Réforme du crédit à la consommation (partie 6 : les mesures de renégociation)
La modification du dispositif de renégociation du contrat de crédit à la consommation en cours d’exécution en présence de difficultés financières de l’emprunteur : les précisions et les doutes.
La possibilité de renégociation du contrat de consommation en cours d’exécution ne fut pas envisagée dès la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 (dite « DCC1 ») dont l’objectif portait, s’il est besoin de le rappeler, sur la refonte en profondeur de l’offre de crédit à la consommation au niveau européen, et qui est à l’origine de la célèbre loi Lagarde (Loi n° 2010-737 du 1er juill. 2010 portant réforme du crédit à la consommation).
C’est à l’ordonnance n° 2023-1139 du 6 décembre 2023 transposant la directive (UE) 2021/2167 du 24 novembre 2021 relative aux gestionnaires de crédits et aux acheteurs de crédits que l’on doit la création de ce dispositif. Protection supplémentaire pour le consommateur, ce mécanisme offre aussi aux prêteurs un outil pour limiter le risque de prêts dits « non performants ».
L’ordonnance n° 2025-880 du 3 septembre 2025 a donc été à l’initiative, non pas de la création, mais de la modification de l’article L. 312-35-1 du code de la consommation dans les termes suivants :
« Le prêteur s’astreint à respecter un délai raisonnable avant d’engager une procédure d’exécution à l’encontre d’un emprunteur en difficulté financière et lui propose, s’il y a lieu, des mesures de renégociation tenant notamment compte de sa situation personnelle. Ces mesures peuvent être :
« 1° Le refinancement total ou partiel du contrat de crédit ;
« 2° La modification des conditions du contrat de crédit, qui peut comprendre entre autres :
« a) L’allongement de la durée du contrat de crédit ;
« b) La modification du type de contrat de crédit ;
« c) Le report de tout ou partie des versements du remboursement pendant une période donnée ;
« d) Une réduction du taux débiteur ;
« e) Le réaménagement de l’échéancier, notamment la réduction du montant des versements du remboursement ;
« f) Des remboursements partiels ;
« g) Une remise de dette partielle et la consolidation de la dette ;
« h) Une proposition de dispense temporaire de remboursement ;
« i) Des conversions de monnaie.
« Le prêteur n’est pas tenu de procéder à l’évaluation de solvabilité mentionnée à l’article L. 312-16 lorsqu’il modifie les conditions existantes d’un contrat de crédit conformément au 2°, sous réserve que le montant total dû par l’emprunteur n’augmente pas de manière significative.
« Sauf si la situation de l’emprunteur le justifie, le prêteur n’est pas tenu de proposer à plusieurs reprises des mesures de renégociation.
« Le prêteur formalise les modifications des clauses et conditions existantes d’un contrat de crédit mentionnées au 2° dans les conditions prévues à l’article L. 312-31-1 ».
La substitution de la « tolérance raisonnable » par le respect d’un « délai raisonnable »
On notera tout d’abord que la disposition d’origine n’empruntait pas un langage aussi coercitif que ne le fait aujourd’hui la dernière mouture de la disposition telle qu’elle devra être appliquée au 20 novembre 2026.
La première version prévoyait que « les prêteurs disposent de politiques et de procédures adéquates » devant les « inciter à faire preuve d’une tolérance raisonnable avant d’engager une procédure d’exécution à l’encontre d’un emprunteur en difficulté et à lui proposer, s’il y a lieu, des mesures de renégociation tenant notamment compte de sa situation personnelle ».
Grâce à la présente ordonnance, il ne s’agit plus seulement d’une simple invitation timorée à la « tolérance raisonnable » des prêteurs, formule qui sonnait comme le conseil frileux d’un individu craignant de froisser son interlocuteur, mais d’une véritable astreinte « à respecter un délai raisonnable avant d’engager une procédure d’exécution ». Cet impératif est dicté par la directive du 18 octobre 2023 indiquant dans un article 35 que « les États membres exigent des prêteurs qu’ils appliquent », s’il y a lieu, ces mesures de renégociation.
Les termes gagnent donc en précision et promettent d’octroyer au texte une efficacité juridique dont on pouvait jusqu’alors grandement douter.
Il n’est d’abord plus question d’une « tolérance raisonnable », mais du respect d’un « délai raisonnable », formule dont le législateur, ainsi que le juge, sont bien plus accoutumés que la première. L’expression de « tolérance raisonnable » était d’ailleurs bien maladroite et soulevait une véritable ambiguïté : l’interprétation littérale du texte pouvait laisser entendre que la tolérance devait se manifester seulement dans la mesure où elle restait raisonnable pour le prêteur (et créait l’impression d’une formule contradictoire), ce qui n’était visiblement pas l’objectif du texte tourné d’abord vers l’intérêt du consommateur. Cette maladresse, que l’on devait à la reprise textuelle de la directive du 24 novembre 2021, a donc été corrigée.
En outre, le législateur français semble être allé plus loin que le texte européen dans l’application du standard du raisonnable. Alors que l’article 35 de la directive prévoit que ce sont les mesures de renégociation proposées qui doivent être raisonnables, le législateur français envisage exclusivement le standard du raisonnable à l’égard du délai avant l’ouverture d’une procédure d’exécution, condition qui n’apparaît pas à la lecture de la directive européenne. Modification souhaitée par le législateur ou maladresse dans la transposition de la directive ? Rien ne permet visiblement de l’affirmer ; mais cette nuance est susceptible d’avoir de fâcheuses conséquences.
Les prêteurs pourraient être tentés de proposer une renégociation du contrat, dont ils savent qu’elle est intenable pour le consommateur, dans le seul but de se ménager la preuve, en cas de litige, qu’ils ont bien tenté de renégocier le contrat en vain. Toutefois, bien que le risque soit virtuellement possible, il est en pratique peu envisageable. La raison en revient notamment à l’existence d’un courant jurisprudentiel comparable sur ce point, toutes proportions gardées : on rappellera que le juge, sur le fondement du devoir de bonne foi inscrit aujourd’hui à l’article 1104 du code civil, retient que les contractants doivent proposer des mesures de renégociations « acceptables » à leurs partenaires (par ex., Com. 15 mars 2017, n° 15-16.406, D. 2018. 371, obs. M. Mekki
; ibid. 865, obs. D. Ferrier
).
Cette dernière remarque reste cependant à relativiser en raison de la marge de manœuvre laissée aux prêteurs pour apprécier la pertinence des mesures de renégociation. L’article indique en effet que ces modifications sont proposées « s’il y a lieu », ce qui laisse entendre que l’opportunité de ces mesures revient presque à l’entière discrétion du créancier. On peut augurer que le juge sera bien en peine de caractériser, en cas de litige, une faute du prêteur dans l’hypothèse où il soumettrait des mesures inadaptées ou, a fortiori, s’il s’abstenait d’en proposer.
Quoi qu’il en soit, la modification de la disposition n’est donc pas seulement un changement formel, mais un véritable rééquilibrage en faveur de l’emprunteur consommateur : c’est à ce dernier que doit revenir le bénéfice d’un délai raisonnable l’invitant à exécuter son obligation avant que celui-ci ne fasse l’objet d’une procédure d’exécution.
Une renégociation à l’égard d’un emprunteur en difficulté « financière »
Toutefois, relevons que la modification de la disposition ne bénéficie pas seulement à l’emprunteur. L’ordonnance indique que les difficultés rencontrées par le débiteur ne peuvent être que financières. Cette précision n’est certainement pas anodine, et l’analogie avec le vice de violence pour abus d’état de dépendance présent à l’article 1143 du code civil est éclairante. Le Rapport remis au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 indiquait que, contrairement à la qualification de « violence économique » utilisée par la doctrine et les praticiens, le texte « est en réalité plus large, et n’est pas circonscrit à la dépendance économique » et, qu’ainsi, « toutes les hypothèses de dépendance sont visées (…) ».
C’est un chemin contraire qu’emprunte le législateur à l’égard du mécanisme de renégociation en précisant, à l’occasion de la modification du texte, que les difficultés rencontrées par l’emprunteur qui justifieraient l’adoption de ces mesures sont seulement de nature financière. Cette restriction du champ d’application matériel de l’article paraît souhaitable, en ce qu’elle limite les possibilités pour les débiteurs d’invoquer des moyens de se soustraire à leurs obligations en présence de difficultés en tous genres. Toutefois, aucune exigence n’est insérée sur l’origine ou la gravité de ces difficultés, ce qui marque en profondeur la différence avec le mécanisme homologue de droit commun des contrats inscrit dans le fameux article 1195 du code civil.
En revanche, là où les seules difficultés financières peuvent justifier l’octroi d’un délai raisonnable pour que l’emprunteur s’exécute, il n’est pas exclu que d’autres types de difficultés puissent dicter la nature des mesures de renégociation qui seront proposées. Le législateur, depuis la création du mécanisme, dispose que le prêteur propose « des mesures de renégociation tenant notamment compte de sa situation personnelle ». Tandis que l’article L. 312-35-1 du code de la consommation reste muet sur les éléments de la situation personnelle du débiteur, la directive européenne propose, dans un considérant 79, de tenir compte entre autres de « ses intérêts, ses droits et sa capacité à rembourser le crédit, ainsi que la nécessité pour le consommateur de disposer de moyens de subsistance raisonnables »… Rien que cela ! Il est donc permis d’envisager que des difficultés d’ordre familial, professionnel, ou encore médical, puissent orienter la nature des propositions de renégociation.
L’insertion de mesures supplémentaires de renégociation
Comme le texte d’origine, ces mesures sont réparties en deux groupes : le refinancement total ou partiel du contrat de crédit et la modification des conditions du contrat de crédit. La disposition s’est étoffée de mesures supplémentaires pouvant être proposées à l’emprunteur, au rang desquelles « la modification du type de contrat de crédit », « des remboursements partiels », « une proposition de dispense temporaire de remboursement » et enfin « des conversions de monnaie ».
Le texte se dépouille en revanche de la proposition de modification du taux d’intérêt, remplacée par la possibilité d’une « réduction du taux débiteur ». Le taux débiteur est plus précis que la notion de taux d’intérêt, puisque le premier concerne seulement le taux nominal appliqué au capital emprunté. Au contraire, le taux d’intérêt peut désigner autant le taux débiteur que le taux annuel effectif global (TAEG) qui, on le rappellera, englobe, en plus du taux débiteur, tous les frais liés au crédit (telle que l’assurance obligatoire ou les frais de dossier).
D’autres ajustements dans les termes utilisés sont à signaler : il n’est plus question d’une « prolongation » de la durée du contrat, mais d’un « allongement », d’un « report » des versements et non de leur « suspension ».
La liste proposée étant seulement indicative, le choix de ces mesures reste à la discrétion du prêteur qui demeure libre de saisir celles proposées par la disposition ou d’en proposer certaines qui ne sont pas prévues par le texte.
L’absence d’évaluation de la solvabilité sous réserve que le montant total dû par l’emprunteur n’augmente pas de manière significative
À la suite de la mention des mesures possibles pouvant être proposées par le créancier, l’ordonnance innove encore en ajoutant que l’évaluation de la solvabilité présente à l’article L. 312-16 du code de la consommation n’est pas nécessaire en cas de modifications des conditions du crédit, « sous réserve que le montant total dû par l’emprunteur n’augmente pas de manière significative ».
En effet, plusieurs modifications peuvent aboutir in fine à modifier le montant total du prêt à la hausse. Cette situation est d’abord envisageable dans le cadre d’un allongement de la durée du prêt : les mensualités baissent, ce qui soulage le débiteur en souffrance sur l’instant, mais les intérêts vont donc courir plus longtemps. Un report des versements conduit aussi au même résultat. Dernier exemple, mais il y’en aurait d’autres : la renégociation du taux débiteur implique souvent des frais de dossier, de garantie ou encore de réaménagement.
Pour toutes ces raisons, le dispositif oblige le prêteur, en cas d’augmentation « significative », à procéder à la vérification de la solvabilité de l’emprunteur. Reste à déterminer ce qui peut être qualifié d’augmentation « significative » de l’emprunt. On ne peut pour autant blâmer le choix de cet adjectif, puisque la proportion de l’augmentation n’est caractérisable qu’au regard de l’équilibre des droits et obligations du contrat et de son contexte.
L’absence de sanction prévue par le dispositif
Si la disposition gagne en précision, de sérieux doutes subsistent, notamment relatifs à la sanction applicable en l’absence de respect d’un délai raisonnable avant l’application de mesures d’exécution forcée et, le cas échéant (s’il y a lieu…) de propositions raisonnables de renégociation. Le texte reste silencieux sur ce point, ce qui tend à limiter la force obligatoire du mécanisme (v. A.-M. Dematos, Réforme du crédit à la consommation [partie 7 : les sanctions], à paraître).
La diligence dont doit faire preuve le prêteur ne saurait toutefois être illimitée. Il paraît en effet bien trop sévère de le sanctionner dans l’hypothèse où l’emprunteur n’aurait pas alerté la banque sur les difficultés rencontrées dans le remboursement de sa dette.
Une décision du Tribunal judiciaire de Nice du 22 octobre 2024 offre une illustration très intéressante des conséquences de l’inertie du consommateur qui n’avertirait pas le prêteur en temps voulu sur les difficultés financières rencontrées sur le fondement de l’article L. 312-35-1 du code de la consommation (TJ Nice, 22 oct. 2024, n° 24/00443).
En l’espèce, un étudiant a conclu un contrat de prêt étudiant d’un montant de 15 000 €. À la suite d’un incident de paiement, la banque le mit en demeure de payer cette mensualité sous peine de déchéance du terme, mise en demeure qui restera vaine.
La créancière l’assigna en remboursement de la dette devant le tribunal, en sollicitant du juge de reconnaître entre autres ses tentatives de mise en œuvre d’une résolution amiable du litige, de constater qu’elle a donné la possibilité au débiteur « de lui faire part de ses difficultés afin de mettre en place un plan d’apurement de sa dette » qu’il n’a jamais saisie. En parallèle, le débiteur soutenait la mauvaise foi de la banque dans le prononcé de la déchéance du terme en l’absence de propositions de sa part alors qu’il se trouvait en difficulté.
Le juge accueillit favorablement la demande de la banque en soulignant que la mise en demeure qui fut adressée à l’emprunteur « mentionnait qu’il était dans son intérêt de prendre contact si nécessaire avec l’étude afin d’étudier un éventuel plan d’apurement de sa dette ». Le tribunal retint en outre que le contrat de prêt prévoyait la possibilité pour l’emprunteur de contacter son conseiller pour toute difficulté.
Tous ces éléments permirent de constater que la banque avait donc conformément agi aux dispositions de l’article L. 312-35-1 du code de la consommation, puisque le débiteur avait « eu suffisamment d’opportunités pour s’adresser à la banque afin de solliciter une renégociation des termes du contrat, mais qu’il s’en est volontairement abstenu ».
Le message est clair : si la banque doit laisser au débiteur une chance d’honorer ses mensualités dans un délai raisonnable en lui proposant éventuellement des mesures adéquates dans le cas où les difficultés rencontrées le justifient, faut-il encore que l’emprunteur l’informe de sa situation. Cette absence de réaction a donc conduit en l’espèce à la déchéance du terme contractuel, sans qu’aucun reproche ne puisse être formulé à l’égard du prêteur.
Mais peut-on aller encore plus loin dans la sanction de l’absence de sollicitations de l’emprunteur, ou encore, dans le refus des modifications proposées par le prêteur, sur le fondement de cette disposition ? Serait-il, par exemple, envisageable de sanctionner l’emprunteur lorsque ce mécanisme aurait pu éventuellement lui éviter une procédure de surendettement ? Ce dispositif, imaginé d’abord pour protéger les intérêts du consommateur, se retournerait, dans cette hypothèse, contre lui.
Bien que cette possibilité soit de prime abord peu concevable, il n’est pas exclu qu’elle puisse fonder un indice de l’absence de bonne foi du débiteur à l’occasion de l’examen de recevabilité de sa demande de traitement de sa situation de surendettement. Si tant est qu’il soit besoin de le rappeler, l’article L. 711-1 du code de la consommation prévoit que « le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi ». Bien que l’appréciation de la bonne foi dans ce contentieux soit fluctuante, et que la dernière tendance est manifestement favorable au débiteur, le rapprochement de certaines décisions laisse présumer cette possibilité.
À titre d’illustration, un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 janvier 2019 (Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 17-28.440, AJDI 2019. 203
) a par exemple pu relever que le fait pour un locataire de ne pas avoir discuté d’un plan d’apurement de sa dette locative avec son bailleur qui avait « tenté de nombreuses démarches amiables » pour le permettre était un indice de l’absence de bonne foi du débiteur, empêchant ainsi l’ouverture de la procédure de surendettement à son bénéfice. Cet élément factuel n’est bien évidemment pas suffisant pour qualifier la mauvaise foi du débiteur. En revanche, l’analogie avec le dispositif de renégociation du contrat de crédit à la consommation autorise à penser que le consommateur qui s’abstiendrait de s’en saisir pourrait éventuellement se le faire reprocher.
Avec l’ordonnance de 2025, la tolérance des prêteurs cède la place à une obligation concrète : respecter un délai raisonnable avant toute procédure et proposer, si nécessaire, des mesures adaptées aux difficultés financières de l’emprunteur. Toutefois, la discrétion dans la proposition des mesures, la liberté dans leurs choix, et l’absence de sanction au sein du dispositif rendent encore hasardeux, malgré la refonte, l’efficacité future du texte.
Ord. n° 2025-880, 3 sept. 2025, JO 4 sept.
par Anne-Lise Souchay, Maître de conférences à l’Université de Perpignan Via Domitia Membre du Centre de Droit Économique et du Développement Yves Serra
© Lefebvre Dalloz