Réforme du crédit à la consommation (partie 4 : le contrôle de la solvabilité de l’emprunteur)
Parmi l’ensemble des mesures prévues par la réforme du crédit à la consommation qui entrera en vigueur le 20 novembre 2026, celles relatives à la solvabilité de l’emprunteur se distinguent tout particulièrement. Le législateur a en effet opéré un véritable renforcement des exigences imposées en la matière. Les nouvelles règles traitent tant des éléments à prendre en compte que de la manière d’évaluer la capacité financière des emprunteurs.
Dans les contrats de prêt d’argent, la solvabilité d’un candidat à l’emprunt a coutume d’intéresser le prêteur (sur ce point, A. Salguerio, Les modes d’évaluation de la dignité du crédit d’un emprunteur, thèse, Fondation Varenne, 2006). L’emprunteur s’obligeant le plus souvent à rembourser la somme prêtée avec d’éventuels intérêts, il est naturel que le prêteur s’enquière de la capacité de son futur contractant à honorer son engagement. Par cette vérification, le créancier cherche donc essentiellement à se prémunir du risque de défaillance de son débiteur (sur la notion de risque, v. D. Krajeski, L’intuitus personae dans les contrats, thèse, Université Toulouse 1).
En matière de crédit à la consommation, le prêteur n’est toutefois pas le seul à attacher de l’importance à la capacité financière de l’emprunteur. Elle est également une préoccupation du législateur et du juge. Dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 25 mars 2016, l’article L. 312-16 du code de la consommation oblige le prêteur, avant la conclusion du contrat de crédit, à « vérifier la solvabilité de l’emprunteur ». L’examen de la solvabilité apparaît d’autant plus impérieux que la Cour de cassation met à la charge des professionnels du crédit un devoir de mise en garde des emprunteurs non avertis contre les dangers d’un crédit excessif (v. sur ce point, Cass., ch. mixte, 29 juin 2007 n° 06-11.673, D. 2007. 2081
, note S. Piedelièvre
; ibid. 1950, obs. V. Avena-Robardet
; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; RTD civ. 2007. 779, obs. P. Jourdain
; RTD com. 2007. 579, obs. D. Legeais
; D. 2008. 256, note E. Bazin
; Com. 25 janv. 2023, n° 20-12.811, Dalloz actualité, 2 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 172
; RTD civ. 2023. 379, obs. P. Jourdain
). Omettre ou négliger l’examen de la solvabilité du consommateur n’est alors pas sans conséquence pour l’établissement de crédit. Dans cette hypothèse, ce dernier, une fois le contrat conclu, peut se voir déchu de son droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-2 et L. 341-3). Il peut également voir sa responsabilité engagée au titre du manquement à son devoir de mise en garde.
Jusqu’ici, le code de la consommation n’encadrait pas de façon détaillée cette obligation légale. Les prêteurs se devaient simplement de vérifier la solvabilité de l’emprunteur à partir « d’un nombre suffisant d’informations » et de consulter le fichier des incidents de remboursement de crédit aux particuliers (FCIP ; C. consom., art. L. 312-16). Dès lors, les établissements de crédit bénéficiaient d’une grande latitude, tant dans le choix des critères à prendre en compte que des méthodes à employer pour apprécier la solvabilité du consommateur. Pour nombre d’auteurs cependant, ces imprécisions normatives apparaissaient comme une source d’incertitude juridique, et avaient pour effet d’abandonner le contrôle de la solvabilité aux juges du fonds (sur ce point, v. not., Rép. com., v° Crédit à la consommation, par S. Piedelièvre, n° 82 ; J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, 2024, p. 231 s., n° 159).
La marge de manœuvre des prêteurs est toutefois sur le point de se réduire, avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 3 septembre 2025 transposant la directive européenne du 18 octobre 2023 (Dir. [UE] 2023/2225 du 18 oct. 2023 relative aux contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la dir. 2008/48/CE, JOUE 30 oct. ; v. C. Hélaine, Réforme du crédit de la consommation [première partie : origine et présentation générale de l’ordonnance], Dalloz actualité, 24 sept. 2025). Dans ce dernier texte, le législateur européen attestait clairement de sa volonté de renforcer encore davantage la protection du consommateur.
Pour atteindre cet objectif, l’analyse de la solvabilité a donc été significativement repensée. De nombreuses précisions ont ainsi été apportées concernant les éléments susceptibles d’être pris en compte pour l’évaluation de la solvabilité. Le législateur ne s’est pas au demeurant contenté de formuler des recommandations à l’endroit du prêteur. Plusieurs prescriptions lui ont également été faites quant à la façon d’apprécier la solvabilité de l’emprunteur.
Précisions relatives aux éléments d’appréciation de la solvabilité
Les précisions relatives aux éléments d’appréciation de la solvabilité portent tant sur la qualité des informations en elles-mêmes que sur leurs sources.
S’agissant de la qualité des informations
Les informations susceptibles d’être recueillies aux fins d’évaluer la solvabilité du prêteur s’illustrent par leur grande hétérogénéité. En effet, le nouveau dispositif dresse une liste non exhaustive des données sur la base desquelles le prêteur pourrait fonder son analyse. Outre les informations relatives aux revenus et aux charges de l’emprunteur, l’établissement de crédit peut tenir compte des informations ayant trait à d’autres types de ressources, des informations sur des actifs et passifs financiers ou des informations sur d’autres engagements financiers. L’examen de la solvabilité peut encore reposer sur l’existence de sûretés, ou d’autres formes de garanties que le prêteur pourrait fournir. Enfin, l’évaluation de la solvabilité peut revêtir une dimension prospective, notamment en considération de ce que le ou les crédits sont susceptibles d’apporter à l’emprunteur en termes de revenus futurs.
Cette énumération témoigne des attentes que le législateur nourrit (et nourrissait déjà avant la réforme) à l’égard du banquier. Ce dernier se doit de procéder à une évaluation rigoureuse et objective de la solvabilité de l’emprunteur. Pour ce faire, il ne doit donc négliger aucun élément, qu’ils soient présents ou futurs. Toute appréciation partielle ou fragmentaire susceptible de compromettre la fiabilité de cette analyse doit être écartée.
S’agissant des sources de l’information
Si le nouveau dispositif fournit des exemples concrets d’éléments dont le prêteur peut effectivement tenir compte afin d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur, le texte en revanche apparaît plus général au sujet de l’origine de l’information recueillie. Cette dernière peut provenir de toutes sources internes ou externes pertinentes, y compris de l’emprunteur. Le prêteur ne saurait toutefois se contenter des affirmations formulées par l’emprunteur. Celui-ci n’est pas toujours de bonne foi et même lorsqu’il l’est, il peut omettre de communiquer certaines informations pouvant intéresser l’établissement de crédit et qui échappent alors à sa vigilance.
Le législateur pose toutefois une limite très claire au sujet de la provenance des informations récoltées par le prêteur. Toutes les informations issues des réseaux sociaux ne pourront être exploitées pour évaluer la solvabilité du consommateur, ces outils de communication n’étant pas considérés comme une source d’information externe pertinente par le législateur.
Prescriptions relatives aux modalités d’appréciation de la solvabilité
Aux précisions portant sur les critères d’évaluation de la solvabilité s’ajoutent de nombreuses prescriptions quant à la façon d’apprécier la capacité financière de l’emprunteur par le prêteur. L’établissement de crédit doit procéder à une évaluation minutieuse, cohérente et proportionnée de la solvabilité de l’emprunteur. Le traitement automatisé de cette évaluation n’est pas interdit, mais il est toutefois subordonné au respect d’un certain nombre de conditions.
Une « évaluation minutieuse » et cohérente
Le nouvel article L. 312-16 du code de la consommation insiste sur le caractère minutieux que doit revêtir l’examen de la solvabilité de l’emprunteur. Cette minutie se traduit notamment par l’obligation faite au prêteur de vérifier les informations recueillies, en se référant si nécessaire à des documents autres que ceux fournis par l’emprunteur. Elle se traduit également par l’interdiction faite au prêteur de se fonder uniquement sur la consultation du fichier des incidents de remboursement prévu à l’article L. 751-1 pour apprécier la solvabilité de l’emprunteur. Comme le souligne la doctrine, le FICP n’est pas l’outil le plus fiable pour apprécier la solvabilité du consommateur. Certains organismes de crédit préfèrent en effet octroyer un nouveau crédit à leur débiteur dans l’optique de pallier leur défaillance (aggravant au passage la situation de leur contractant) plutôt que de l’inscrire au FICP (J.-Cl. Conc. Consom., v° Règles communes aux contrats de crédit aux consommateurs, par G. Raymond, 2025, fasc. 1100, n° 33). Bien qu’elle ne soit pas exclusive, la consultation du fichier FICP peut néanmoins servir de base au refus d’octroi d’un crédit à l’emprunteur. Dans cette hypothèse, l’établissement de crédit se doit alors d’en informer l’emprunteur et de lui communiquer sans délai et sans frais ce résultat ainsi que des informations sur ce fichier et la nature des données prises en considération.
Précise, l’évaluation de la solvabilité se doit également d’être cohérente. Ainsi, si la demande de crédit est présentée conjointement par plusieurs emprunteurs, il va de soi que le prêteur effectue l’évaluation de la solvabilité sur la base de la capacité de remboursement conjointe des emprunteurs. Dans la même logique, dès lors qu’une augmentation significative du montant total du crédit est envisagée, le prêteur se doit de réévaluer la solvabilité de l’emprunteur, sur la base d’informations mises à jour.
Ces nouvelles obligations sont assorties de sanctions. Ainsi, si l’examen de la solvabilité n’a pas été correctement mené par l’établissement de crédit, il lui sera impossible de résilier ou de modifier ultérieurement le contrat de crédit conclu avec l’emprunteur (v. H. Kassoul, Réforme du crédit à la consommation : la résiliation du contrat, à paraître au Dalloz actualité ; v. égal., A.-M. Dematos, Réforme du crédit à la consommation : les sanctions, à paraître au Dalloz actualité). Cette impossibilité peut seulement être surmontée dans le cas où les informations auraient été dissimulées ou falsifiées par l’emprunteur.
Une évaluation gouvernée par un principe de proportionnalité
Si l’établissement de crédit doit à l’évidence accorder un soin particulier à l’examen de la solvabilité de l’emprunteur, cette évaluation doit toutefois s’opérer sur la base d’informations qui sont nécessaires et proportionnées à la nature, à la durée, au montant du crédit et aux risques qu’il présente pour l’emprunteur. Pour certains auteurs, ce principe de proportionnalité que l’on retrouve également dans la directive (UE) 2023/2225 du 18 octobre 2023, permettrait de soustraire les mini-crédits et les crédits aux paiements fractionnés ou différés de moins de trois mois aux obligations de déclaration et de collecte de justificatifs, ces contraintes étant jugées disproportionnées par rapport à leur faible montant (sur ce point, v. M. Gillouard et N. Grumo, Le nouveau cadre européen du crédit à la consommation, RDBF 2024. Étude 4, p. 7). Plus encadrées qu’elles ne l’étaient jusqu’alors, ces opérations échapperaient donc malgré tout aux nouvelles mesures relatives à la solvabilité de l’emprunteur.
Une évaluation automatisée possible sous conditions, la question du scoring
Pour les demandes de crédit, les établissements bancaires ont coutume de recourir à la pratique du scoring. Cette méthode statistique est employée pour attribuer à l’emprunteur une note destinée à évaluer la probabilité de remboursement du crédit. Ce score est souvent calculé à partir de l’analyse de données à caractère personnel. Pour le prêteur, il s’agit d’une aide à la décision dont il peut tenir compte pour accorder ou refuser un crédit (comp. HCJP, Rapport sur les impacts juridiques et réglementaires de l’intelligence artificielle en matière bancaire, financière et des assurances, 20 juin 2025 ; Dalloz actualité, 15 sept. 2025, obs. S. Cacioppo et E. Putman).
Le recours à un tel traitement algorithmique des données n’est pas interdit per se. Le législateur veille toutefois à l’assortir d’un certain nombre de garanties au bénéfice de l’emprunteur. Ce dernier doit tout d’abord être informé du fait que l’évaluation de sa solvabilité est en partie fondée sur un traitement automatisé des données à caractère personnel le concernant. Il jouit également du droit d’obtenir une explication claire et compréhensible de l’évaluation de sa solvabilité, de la logique et des risques associés au traitement automatisé des données à caractère personnel ainsi que de sa signification et de ses effets sur la décision. Il peut enfin exprimer son point de vue et demander un réexamen de l’évaluation de sa solvabilité et de la décision prise par le prêteur sur sa demande de crédit.
Ce dispositif renforce significativement les droits du consommateur. Il dépasse même les attentes du règlement général sur la protection des données en ce domaine, ce dernier réservant le droit d’obtenir une intervention humaine et le droit d’exprimer son point de vue aux personnes ayant fait l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé (RGPD, art. 22, § 3).
Enfin, le législateur intime l’ordre au prêteur de n’accorder de crédit à l’emprunteur que si le résultat de l’évaluation de la solvabilité indique que les obligations découlant du contrat de crédit seront vraisemblablement respectées conformément à ce qui est prévu par le contrat.
Si la demande de crédit est rejetée, l’établissement de crédit doit en informer le consommateur dans les meilleurs délais, et l’orienter le cas échéant vers des services de conseil aux personnes endettées mentionnés à l’article L. 312-35-2 du code de la consommation.
Ord. n° 2025-880, 3 sept. 2025, JO 4 sept.
par Colinette Ruzel , docteur en droit, Enseignant-chercheur à l’UCLy, UR Confluence Sciences et Humanités (EA 1598)
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