Référé contre un accord collectif et forclusion de l’action syndicale

Le délai de forclusion de deux mois prévu par l’article L. 2262-14 du code du travail est applicable à l’action en suspension ou en inopposabilité erga omnes d’un accord collectif formée devant le juge des référés, eu égard aux effets d’une telle action. Par ailleurs, un syndicat ne disposant pas d’une section syndicale au niveau de l’entreprise constituant le champ d’application de l’accord collectif en cause et qui, dès lors, n’est pas fondé à invoquer les dispositions de l’article L. 2262-14, 1°, du code du travail, doit, en application du 2° du même article, agir en nullité, en suspension ou en inopposabilité erga omnes de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif, à peine d’irrecevabilité, dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’accord prévue à l’article L. 2231-5-1.

Il est aujourd’hui bien ancré que les syndicats professionnels sont recevables à demander l’exécution d’une convention ou d’un accord collectif de travail, même non étendu, la jurisprudence considérant que son inapplication cause nécessairement un préjudice à l’intérêt collectif de la profession (Soc. 3 mai 2007, n° 05-12.340, D. 2007. 1504, obs. A. Fabre ; Dr. soc. 2008. 571, étude O. Levannier-Gouël ; RDT 2007. 536, obs. G. Borenfreund ; JSL 2007, n° 218-4). De même est-il jugé aujourd’hui que l’action d’un syndicat en exécution d’un accord collectif, qu’il en soit ou non signataire, n’est pas subordonnée à la mise en cause de tous les signataires de l’accord (Soc. 15 mai 2024, n° 22-12.780 B, D. 2024. 967 ; RJS 7/2024, n° 389 ; SSL 2024, n° 2100, p. 20, obs. N. Gssime ; JCP S 2024. 1244, obs. B. Gauriau). Mais qu’en est-il de la contestation d’un tel accord, le cas échéant par un syndicat non représentatif, qui n’en est pas signataire mais dont le contenu est susceptible de lui faire grief ? C’est précisément dans ce contexte, sur fond de condition de recevabilité de l’action pour cause de forclusion, qu’est intervenu l’arrêt du 23 octobre 2024 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation.

En l’espèce, la société Enedis, filiale à 10 % d’EDF, avait conclu avec trois organisations syndicales représentatives un accord collectif le 25 mars 2019, dénommé « accord relatif à l’exercice du droit syndical d’établissement au sein d’Enedis ». Cet accord prévoyait l’octroi de crédit d’heures supplémentaires pour les seules organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise.

La société EDF a signé quelques temps plus tard avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise, un accord collectif similaire, relatif à la mise en place des délégués syndicaux et à l’exercice du droit syndical au sein de la société EDF. Cet accord prévoyait quant à lui l’octroi d’un crédit d’heures supplémentaires national aux organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise.

La fédération syndicale Sud Energie, arguant d’une inégalité de traitement au bénéfice des organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise instituée par les deux accords précités, a assigné la société EDF et la société Enedis devant le juge des référés du tribunal judiciaire sur le fondement du trouble manifestement illicite en lui demandant, à titre principal, de déclarer inopposables aux organisations syndicales les conditions de représentativité stipulées et, à titre subsidiaire, de suspendre leur application et d’enjoindre à la société EDF et la société Enedis de convoquer les parties intéressées afin de négocier un accord conforme au principe d’égalité entre les organisations syndicales.

Le juge du référé déclara toutefois les demandes du syndicat irrecevables, de sorte que ce dernier forma un pourvoi en cassation, que la chambre sociale va rejeter.

Précision du champ d’application du délai de forclusion de l’article L. 2262-14

L’éminente juridiction va en effet profiter de cette saisine pour rappeler les dispositions de l’article L. 2262-14 du code du travail instituant le délai de deux mois dans lequel toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée. L’article précise en outre le point de départ, alternatif selon l’hypothèse, qui court à compter :

  • 1° De la notification de l’accord d’entreprise prévue à l’article L. 2231-5, pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;
  • 2° De la publication de l’accord prévue à l’article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas.

Il est en outre rappelé que ce délai s’applique sans préjudice des articles L. 1233-24, L. 1235-7-1 et L. 1237-19-8 du code du travail.

Les Hauts magistrats vont déduire du texte que le délai de forclusion de deux mois qu’il prévoit est applicable à l’action en suspension ou en inopposabilité erga omnes d’un accord collectif formée devant le juge des référés, eu égard aux effets d’une telle action.

Syndicat sans section syndicale et point de départ du délai de forclusion

Par extension et application du 2° de l’article, la chambre sociale va sans surprise affirmer qu’un syndicat ne disposant pas d’une section syndicale au niveau de l’entreprise constituant le champ d’application de l’accord collectif en cause et qui, dès lors, n’est pas fondé à invoquer les dispositions de l’article L. 2262-14, 1°, du code du travail, doit, en application du 2° du même article, agir en nullité, en suspension ou en inopposabilité erga omnes de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif, à peine d’irrecevabilité, dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’accord prévue à l’article L. 2231-5-1.

Or en l’espèce, la fédération qui entendait contester les dispositions de l’accord collectif en en demandant l’inopposabilité (fût-ce par voie de référé), ne disposait pas de section syndicale au niveau des entreprises Enedis et EDF lors de la signature des accords collectifs en cause, de sorte que les accords litigieux ne devaient pas lui être notifiés en application de l’article L. 2262-14, 1°, et que l’action devait être engagée dans les deux mois de leur publication conformément aux dispositions de l’article L. 2262-14, 2°.

Constatant que l’accord concerné avait été signé le 5 juillet 2019, publié le 16 juillet 2019 sur la base de données nationale, alors que la fédération n’a saisi le juge des référés que par actes des 25 et 26 novembre 2021, force était de constater que l’action devait être considérée comme irrecevable, le délai de forclusion ayant expiré.

La solution ne surprend pas en ce qu’elle avait déjà été amorcée en 2022 concernant l’application du délai de forclusion pour agir en nullité d’un accord de branche, la chambre sociale ayant alors précisé que celui-ci court à compter de la date à laquelle l’accord de branche a été rendu public par sa publication au BOCC qui, en conférant date certaine, répond à l’objectif de sécurité juridique. Il avait alors été précisé que le versement dans une base de données nationale, dont le contenu est publié en ligne dans un standard ouvert aisément réutilisable, n’est qu’une mesure complémentaire répondant à l’objectif d’accessibilité de la norme de droit (Soc. 21 sept. 2022, n° 20-23.500 B, Dalloz actualité, 12 oct. 2022, obs. H. Ciray ; D. 2022. 1706 ; ibid. 2245, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2023. 60, obs. G. François ; RJS 11/2022, n° 574;).

La solution semble ici un peu différente en ce que la date de publication sur la base de données nationale constituait bien le point de départ du délai de forclusion, faute d’autres publications officielles antérieures. L’éminente juridiction adopte ainsi une posture pragmatique en considérant la première publication officielle comme constitutive du point de départ du délai de forclusion prévu au 2° de l’article L. 2262-14.

L’on pourra regretter que ce point de départ soit alors laissé sous l’empire de l’aléa de la célérité à laquelle les services de la plateforme accords-depot.travail.gouv.fr, laquelle semble toutefois importante, l’espèce montrant un délai de seulement onze jours entre la signature et la publication, assurant ainsi une sécurité juridique acceptable pour les signataires, ainsi encouragés à procéder aux modalités de publicité sans tarder.

 

Soc. 23 oct. 2024, F-B, n° 22-24.815

© Lefebvre Dalloz