Refus d’exploitation de données saisies à l’occasion d’une visite domiciliaire en matière terroriste : le préfet exclu de tout droit d’appel
En matière de visites domiciliaires, le droit d’appel est limité à l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant l’exploitation des données saisies à cette occasion. Le préfet n’est donc pas fondé à interjeter appel d’une ordonnance de refus.
Après une autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention, l’autorité administrative a pu procéder à une visite domiciliaire ainsi qu’à des saisies de données informatiques.
L’exploitation des données recueillies étant soumise à une autorisation préalable du même juge, le préfet a émis une demande en ce sens, laquelle a finalement été rejetée. Le préfet a interjeté appel de cette ordonnance de refus d’exploitation devant le premier président de la Cour d’appel de Paris, qui a infirmé la décision.
Saisie d’un pourvoi, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient clarifier, à l’aide d’un solide argumentaire, le droit d’appel de l’autorité administrative en matière d’exploitation de données saisies à l’occasion d’une visite domiciliaire en matière terroriste. À l’appui d’une interprétation stricte des dispositions prévues par le code de la sécurité intérieure, accompagnée d’une analyse des travaux préparatoires de la loi SILT (Loi n° 2017-1510 du 30 oct. 2017, Dalloz actualité, 2 nov. 2017, obs. M. B. ; renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, JO 31 oct.) – laquelle a intégré, dans le droit commun et pour la seule finalité de prévention du terrorisme, la possibilité d’opérer des visites domiciliaires de nature administrative –, la chambre criminelle confirme la limitation du droit d’appel en la matière.
Cette solution, pleinement conforme à la nature administrative et au caractère attentatoire au droit au respect de la vie privée et familiale de la mesure, permet de maintenir l’équilibre si précaire entre les objectifs de prévention du terrorisme et de préservation des droits et libertés individuels.
Une restriction du droit d’appel conforme à la nature administrative de la visite domiciliaire
La décision rendue le 3 avril dernier par la chambre criminelle ne saurait surprendre, tant elle est conforme à la lettre de l’article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure. Si le principe d’interprétation stricte est normalement restreint à la loi pénale (C. pén., art. 111-4), la Cour en fait ici une application en matière administrative, notamment en s’aidant, au-delà du texte de la loi, d’une interprétation téléologique par l’examen des travaux préparatoires de la loi SILT. Cette extension du principe d’interprétation stricte au-delà du droit pénal, spécifiquement en matière de lutte administrative contre le terrorisme, est à féliciter au regard des importantes restrictions de liberté que celle-ci peut entraîner, notamment, en ce qui concerne les visites domiciliaires et saisies de données informatiques, le droit au respect de la vie privée et familiale mais également le droit au secret des correspondances.
Ainsi, après s’être appuyée sur le code de la sécurité intérieure, prévoyant seulement que « l’ordonnance autorisant l’exploitation » des données puisse faire l’objet d’un appel – la même restriction est prévue pour l’ordonnance autorisant la visite (CSI, art. L. 229-3, I) –, la chambre criminelle en déduit, a contrario, qu’aucun droit d’appel n’est prévu pour l’ordonnance refusant l’exploitation. Dit autrement, l’autorité administrative, représentée par le préfet, n’est pas fondée, en vertu des textes applicables, à relever appel d’une ordonnance refusant l’exploitation des données saisies à l’occasion d’une visite domiciliaire. Afin de confirmer sa bonne interprétation du texte, la Cour s’appuie sur les travaux parlementaires de la loi SILT, selon lesquels une telle restriction du droit d’appel en la matière se justifie par la nature administrative de la visite, laquelle se trouve décorrélée de toute suspicion de commission d’une infraction. Aussi, la nature administrative de la mesure ne saurait faire du préfet l’équivalent du procureur de la République en matière judiciaire et ne saurait, ainsi, lui octroyer la qualité de partie à la procédure lui conférant, de facto, un droit d’appel général.
Pour cette raison, l’autorité administrative ne saurait se prévaloir des dispositions réservées à la matière répressive telles que le droit au procès équitable (lequel implique, entre autres, la présomption d’innocence et autres droits de la défense). Elle n’est pas davantage fondée à invoquer le droit à un recours juridictionnel effectif, du fait des prérogatives de puissance publique dont elle dispose et de la nature purement administrative des visites domiciliaires. Cette exclusion de l’autorité publique des droits et libertés conventionnellement garantis apparaît en réalité comme la contrepartie nécessaire des pouvoirs particulièrement restrictifs de liberté qu’elle détient.
Une restriction du droit d’appel nécessaire au maintien de l’équilibre entre prévention du terrorisme et protection des droits et libertés
De fait, un point particulier de la décision rendue par la chambre criminelle attire l’attention. Par son analyse des travaux préparatoires, la Cour de cassation en conclut que la limitation du droit d’appel aux seules ordonnances d’autorisation des mesures (excluant donc de son champ d’application les ordonnances de refus) procède « de la nécessité de recherche d’un équilibre entre, d’une part, les exigences de la préservation de l’ordre public et de la prévention des infractions, d’autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement et conventionnellement garantis ». Dit autrement, la limitation du droit d’appel serait nécessaire afin de préserver l’équilibre entre la prévention du terrorisme et la préservation des droits et libertés individuels.
Et en effet, il n’est pas inutile de rappeler la difficulté de maintenir cet équilibre dans un domaine – la lutte contre le terrorisme – dans lequel l’autorité administrative est dotée de pouvoirs toujours plus similaires à ceux dont dispose l’autorité judiciaire, sans être toutefois soumise aux nombreuses garanties qu’offre une procédure judiciaire (droits de la défense, présomption d’innocence, principe d’un contradictoire a priori…). La protection des droits et libertés individuels, particulièrement malmenés en la matière (les mesures de police administratives peuvent occasionner d’importantes atteintes à la liberté d’aller et venir et au respect de la vie privée), nécessite ainsi d’encadrer avec précision et de limiter les pouvoirs détenus par l’autorité administrative.
À cette fin, la Cour de cassation semble percevoir le droit d’appel, en matière de visites domiciliaires, comme une garantie supplémentaire apportée à la protection des droits et libertés, ne pouvant donc, justement pour cette raison, être accordé à l’autorité permettant d’y porter atteinte. C’est précisément parce que le droit d’appel est réservé au particulier qui a été victime d’une atteinte à son droit au respect de la vie privée qu’il permet de maintenir la balance équilibrée entre la prévention du terrorisme, et la protection des libertés individuelles. Aussi, une extension de ce droit à l’autorité administrative, laquelle poursuit l’objectif de prévenir le terrorisme, viendrait alors nécessairement rompre ce fragile équilibre.
Crim. 3 avr. 2024, FS-B, n° 23-80.911
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