Référé pénal environnemental : clarifications sur le contentieux des difficultés d’exécution des mesures conservatoires
Se prononçant sur le contrôle de l’exécution des mesures de précaution ordonnées par le juge des libertés et de la détention dans le cadre du référé pénal environnemental, la chambre criminelle restreint le champ d’action des associations de défense pour l’environnement. Ses motivations sont néanmoins riches d’enseignements sur le traitement des difficultés d’exécution des mesures conservatoires.
Après l’alinéa premier de l’article L. 216-13 du code de l’environnement relatif aux conditions d’ouverture de la procédure de référé pénal environnemental, c’est au tour du quatrième et du cinquième alinéas d’être soumis au précieux examen de la chambre criminelle. Laquelle, dans un arrêt du 14 janvier 2025, s’est interrogée sur l’exécution des mesures conservatoires (de précaution) ordonnées par le juge des libertés et de la détention (JLD) dans le cadre du référé pénal environnemental. Comme l’indique son communiqué, cet arrêt est à rapprocher des arrêts rendus en matière de contentieux de recouvrement d’une astreinte devant le juge répressif ayant prononcé la condamnation (Crim. 28 juin 2016, n° 15-84.968 P, RDI 2016. 601, obs. G. Roujou de Boubée
; RSC 2016. 788, obs. J.-H. Robert
; 24 mars 2015, n° 14-84.154 P, Dalloz actualité, 10 avr. 2015, obs. J. Gallois ; RDI 2015. 487, obs. G. Roujou de Boubée
; AJ pénal 2015. 372, obs. D. Cholet
). Pour autant, c’est bien de manière nouvelle que la chambre criminelle vient traiter des difficultés d’exécution de mesures conservatoires ordonnées en amont de toute condamnation pénale. Ce nouvel examen de la procédure de référé pénal environnemental nous invite ainsi à la découverte d’un contentieux au demeurant encore flou, quelque peu étrange(r). Lequel est appelé à se pérenniser à mesure que les pouvoirs d’injonction du juge pénal se renforcent, en particulier en matière environnementale.
À l’origine de cet arrêt, une association locale agréée de défense pour l’environnement avait signalé au procureur de la République du Puy-en-Velay des faits de pollution d’un cours d’eau en lien avec les dysfonctionnements d’un système d’épuration géré par la communauté de communes. Les faits matériels reprochés intégrant l’une des catégories de situation illicite ouvertes à la procédure de référé pénal environnemental, l’association demandait alors au procureur, sur la base de l’article L. 216-13, alinéa 1er, du code de l’environnement, de requérir du JLD qu’il prenne des mesures utiles en vue de suspendre l’activité litigieuse. Saisi en urgence par requête du procureur, ce dernier ordonnait, par une décision du 5 mai 2022, à la communauté d’agglomération du Puy-en-Velay de prendre diverses mesures destinées à remédier aux faits visés de pollution des eaux, dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 1 000 € par jour calendaire de retard. Faute d’exécution des mesures ordonnées par la communauté de communes, le 20 mars 2023, l’association déposait une requête en liquidation de l’astreinte auprès du JLD, qui l’a déclarée irrecevable. Elle interjetait alors appel de cette décision sur la base du cinquième alinéa de l’article L. 216-13 du code de l’environnement, tandis qu’entre-temps, le procureur avait sollicité du JLD la liquidation de l’astreinte.
Le 29 août 2023, la chambre de l’instruction près la Cour d’appel de Riom déclarait son appel irrecevable, aux motifs que l’énoncé du cinquième alinéa de l’article L. 216-13 n’ouvre que de manière restrictive le droit d’appel au procureur de la République ou à la personne concernée par les mesures. L’association formait un pourvoi en cassation contre cet arrêt, à l’appui de plusieurs moyens, parmi lesquels était sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant la lettre de l’article L. 216-13, prévoyant ainsi que, dans la perspective d’une censure de ce texte, l’arrêt attaqué serait alors privé de toute base légale (§ 17). Dans un arrêt du 23 avril 2024 (Crim. 23 avr. 2024, n° 23-85.490), la chambre criminelle refusait de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité faute de caractère nouveau et sérieux.
Dans l’arrêt du 14 janvier 2025, la chambre criminelle avait donc à répondre à la question principale de savoir si l’association avait le droit d’intervenir dans le cadre de la procédure de référé pénal environnemental, en particulier concernant l’exécution des mesures conservatoires, devant le JLD, au regard de l’article L. 216-13 du code de l’environnement. La chambre criminelle rejette le pourvoi, en revenant sur les modalités de contrôle des difficultés d’exécution des mesures ordonnées devant le JLD. Outre la restriction portée au champ d’action des associations agréées en la matière, l’arrêt précise le caractère exclusif des compétences du procureur dans le traitement d’éventuelles difficultés d’exécution.
Les modalités de recours devant le JLD dans le cadre du référé pénal environnemental
Rejet de la qualité de partie des associations
Pour critiquer l’arrêt de la chambre de l’instruction qui lui faisait grief, la requérante articulait principalement ses prétentions autour de la qualité de partie à la procédure de référé pénal environnemental des associations de défense de l’environnement, acquise au moment de la dénonciation des faits litigieux au procureur. La requérante lui avait demandé de requérir auprès du JLD de prendre les mesures conservatoires nécessaires contre la station d’épuration gérée par la communauté de communes sur la base du premier alinéa de l’article L. 216-13 du code de l’environnement.
Son raisonnement juridique résulte d’une interprétation large de la notion de « personne concernée » pouvant faire appel des ordonnances du juge, mentionnée au cinquième alinéa de l’article L. 216-13. Revêtant cette qualité, elle serait en mesure de formuler toute requête en matière d’exécution devant le JLD, sans l’intermédiaire du procureur, pour garantir l’effet utile des mesures ordonnées (al. 4), de relever appel de ses décisions (al. 5), mais également, d’avoir accès au dossier et de pouvoir prendre connaissance des réquisitions du procureur (§ 6). L’association requérante estimait en outre que ce domaine d’intervention devant le JLD lui était conféré au regard d’une pluralité de sources constitutionnelles et européennes. C’est en ce sens qu’elle critiquait la constitutionnalité de l’article L. 216-13 au regard des premiers articles de la Charte de l’environnement, dès lors qu’il ne prévoit pas explicitement que les associations de protection de l’environnement agréées au titre de l’article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels sont recevables à solliciter la liquidation de l’astreinte assortissant des mesures de protection de l’environnement (Crim. 23 avr. 2024, n° 23-85.490, § 1 ; Arrêt commenté, § 14).
La Haute juridiction ne s’associe pas à cette analyse juridique, considérant que l’article L. 216-13 est, au contraire, très intelligible et qu’il ne confère aucunement la qualité de partie à la procédure de référé aux associations alors même qu’elles auraient été à l’origine de la sollicitation de son ouverture auprès du procureur (§ 13). Par conséquent, l’association ne saurait voir déclarée recevable sa demande de liquidation de l’astreinte pour assurer la bonne exécution des mesures ordonnées. La chambre criminelle va même plus loin que la chambre de l’instruction en déclarant que « toute action relevant de la procédure engagée sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement ne peut être poursuivie que par le procureur de la République ou la personne concernée » (§ 15). Sans l’aborder explicitement, elle exclut par la même occasion une éventuelle démonstration sur l’existence d’un grief lié à la limitation d’accès au dossier et aux réquisitions du procureur. Enfin, concernant la question d’un éventuel droit d’appel des associations contre les décisions du JLD, la chambre criminelle confirme l’arrêt contesté, en ce que le recours prévu au cinquième alinéa de l’article L. 216-13 n’est ouvert que de façon restrictive, au procureur de la République ou à la personne concernée par les mesures (§ 9). L’échec de la démonstration soutenue par la requérante était inévitable. L’approche adoptée autour de « la personne concernée » apparaît quelque peu artificielle. Comme le précise la chambre criminelle, la « personne concernée » par ledit droit d’appel ne peut être que la personne physique ou morale obligée par la mesure ordonnée, tel que spécifié dans le premier alinéa de l’article L. 216-13. L’expression « personne concernée » se substitue ici en effet à celle de « personne mise en cause », en ce qu’il n’est pas exigé de faute préalable de nature à engager la responsabilité pénale de la personne (Crim. 28 janv. 2020, n° 19-80.091, Dalloz actualité, 16 mars 2020, obs. A. Roques ; D. 2020. 864
, note A. Dejean de la Bâtie
; AJ pénal 2020. 135, obs. A. Dumas-Montadre
; RSC 2020. 336, obs. E. Monteiro
).
Ces éléments poussent un peu plus à analyser la procédure de référé pénal environnemental depuis une temporalité bien différente d’éventuelles phases d’enquête et d’investigations en vue d’établir les infractions commises. Le recours au juge pénal vise à faire cesser en urgence une des situations illicites dommageables pour l’environnement prévues par le législateur. À ce stade, aucune faute pénale n’est établie contre la personne concernée par les mesures ordonnées (§ 10), lesquelles ne sauraient s’analyser comme des sanctions pénales (§ 11). Par conséquent, l’association ne peut se prévaloir d’un préjudice potentiel, voire éventuel, à son égard, même dans une finalité collective, et alors même qu’elle se serait constituée partie civile dans le dossier impliquant la personne concernée.
Rappel du caractère public de l’action répressive
En soulignant ces éléments, la Haute juridiction insiste sur le fait que même si la procédure de référé pénal environnemental présente certaines particularités, qui sont le résultat de son objectif préventif, elle reste une procédure de nature pénale. À l’heure d’une réflexion commune sur le référé environnemental (Proposition de loi visant à adapter la procédure des référés aux enjeux environnementaux, n° 741, 19 déc. 2024 ; Mission « flash » sur le référé spécial environnemental, 10 mars 2021), ce rappel, bien qu’évident, était opportun. Si le référé pénal, à l’instar de son homologue civil, est une procédure judiciaire d’urgence, ils ne sauraient, sous prétexte de justice environnementale, être confondus. L’action répressive (même d’urgence) est exercée au nom des intérêts de la société par le ministère public, seul détenteur légitime. L’action civile ne peut lui être substituée. Aussi, en renvoyant à son arrêt du 23 avril 2024 (Crim. 23 avr. 2024, n° 23-85.490 QPC), la chambre criminelle considère que le législateur, en installant la procédure de référé pénal environnemental sollicitée par le procureur auprès du juge pénal, a suffisamment garanti l’effectivité des articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement (ibid., § 6), lesquels imposent aux autorités publiques de prévenir les atteintes à l’environnement avant même d’impliquer la société civile dans la protection de l’environnement.
Le caractère exclusif des compétences du procureur dans le traitement des difficultés d’exécution des mesures conservatoires dans le cadre du référé pénal environnemental
Contrôle opéré des difficultés d’exécution des mesures
La légitimité soutenue d’une action des associations devant le JLD est également appuyée d’une lecture combinée de l’article L. 216-13 du code de l’environnement et des articles 710 et 711 du code de procédure pénale relatifs aux contentieux des incidents d’exécution de sentences pénales. Jouant à nouveau avec les imprécisions du législateur, la requérante considérait que les associations agréées de protection de l’environnement, tout comme les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels, pouvaient être considérées comme des « personnes intéressées » au sens de l’article 711 du code de procédure pénale (Crim. 14 janv. 2025, § 7 ; 4°). Or, de manière constante, la chambre criminelle considère que la partie intéressée recevable correspond à toute personne visée par une mesure d’exécution d’une décision pénale (Crim. 6 mars 2001, n° 00-82.842, D. 2001. 1774
; 21 nov. 2006, n° 05-85.985 P, Dalloz actualité, 5 févr. 2007, obs. E. Allain ; AJ pénal 2007. 89, obs. G. Roussel
). Elle confirme, sans apporter plus de précisions, l’interprétation de la chambre de l’instruction estimant qu’il résulte de la combinaison des dispositions de l’article L. 216-13 du code de l’environnement avec celles de l’article 710 du code de procédure pénale que seul le procureur de la République est compétent pour saisir le JLD afin de prendre toute mesure utile et régler toute difficulté d’exécution afférente (§§ 11 et 12). Aussi, jusqu’à la levée des mesures ordonnées par le JLD ou jusqu’à la saisine du juge du fond, le procureur de la République peut faire remonter les difficultés d’exécution des mesures au JLD, notamment en demandant la liquidation d’astreinte. Ce qu’il avait, en l’occurrence, fait.
Pour autant, la combinaison de l’article L. 216-13 du code de l’environnement et de l’article 710 du code de procédure pénale apparaît juridiquement erronée. Il est vrai que ce régime intègre le contentieux du recouvrement de l’astreinte prononcée par la juridiction de condamnation, à l’appui notamment d’une jurisprudence importante en matière de travaux irréguliers (Crim. 24 mars 2015, n° 14-84.300, Dalloz actualité, 17 avr. 2015, obs. J. Gallois ; D. 2015. 734
; RDI 2015. 301, obs. G. Roujou de Boubée
; AJ pénal 2015. 322, obs. D. Cholet
; 21 nov. 2017, n° 17-80.016, Dalloz actualité, 4 déc. 2017, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2017. 2338
; D. 2017. 2427
; RDI 2018. 97, obs. G. Roujou de Boubée
; AJCT 2018. 230, obs. L. Moreau
). Mais ledit régime concerne l’exécution des sentences pénales, non les simples mesures conservatoires qui ne sauraient pouvoir y être assimilées ! La chambre criminelle a déjà eu à corriger une telle confusion (Crim. 28 janv. 2020, n° 19-80.091, préc.), situant son origine dans la localisation même de l’article L. 216-13 dans le code de l’environnement, dans une sous-section « Sanctions pénales » intégrant un chapitre intitulé « Contrôles et sanctions ». La chambre criminelle reviendra ainsi pédagogiquement sur l’analyse des juges d’appel, admettant que « les astreintes ainsi prononcées constituent des mesures à caractère réel destinées à faire cesser une situation illicite, et non des sanctions pénales » (§ 11), bien qu’elles soient prononcées et liquidées par le juge pénal.
Nécessité d’un régime spécial
On pourra critiquer l’absence de censure de la combinaison de l’article L. 216-13 du code de l’environnement avec le régime de l’article 710 du code de procédure pénale – maladresse que la Cour est plus encline à relever dans le cadre du contentieux de recouvrement d’astreinte devant le juge qui a prononcé la sentence pénale (Crim. 24 mars 2015, n° 14-84.154 P, préc.). Il est regrettable que le contentieux des difficultés d’exécution des mesures conservatoires ordonnées par le juge pénal ne bénéficie pas d’un régime propre. Dans son arrêt, la chambre de l’instruction soulignait d’ailleurs très justement l’absence d’informations sur le contrôle de l’exécution de ces mesures dans le cadre du référé pénal environnemental (§ 9). L’article L. 216-13 du code de l’environnement précise en effet uniquement la levée ou l’extinction des mesures.
Sollicitation possible du procureur
L’aide des associations dans la garantie de bonne exécution des mesures n’est toutefois pas niée par la Cour de cassation. Les associations peuvent éventuellement demander au procureur de requérir auprès du JLD la liquidation d’astreinte (§ 12). Le législateur a manqué de poursuivre son raisonnement, entamé à l’alinéa 1er, jusqu’au bout, en ne prévoyant pas cette possibilité en cours d’exécution. La contribution des associations en surveillance bénéfique au procureur mériterait toutefois de leur reconnaître un statut particulier. À l’instar du modèle de l’action civile publique dans certains systèmes juridiques étrangers, penser une action publique représentée (toujours) par le procureur, combinant les revendications des associations de défense pour l’environnement, permettrait d’atteindre un certain équilibre et de valoriser les travaux des associations partenaires des juridictions du ressort, tout comme de les sécuriser.
Conclusion
Par cet arrêt, une distinction semble devoir désormais être faite entre, d’une part, les recours possibles quant aux mesures décidées par le JLD, ouverts au procureur et à la personne concernée par ces dernières, et, d’autre part, le traitement des difficultés d’exécution des mesures conservatoires par la personne concernée devant ce même juge pénal, relevant du domaine exclusif du procureur de la République. La restriction du champ d’action des associations apparaît ainsi parfaitement justifiée, mais le régime de contrôle de l’exécution des mesures conservatoires, qui se distingue de celui des sentences pénales, mériterait d’être mieux encadré par le législateur pour éviter à l’avenir toute confusion et consolider ces éclaircissements jurisprudentiels.
En dépit des premières critiques qui lui sont réservées, cet arrêt marque une étape de plus dans la construction solide d’une jurisprudence sur le contentieux pénal de l’urgence (environnementale), qui devrait, au contraire, réjouir les plus fervents défenseurs du bien environnemental.
Crim. 14 janv. 2025, F-B, n° 23-85.490
© Lefebvre Dalloz