Réforme du crédit à la consommation (partie 7 : les sanctions civiles renouvelées)
Si la déchéance du droit aux intérêts reste l’une des sanctions phares du crédit à la consommation, d’autres sanctions civiles sont prévues par l’ordonnance n° 2025-880 du 3 septembre 2025.
La directive (UE) n° 2023/2225 relative aux contrats de crédit aux consommateurs (Dir. [UE] 2023/2225 du Parl. UE et du Conseil du 18 oct. 2023 relative aux contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la dir. 2008/48/CE, JOUE 30 oct.) devait être transposée avant le 20 novembre 2025 (Dir. [UE] 2023/2225, art. 48). C’est chose faite depuis l’ordonnance n° 2025-880 du 3 septembre 2025 (sur celle-ci, v. C. Hélaine, Réforme du crédit à la consommation [partie 1 : origine et présentation de l’ordonnance], Dalloz actualité, 24 sept. 2025). Cette directive, d’harmonisation totale, contraint fortement les États membres quant à sa transposition en droit interne. Son article 42 est clair sur ce point : « dans la mesure où la présente directive contient des dispositions harmonisées, les États membres ne peuvent pas maintenir ou introduire dans leur droit national des dispositions divergeant de celles prévues par la présente directive, sauf disposition contraire dans la présente directive ».
Cet article est d’ailleurs repris dans le rapport du ministre de l’Économie au président de la République (Rapport au président de la République relatif à l’ord. n° 2025-880 du 3 sept. 2025 relative au crédit à la consommation, JO 4 sept.). Il explique cette contrainte forte de transposition par la nécessaire harmonisation des marchés du crédit dans l’Union européenne. Un souci de libre circulation des services gouverne en effet ce texte. Il veut faciliter les contrats de crédit transfrontières par une harmonisation plus poussée, faisant ainsi reculer les distorsions de concurrence sur le marché du crédit à la consommation au profit des consommateurs, destinataires finaux de ce même marché.
Toutefois, le régime des sanctions dans cette directive apparaît alors singulier. L’article 44 du texte européen prévoit une relative liberté des États membres dans ce domaine. La subsidiarité est ici bien respectée. Les sanctions sont des moyens pour parvenir aux résultats fixés par la nouvelle directive (TFUE, art. 288, « […] La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens […] »). Les États restent donc maîtres du choix de ces sanctions.
Une limite est néanmoins fixée pour cette transposition au deuxième paragraphe de cet article 44 : « Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ». Cette formule, désormais classique dans le droit de l’Union européenne et reprise très souvent par la jurisprudence de la Cour de justice, a déjà justifié la mise à l’index de notre jurisprudence nationale mettant en œuvre la déchéance du droit aux intérêts, sanction phare dans le crédit à la consommation (CJUE 27 mars 2014, LCL c/ Kalhan, aff. C-565/12, Dalloz actualité, 11 avr. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1307, et les obs.
, note G. Poissonnier
; ibid. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RTD com. 2015. 139, obs. D. Legeais
; RTD eur. 2014. 724, obs. C. Aubert de Vincelles
). Le juge devra donc veiller à une mise en œuvre efficace de ces textes d’origine européenne, parfois même d’office, pour respecter le principe d’effectivité du droit de l’Union européenne. Les sanctions sont sans doute une clé pour cette effectivité. La pratique montre cependant dans ce domaine que même si le contentieux est abondant, les textes complexes et denses ne sont pas toujours appliqués avec rigueur par les professionnels, et ce, encore aujourd’hui (G. Cattalano, in [dir] D. Fenouillet, Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2021/2022, nos 32-31, p. 878). Les modifications apportées aux sanctions par l’ordonnance de transposition vont-elles permettre davantage d’efficacité ? L’avenir nous le dira. On peut néanmoins regretter, encore une fois dans cette matière, la complexité de l’agencement de ces textes dans le code de la consommation. Les sanctions sont en effet basculées à la fin de chaque livre dans un titre spécifique, ici dans le titre IV du livre III consacré au crédit, soit aux articles L. 340-1 à L. 342-6 du code de la consommation.
Il faut souligner de prime abord que le champ d’application des contrats couverts par le régime du crédit à la consommation s’étendant, les sanctions vont automatiquement s’étendre à ce nouveau champ. Elles auront vocation à jouer d’autant plus largement.
Les nouvelles obligations qui incombent désormais au prêteur et qui sont envisagées dans le texte de transposition vont également donner lieu à de nouvelles sanctions. Sans pouvoir être exhaustif car ces nouvelles obligations sont relativement nombreuses, on peut revenir sur certaines d’entre elles qui semblent significatives. Certaines se verront appliquer des sanctions civiles (C. Hélaine, Réforme du crédit à la consommation [première partie : origine et présentation générale de l’ordonnance], Dalloz actualité, 24 sept. 2025), d’autres des sanctions administratives (Réforme du crédit à la consommation [partie 8, les sanctions administratives favorisées], Dalloz actualité, à paraître). En revanche, aucune nouvelle sanction pénale n’est insérée. Certaines de ces sanctions sont donc créées, d’autres sont confirmées et d’autres encore sont modifiées parfois dans leur nature même. Nous allons tenter une synthèse, délicate à réaliser, tant le jeu de renvoi permanent des textes du code de la consommation entre eux en rend la lecture difficile.
En matière de crédit à la consommation, la sanction de la déchéance du droit aux intérêts est sans doute la sanction qui a donné lieu au contentieux le plus abondant, mais quelques autres sanctions civiles frappant le contrat sont également envisagées.
La déchéance du droit aux intérêts
La déchéance du droit aux intérêts est une sanction bien connue en matière de crédit au consommateur car elle permet de sanctionner le prêteur sans pour autant anéantir le contrat de prêt, ce qui serait fort dommageable pour l’emprunteur.
Le texte fixant le régime de cette déchéance du droit aux intérêts n’a pas été modifié par l’ordonnance. L’emprunteur n’est tenu après déchéance du droit aux intérêts par le juge qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu. Les sommes déjà perçues au titre des intérêts en exécution du contrat de crédit seront quant à elles productives d’intérêts au taux légal depuis leur versement et devront être restituées ou imputées sur le capital restant dû. Ce régime posé par l’actuel article L. 341-8 du code de la consommation se retrouvera donc, au terme près, dans le nouvel article L. 340-1 du code de la consommation qui ouvrira désormais la section sur les sanctions en matière de crédit à la consommation.
D’une part, cette déchéance du droit aux intérêts peut être totale dans certains cas.
Les cas déjà existants dans le code de la consommation viennent souvent protéger le consommateur en cas d’irrégularités formelles. Ils sont reconduits par l’ordonnance. On les retrouve aux articles L. 341-1, L. 341-3, L. 341-4, L. 341-5 et L. 341-8 du code de la consommation.
On peut citer notamment : l’absence de la fiche d’informations de l’article L. 312-12, la non-remise de la fiche d’informations spécifiques si le contrat est passé sur le lieu de vente ou à distance (art. L. 312-17), les irrégularités de l’offre de crédit (art. L. 312-18), les irrégularités du formulaire de rétractation détachable (art. L. 312-21), les irrégularités de l’encadré reprenant les caractéristiques essentielles du crédit en tête de l’offre (art. L. 312-28), la non-remise ou irrégularité de la notice d’assurance en cas d’assurance groupe (art. L. 312-29), le non-respect de la nécessité de deux contrats distincts en cas de souscription d’un contrat gratuit et d’un autre à titre onéreux (art. L. 312-43), le non-respect de l’information obligatoire en cas de découvert autorisé (art. L. 312-92), le non-respect des règles entourant l’ouverture d’un crédit renouvelable (art. L. 312-64), le non-respect de la présence obligatoire d’un montant minimal de capital pour chaque échéance (art. L. 312-65), le non-respect des informations obligatoires en cas de fourniture d’une carte dans le cadre d’un contrat de crédit renouvelable (art. L. 312-66) le non-respect des règles en cas de résiliation ou de réduction d’un découvert autorisé (art. L. 312-90 et L. 312-91), le défaut d’information en cas de dépassement de convention de compte (art. L. 312-92).
Après la transposition, la déchéance totale du droit aux intérêts sera désormais également encourue – en vertu de l’article L. 341-4 du code de la consommation – dans l’hypothèse de l’article L. 312-29, alinéa 3, à savoir lorsqu’une assurance est exigée par le prêteur pour l’octroi du crédit et qu’il propose à l’emprunteur son assurance groupe. L’emprunteur dispose alors d’un délai de trois jours, dont l’informe le prêteur, délai pendant lequel il peut faire jouer, ou pas, la concurrence. Le défaut d’information sur le délai et le non-respect de ce délai lui-même (sauf accord exprès de l’emprunteur) sera ici sanctionné par la déchéance totale du droit aux intérêts. C’est un nouveau cas d’application de cette sanction.
D’autre part, la déchéance du droit aux intérêts peut également être partielle, dans la proportion fixée par le juge, qui tiendra compte notamment du préjudice pour l’emprunteur. Cette sanction, qui laisse plus de marge au juge dans son appréciation, était déjà applicable en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux annuel effectif global (lequel est déterminé conformément aux art. L. 314-1 à L. 314-4 c. consom.), on la retrouve de la même manière à l’article L. 341-1 du code de la consommation.
Enfin, la déchéance du droit aux intérêts peut être encourue en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. Cette troisième forme est conservée dans les cas déjà prévus, essentiellement dans des hypothèses de défaut d’explications permettant à l’emprunteur de déterminer si le contrat est adapté à ses besoins (l’art. L. 312-14 c. consom. prévoit cette obligation et l’art. L. 341-2 en prévoit la sanction), de défaut d’informations spécifiques (défaut d’information en cas de modification du taux directeur [art. L. 312-31], ou de modification des clauses du contrat de crédit [art. L. 312-31-1] ou sur les opérations de découvert en compte [art. L. 312-89] ; la sanction pour ces textes se trouvant à l’art. L. 341-6) et dans certaines dispositions sur le crédit renouvelable (obligations du prêteur prévues aux art. L. 312-68, L. 312-69 et L. 312-70 c. consom. et sanctionnés à l’art. L. 341-7).
Cette sanction viendra également frapper le prêteur dans le cas où il n’a pas vérifié la solvabilité de l’emprunteur conformément au nouveau texte de l’article L. 312-16 du code de la consommation. L’ordonnance de transposition a en effet considérablement accentué cette obligation (C. Ruzel, Réforme du crédit à la consommation [partie 4 : l’évaluation de la solvabilité], Dalloz actualité, 25 sept. 2025), précisant davantage ses contours. Le prêteur qui ne respecte pas toutes les obligations qui pèsent désormais sur lui lors de la vérification de la solvabilité, se verra donc frappé de la déchéance du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. On peut penser qu’il sera plus facile désormais de faire jouer cette sanction.
Les autres sanctions civiles
Si la déchéance du droit aux intérêts est la sanction civile principale en matière de crédit, d’autres sanctions civiles peuvent encore frapper le contrat. Elles sont moins fréquentes mais peuvent en pratique se révéler utiles.
La non-computation d’intérêts ou encore l’interdiction de mettre à la charge de l’emprunteur des frais supplémentaires peuvent être ici citées. C’est le cas notamment lors d’un dépassement de découvert autorisé si le prêteur ne délivre pas les informations spécifiques permettant d’alerter le consommateur ou s’il ne lui propose pas une autre forme de crédit au-delà de trois mois (C. consom., art. L. 312-92 et L. 312-93 et sanctionnés par l’art. L. 341-9).
Ce peut être aussi l’application d’un taux d’intérêt au taux légal majoré de moitié lorsque le vendeur ou le prestataire de service ne rembourse pas les sommes versées par le consommateur après résolution du contrat de vente ou de prestation de services (C. consom., art. L. 341-10) financé par le crédit.
De manière originale, l’article L. 341-11 du code de la consommation prévoit également un cas de nullité. Cette sanction vient frapper l’engagement de payer comptant qui serait souscrit préalablement au refus d’un prêt dans le cadre d’un crédit affecté. Cet engagement serait un moyen ici de contourner le lien créé par la loi entre le contrat principal et le contrat de prêt. La sanction de nullité qui frappe cet engagement préalable est donc particulièrement bienvenue.
Si toutes ces sanctions civiles existaient déjà avant la transposition de la directive, il n’en va pas de même de ce qui peut être vu comme une sanction nouvelle, à savoir l’allongement du délai de rétractation (A. Bouscavert, Réforme du crédit à la consommation [partie 3 : la « nouvelle » formation du crédit], Dalloz actualité, 25 sept. 2025). Cet allongement, prévu à l’article L. 312-19 du code de la consommation porte le délai de rétractation à douze mois et quatorze jours après la conclusion du contrat, lorsque l’emprunteur n’a pas reçu l’offre de contrat de crédit et les informations prévues à l’article L. 312-28. De manière dérogatoire à cette disposition, le délai de rétractation n’expirera pas tant que l’emprunteur n’a pas été informé de son droit de rétractation par le prêteur. C’est un redoutable couperet ici qui permettra à l’emprunteur de sortir du contrat. C’est également une sanction extrêmement efficace pour le défaut d’information de l’emprunteur. Encore faut-il cependant qu’il en connaisse la règle, puisqu’il n’en est pas informé dans ce cas par le prêteur.
L’article L. 312-20 du code de la consommation après la transposition va également prévoir l’allongement du délai de rétractation dans le cas d’un crédit affecté lorsque le vendeur offre la possibilité d’un retour du bien contre remboursement au-delà du délai de quatorze jours calendaires. Dans ce cas, le délai de rétractation va courir jusqu’à la fin du délai prévu pour le retour du bien.
Ces allongements du délai de rétractation sont directement issus de la directive (UE) 2023/2225 relative aux contrats de crédit aux consommateurs dans son article 26. Ils ne sont pas à proprement parler une sanction mais touchent davantage au régime de l’exercice du droit de rétractation. C’est sur cette base que le législateur européen intervient dans l’article qui porte sur le délai de rétractation. Cet allongement sera donc harmonisé après transposition dans l’ensemble des États membres.
À l’examen de ces sanctions civiles, il est perceptible que la transposition de la directive de 2023 ne va pas bouleverser leur agencement. Quelques cas supplémentaires sont prévus en matière de déchéance du droit aux intérêts. La principale innovation tiendra sans doute à l’allongement du délai de rétractation.
Il en va différemment en revanche des sanctions administratives qui se sont considérablement accrues dans le nouveau droit du crédit à la consommation. Elles seront examinées dans la dernière contribution de ce dossier dans l’édition suivante du Dalloz actualité.
Ord. n° 2025-880, 3 sept. 2025, JO 4 sept.
par Anne-Marie de Matos, Maître de conférences – Aix-Marseille Université
© Lefebvre Dalloz