Régime applicable aux circonstances aggravantes en matière de requalification par une juridiction correctionnelle : l’ultime clarification ?
Les juges n’ont pas besoin de recueillir l’accord exprès du prévenu afin de statuer sur une circonstance aggravante non visée dans la prévention. Toutefois, celle-ci doit avoir été versée aux débats et le prévenu doit avoir été mis en mesure de s’expliquer et d’organiser sa défense sur ce point.
Un individu, poursuivi pour aide au séjour irrégulier d’étrangers, a été condamné à trois ans d’emprisonnement et dix mille euros d’amende, ainsi qu’à la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour une durée de dix ans, par le tribunal correctionnel, qui avait retenu la circonstance aggravante de bande organisée. Le prévenu a interjeté appel, mais la Cour d’appel d’Aix-en-Provence retient à nouveau la bande organisée, et le condamne à six ans d’emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire français. Le prévenu se pourvoit alors en cassation, selon le moyen que la cour d’appel a statué sur des faits non visés dans la prévention – en l’occurrence, les faits permettant de retenir la circonstance aggravante de bande organisée – sans recueillir son accord exprès, et qu’elle a ainsi méconnu les articles 6, § 1 et 3, a), de la Convention européenne des droits de l’homme, et les articles 388 et préliminaire du code de procédure pénale. La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Après avoir rappelé le principe selon lequel les juges doivent recueillir l’accord exprès du prévenu pour pouvoir se saisir de faits non visés dans la prévention, elle prend le temps de confirmer et d’expliquer plus en détail le statut d’exception des circonstances aggravantes en la matière.
Clarification de la nature de l’exception
La possibilité de requalification des faits par une juridiction de jugement répond à des conditions différentes selon qu’il s’agit de procéder à une simple requalification n’impliquant pas une extension de la saisine (autrement dit, reposant uniquement sur les faits visés dans la prévention), ou bien à une requalification reposant sur des faits nouveaux, non visés dans l’acte de poursuite (C. Saas, Qualification juridique et respect des droits de la défense, AJ pénal 2007. 332
).
Dans le premier cas, nul besoin de requérir l’accord exprès du prévenu, mais la jurisprudence interne exige, depuis l’arrêt Pélissier de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 25 mars 1999, Pélissier et Sassi c/ France, n° 25444/94, D. 2000. 357
, note D. Roets
), qu’il soit mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification retenue (Crim. 16 mai 2001, n° 00-85.066, D. 2002. 31, et les obs.
, note B. Lapérou-Scheneider
; RSC 2001. 821, obs. J.-F. Renucci
).
Dans le second cas, une subdivision paraît s’imposer. Si les faits nouveaux ont trait au fait principal, l’accord exprès du prévenu est indispensable, selon une jurisprudence constante (v. par ex., Crim. 19 avr. 2005, n° 04-83.879, D. 2005. 1416, obs. J. Daleau
; RSC 2005. 842, obs. G. Vermelle
). En revanche, s’ils ne portent que sur une « circonstance du fait principal », le prévenu doit simplement être mis en mesure de se défendre sur celle-ci (Crim. 17 oct. 1979, n° 78-93.823). Les circonstances aggravantes semblent relever de cette dernière catégorie, et la Cour de cassation veille alors simplement à ce que les droits de la défense du prévenu aient été respectés, sans exiger un accord exprès de sa part (Crim. 5 déc. 1978, n° 78-91.826 ; 7 juin 1979, n° 78-93.709 ; 23 janv. 1995, n° 94-80.897 ; 20 sept. 2000, n° 99-82.846).
Pourtant, quelques décisions ont pu jeter le trouble. En 1987, la chambre criminelle use d’une formule ambigüe en énonçant, dans un attendu de principe, que « les juges ne peuvent retenir une circonstance aggravante non visée à la poursuite, à moins que le prévenu n’ait accepté le débat sur cet élément nouveau de prévention » (Crim. 1er oct. 1987, n° 86-95.844), tandis qu’en 1994, elle juge que « s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition de n’y rien ajouter, sauf acceptation expresse par le prévenu d’être jugé sur des faits ou circonstances aggravantes non compris dans la poursuite » (Crim. 22 nov. 1994, n° 94-80.387), semblant alors exiger un accord du prévenu afin de statuer sur une circonstance aggravante non visée dans la prévention. Pour autant, la majorité des décisions en la matière se contentent d’exiger une information préalable du prévenu ainsi que la possibilité pour lui d’être mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification retenue.
La présente décision confirme, avec clarté, cette position, en se fondant sur la nature même des circonstances aggravantes. La chambre criminelle rappelle, tout d’abord, le principe qui gouverne la matière et qui trouve son assise dans l’article 388 du code de procédure pénale : l’accord exprès du prévenu est indispensable lorsque le juge entend statuer sur des faits non compris dans l’acte de saisine. Pour autant, une exception existe, puisque la Cour de cassation affirme que les juges peuvent retenir une circonstance aggravante qui, résultant de la procédure ou des débats, n’est toutefois pas visée dans la prévention, et ce, sans recueillir l’accord du prévenu. Le régime d’exception réservé aux circonstances aggravantes est donc confirmé. Au surplus, la chambre criminelle vient justifier cette exception par la nature des faits en cause. Une circonstance aggravante constitue simplement un « élément accessoire au fait principal, qui ne s’en trouve pas modifié », si bien que l’adjonction d’une telle circonstance ne modifie pas l’étendue de la saisine et ne justifie donc pas de recueillir l’accord du prévenu. Dit autrement, elle vient confirmer la nature de « circonstance du fait principal » que revêtent les circonstances aggravantes, exigeant seulement que le prévenu soit mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification retenue. Finalement, l’accord du prévenu ne semble donc véritablement exigé que lorsque les faits nouveaux modifient, en substance, le fait principal… Ce qui n’est pas le cas des circonstances aggravantes. Par ailleurs, la chambre criminelle vient utilement préciser les conditions permettant de retenir une circonstance aggravante non visée dans l’acte de poursuite.
Précision des conditions de l’exception
Les conditions permettant à une juridiction de jugement de statuer sur une circonstance aggravante absente de la prévention sont énoncées à la fois par la jurisprudence interne, et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La chambre criminelle a dégagé, dans son célèbre arrêt Baroum (Crim. 5 déc. 1978, n° 78-91.826, D. 1979. 50, note S. Kehrig), une formule de principe, régulièrement reprise depuis et selon laquelle « tout prévenu a droit à être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dont il est l’objet et […] doit, par suite, être en mesure de se défendre tant sur les divers chefs d’infraction qui lui sont imputés que sur chacune des circonstances aggravantes susceptibles d’être retenues à sa charge ». La Cour de cassation exige donc deux conditions essentielles : d’une part, que le prévenu soit précisément informé de la circonstance aggravante envisagée, et, d’autre part, qu’il soit en mesure de se défendre sur celle-ci. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle exige, depuis son arrêt Pélissier et Sassi contre France, les deux mêmes conditions pour toute opération de requalification – qu’elle repose sur des faits distincts de la prévention, ou non –, en précisant pour la seconde que le mis en cause doit disposer du temps et des facilités nécessaires pour organiser sa défense – formule plus précise que celle utilisée en droit interne. Dans le présent arrêt, la Cour de cassation, après avoir rappelé les exigences de la Cour de Strasbourg en la matière, reprend, en les précisant, ces conditions tenant à l’information du prévenu et à la préparation de sa défense.
La chambre criminelle semble, tout d’abord, imposer une sorte de « condition préalable » ou de « condition générale » consistant en la mise dans le débat de la circonstance aggravante soulevée par les juges, avant de lister trois conditions plus précises que sont l’information préalable du prévenu, la possibilité de s’expliquer sur la circonstance envisagée, et enfin, l’organisation de sa défense. En effet, elle énonce que l’adjonction d’une circonstance aggravante nouvelle n’est possible « qu’à la condition d’avoir été mise dans le débat [condition générale], de sorte que le prévenu en ait été préalablement avisé [1re sous-condition], qu’il soit invité à s’en expliquer [2e sous-condition] et qu’il lui soit permis d’organiser sa défense, au besoin en sollicitant un renvoi [3e sous-condition] ». Au-delà de la mise en débat, impliquant nécessairement – pour le seul prévenu comparant –, l’information préalable et la possibilité de s’expliquer, la chambre criminelle développe la condition auparavant nébuleuse tenant au fait que le prévenu soit mis « en mesure de se défendre ». En effet, elle vient préciser, par la troisième sous-condition, que le prévenu est en droit de demander un renvoi. Cette exigence permet d’assurer la conformité du régime applicable aux circonstances aggravantes avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui exige que le prévenu dispose du temps nécessaire pour préparer sa défense.
La présente décision tente donc de clarifier, une fois pour toutes, le régime des circonstances aggravantes en matière de requalification devant les juridictions correctionnelles. Ainsi, qu’elles soient personnelles (à l’instar de la récidive, retenue dans la grande majorité des décisions en la matière) ou réelles (à l’instar de la bande organisée comme tel est le cas en l’espèce), les circonstances aggravantes ne sont qu’un élément accessoire au fait principal, ne nécessitant pas, pour être jugées, de recueillir l’accord exprès du prévenu. En réalité, qu’elle soit limitée aux faits de la prévention ou qu’elle repose sur des faits totalement distincts et nouveaux, l’adjonction d’une circonstance aggravante semble devoir répondre à une exigence affirmée : celle du respect des droits de la défense.
© Lefebvre Dalloz