fait l’objet d’un premier filtre qui prend la forme d’un examen de la recevabilité de la requête que doit opérer le juge d’application des peines ou le juge des libertés et de la détention, selon que le requérant se trouve être, respectivement, une personne condamnée ou une personne détenue provisoirement. Dès lors que le magistrat saisi considère que « les allégations figurant dans la requête sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne », il déclare la requête recevable, en avise l’administration pénitentiaire et conduit une vérification des éléments permettant de retenir le caractère indigne des conditions de détention. Enfin, s’il estime que la requête est fondée, il communique à l’administration pénitentiaire les conditions qu’il considère être contraire à la dignité de la personne humaine, à charge pour cette dernière d’y mettre fin, par tout moyen, sans que le juge lui enjoigne de « prendre des mesures déterminées ». Cette procédure, fractionnée en plusieurs étapes, demande une bonne coordination des offices successives que le juge doit connaître. L’appréciation du bien-fondé de la requête porte-t-elle de manière générale sur le caractère indigne des conditions de détention que la personne détenue peut rencontrer ou doit-elle porter exclusivement sur les moyens retenus par l’ordonnance déclarant la requête recevable ? Par un arrêt du 21 mai 2025, publié au Bulletin, la Cour de cassation apporte plusieurs réponses.

En l’espèce, le requérant a été écroué le 18 novembre 2014 dans un centre de détention pour exécuter plusieurs peines. Il a présenté une requête pour mettre fin aux conditions indignes de détention qu’il décrit notamment au regard d’une mauvaise qualité de chauffage. La requête a été rejetée. Derechef, le 8 mars 2024, il présente une requête semblable dans laquelle il ajoute que « la mauvaise prise en charge de son état de santé, caractérisée par une absence de soins de kinésithérapie, une absence de soins de podologie, l’impossibilité de se fournir des semelles orthopédiques », est constitutive de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. Eu égard au rejet de la première demande qu’avait formée le requérant, le juge d’application des peines rend une ordonnance de recevabilité partielle, considérant que les seuls points nouveaux, relatifs à l’état de santé de la personne détenue, sont recevables. Le juge d’application des peines déclarera ensuite cette requête infondée. Le requérant interjette appel de cette décision devant le président de la chambre d’application des peines, qui confirme l’ordonnance rendue par la juridiction du premier degré. Le requérant forme un pourvoi en cassation.

Le pourvoi formule notamment trois griefs à l’encontre de la décision attaquée. D’abord, il soutient que le juge d’application des peines n’était pas tenu par la décision de rejet de la première requête que le détenu avait formulé et qu’ainsi, il aurait dû opérer un réexamen du caractère indigne des conditions de détention. En confirmant l’ordonnance du juge d’application des peines qui se contente de mentionner l’existence d’une première ordonnance de rejet, le tribunal d’application des peines n’aurait pas répondu au moyen présenté par le requérant et aurait dénaturé l’office du juge qui lui imposait de considérer le caractère indigne des conditions de détention actuelles. Ensuite, le pourvoi fait valoir que le juge d’application des peines ne pouvait rendre une ordonnance de recevabilité partielle, car le recours porte sur les conditions de détention de manière générale et non sur des considérations précises alléguées par le requérant, qui s’apparentent davantage aux moyens soulevés par celui-ci qu’à l’objet même de la requête. De la sorte, l’ordonnance de recevabilité aurait réduit à l’excès la saisine du juge portant sur le bien-fondé de la requête. Enfin, le demandeur au pourvoi soutient que le juge du bien-fondé n’est pas lié par le juge de la recevabilité. De la sorte, quand bien même l’ordonnance de recevabilité aurait évacué des moyens soulevés par le requérant, le jugement portant sur le bien-fondé de la requête aurait dû aller au-delà des seuls moyens présentés devant lui.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en affirmant que le président de la chambre d’application des peines n’a pas à examiner, « en l’absence d’éléments nouveaux, des griefs qui ont fait l’objet de précédentes requêtes, lesquelles ont été rejetées, ni des griefs qui ont été déclarés irrecevables par le juge de l’application des peines » (§ 12).

La recevabilité partielle de la requête

Un des moyens au pourvoi tendait à faire admettre que les juges du fond ne pouvaient déclarer partiellement une requête recevable ou irrecevable, mais que dès lors qu’ils constataient que des allégations constituaient un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne, ils devaient déclarer la requête recevable.

Il est vrai que l’esprit de ce recours, qui tend à mettre fin à des conditions indignes de détention, prend une forme générale qui pourrait être incompatible avec une sélection des griefs qu’effectuerait la juridiction du fond. D’ailleurs, si la juridiction juge le recours bien fondé, elle ne peut enjoindre à l’administration pénitentiaire d’adopter un comportement précis, sa seule obligation étant de faire cesser le caractère indigne des conditions de détention, ce qui insiste bien sur le caractère général de ce recours. Toutefois, cette dernière considération s’explique davantage par le respect de la séparation des pouvoirs, qui interdit que l’autorité judiciaire dicte le comportement de l’administration, que par le caractère général du recours.

Toujours est-il que cette segmentation de la requête, en plus de permettre de concentrer l’office de la juridiction qui se prononcera sur le bien-fondé du recours, semble cohérente avec l’exigence de motivation des décisions prises dans le cadre de l’article 803-8, comme l’indique son « III ».

La présentation d’une nouvelle requête

L’alinéa 3 de l’article 803-8 du code de procédure pénale expose deux conditions qui limitent la possibilité pour une personne détenue de formuler un nouveau recours alors même qu’une requête précédente avait déjà été présentée. D’une part, une nouvelle requête ne peut être présentée tant qu’il n’a pas été statué sur la requête précédente. Le parcours judiciaire de la requête doit aller au terme du processus judiciaire avant que la personne détenue puisse en formuler une nouvelle. D’autre part, lorsqu’une requête a été jugée infondée, la personne détenue doit justifier de l’existence d’un élément nouveau qui modifie les conditions de détentions. Une requête jugée infondée est donc estimée avoir purgé les demandes juridiques formulables sur le fondement de l’article 803-8 du code de procédure pénale à l’encontre des conditions de détention que la personne connaît. De la sorte, la personne détenue doit se prévaloir de conditions de détention inédites pour que sa demande passe l’examen de recevabilité de la requête.

Le jugement portant sur le recours qu’une personne détient contre ses conditions de détention qu’elle estime être indignes provoque des effets similaires à une autorité de la chose jugée qui vient cristalliser la qualification que revêtent les faits. Ainsi, c’est à bon droit que le juge d’application des peines peut déclarer irrecevable une prétention qui a été absorbée par un jugement précédent, sans qu’il motive sa décision. La juridiction du premier degré peut se contenter de mettre en évidence une symétrie dans les moyens présentés par une requête déclarée irrecevable et les moyens soutenant la requête dont il est saisi.

La décision rendue par la Haute juridiction consiste donc dans une stricte application de l’alinéa 3 de l’article 803-8 du code de procédure pénale, qui a l’avantage de restreindre le nombre de recours pouvant être déposés devant les juridictions, alors même, au dire des décisions précédentes d’irrecevabilité, qu’aucun caractère indigne des conditions de détention ne pouvait être retenu. Toutefois, et sans que ce soit le cas en l’espèce, il n’est pas sûr que toutes les conditions présentées comme étant indignes, et qui auraient abouti à une requête déclarée infondée, rejetant par là sa mobilisation dans un autre recours, ne puisse pas faire l’objet d’un nouvel examen.

En effet, si à la défectuosité d’un chauffage venait s’ajouter la défectuosité d’une fenêtre et l’absence de distribution de couverture supplémentaire, on peut supposer que la juridiction tiendrait compte de cette première condition de détention ayant déjà fait l’objet d’un recours sur le fondement de l’article 803-8. Ainsi, il est probable que l’existence d’un élément nouveau modifiant les conditions de détention permette d’opérer un examen global des conditions de détention, et donc de lever cette forme d’autorité de la chose jugée qui recouvrait des conditions déjà citées dans une requête jugée infondée.

Relevons que cet argument présenté dans le pourvoi tend une fois de plus à faire admettre que le recours fondé sur l’article 803-8 du code de procédure pénale présente un caractère général. En effet, le demandeur affirmait que le juge d’application des peines ne pouvait être tenu par une requête précédente qui limiterait les griefs invoqués par le requérant « dès lors que ceux-ci participent des conditions effectives de détention » (§ 10, 2°).

Le champ d’application du jugement portant sur le bien-fondé de la demande

Enfin, le demandeur au pourvoi faisait valoir que la juridiction ayant à se prononcer sur le bien-fondé de la demande ne peut être limitée à la décision de recevabilité de la requête ; que le juge se doit de répondre à l’ensemble des demandes formulées par le requérant et qu’ainsi, il ne peut se contenter de mentionner le jugement ayant porté sur la recevabilité de la requête pour évacuer les moyens soulevés par le requérant. La Cour répond qu’il ne peut être fait grief au président de la chambre de l’application des peines « de n’avoir pas pris en considération […] des griefs qui ont été déclarés irrecevables par le juge de l’application des peines, dans son ordonnance du 18 mars 2024, laquelle n’a pas fait l’objet d’un appel, et est devenue définitive ».

Si la Cour affirme donc que l’office du juge du bien-fondé est bien limité par l’ordonnance ayant déclaré recevable la requête, elle indique également que le requérant disposait d’une voie de droit pour contester l’irrecevabilité partielle de ladite ordonnance.

Cette solution peut toutefois présenter un net davantage. D’une part, l’article 803-8 du code de procédure pénale prévoit que le juge « procède ou fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire » (C. pr. pén., art. 803-8, al. 4). Cette vérification sommaire reste tout de même le lieu de découverte de conditions indignes de détention. Or, elle n’est prévue que lorsque la requête a été jugée recevable. De la sorte, une condition qui aurait été jugée irrecevable, mais qui se serait révélée participer au caractère indigne des conditions de détention, ne pourrait être réintégrée au recours présenté par le détenu et ne pourrait donc être prise en considération par le juge du bien-fondé. D’autre part, et dans le même ordre d’idée selon lequel il ne semble pas opportun de cristalliser la saisine de la juridiction par la décision de recevabilité de la requête, l’on sait que le recours fondé sur l’article 803-8 tend à prendre en compte le caractère évolutif des conditions de détention. La Cour avait déjà affirmé que l’office du juge, « saisi sur le fondement de l’article 803-8 du code de procédure pénale, même au cas où il statue sur le seul appel d’une personne détenue, consiste à apprécier la réalité concrète des conditions de l’incarcération de celle-ci, au jour où il se prononce » (nous soulignons ; Crim. 8 janv. 2025, n° 24-82.191, Dalloz actualité, 23 janv. 2025, obs. D. Gandolfo ;  D. 2025. 58 ; ibid. 558, chron. Faty Diop, S. Gillis, B. Joly, P. Mallard et O. Violeau ; ibid. 1092, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et E. Péchillon ; AJ pénal 2025. 102, obs. J. Falxa ). Or, par la présente décision, l’office du juge devrait être limité à la saisine que l’ordonnance de recevabilité confère à la requête.

Par conséquent, une évolution des conditions d’incarcération ne pourra être prise en compte dans le recours présenté par le requérant. Elle constituera cependant un nouvel élément permettant de déposer derechef un recours une fois celui-ci terminé. Cette présente décision pourrait donc favoriser une multiplication des recours fondés sur l’article 803-8 du code de procédure pénale.

 

Crim. 21 mai 2025, F-B, n° 24-83.958

par Dorian Gandolfo, Doctorant contractuel à la Faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille Université

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