Régime « Dutreil-ISF » : l’activité éligible peut être simplement prépondérante

Le régime d’exonération partielle d’impôt de solidarité sur la fortune « Dutreil-ISF » peut s’appliquer aux parts ou actions de sociétés qui, ayant pour partie une activité civile autre qu’agricole ou libérale, exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice.

L’affaire jugée se rattache à une période révolue, celle de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Cet impôt, nul ne l’ignore, a été supprimé, à compter du 1er janvier 2018, par la loi de finances pour 2018 (Loi n° 2017-1837 du 30 déc. 2017, art. 31). Ou plus exactement il a été remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (IFI) assis sur les seuls biens immobiliers non professionnels des contribuables personnes physiques. Il n’en continue pas moins à susciter des jurisprudences dignes d’intérêt, tel que cet arrêt récent qui s’est prononcé sur la nature juridique des obligations remboursables en actions, lesquelles constituent, dans le patrimoine de leur souscripteur, jusqu’à leur remboursement, des obligations ayant la nature de créances et non pas des actions (Com. 14 févr. 2024, n° 22-16.954 F-B, Dalloz actualité, 18 mars 2024, obs. X. Delpech).

Exposé des faits. Les faits ayant conduit à cet arrêt du 13 mars 2024 méritent d’être relatés. L’administration fiscale a notifié à M. H. une proposition de rectification portant rappel d’ISF pour les années 2011 à 2015 et de contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) pour l’année 2012, remettant en cause l’exonération partielle de 75 % de la valeur des actions de la société Parasol production, au motif que cette société exercerait à titre principal une activité civile, de ce fait non éligible au dispositif d’exonération d’ISF prévu par l’article 885 I bis du code général des impôts, en d’autres termes inéligible à l’ancien régime « Dutreil-ISF ».

Pour rappel, tout d’abord, et pour ne plus y revenir, la CEF, instituée par l’article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, était une imposition temporaire du patrimoine, applicable seulement en 2012 et qui concernait les seules personnes assujetties à l’ISF (en d’autres termes, c’était une sorte de « complément d’ISF » ; sur l’absence de caractère confiscatoire de la CEF, v. Com. 12 mai 2021, n° 20-14.596 F-P, Dalloz actualité, 8 juin 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 966 ).

Conditions d’éligibilité au régime « Dutreil-ISF ». Ensuite, en ce qui concerne le régime « Dutreil-ISF », il avait été institué par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique (dite loi « Dutreil I ») et avait pour siège l’article 885 I bis du code général des impôts, plusieurs fois modifié avant d’être abrogé par la loi de finances pour 2018. Le dispositif prévu par cet article permettait au contribuable redevable de l’ISF de bénéficier d’une exonération de 75 % de la valeur des parts de société à déclarer faisant l’objet d’un engagement de conservation, ce qui permettait de diminuer significativement l’assiette de ISF.

Pour que le dispositif s’applique, les trois conditions suivantes devaient être remplies :

  • l’établissement d’un engagement collectif de conservation des titres transmis pour une durée minimale de deux ans, par au moins deux personnes propriétaires de titres, personnes physiques ou personnes morales. Cet engagement devait porter sur au moins 20 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société s’ils étaient admis à la négociation sur un marché réglementé ou, à défaut (société cotée sur un marché réglementé ou non cotée), sur au moins 34 % des parts ou actions de la société ;
  • le respect par le contribuable propriétaire des droits sociaux d’une obligation individuelle de conservation des titres transmis. L’exonération partielle lui était acquise au terme d’un délai global de conservation de six ans. Celle-ci portait sur tous les titres soumis à l’engagement collectif. Le non-respect de cette obligation entrainait la remise en cause des exonérations qui avaient été accordées ;
  • l’obligation d’exercer une fonction de direction par l’un des associés de l’engagement collectif de conservation pendant les cinq années qui suivent la date de conclusion de l’engagement.

En ce qui concerne la société émettrice des droits sociaux ayant fait l’objet d’un engagement collectif de conservation, il était nécessaire qu’elle exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Le dispositif était également applicable aux droits sociaux détenus par le redevable dans une société détenant, directement (simple niveau d’interposition) ou indirectement par l’intermédiaire d’une autre société (double niveau d’interposition), une participation dans la société dont les titres faisaient l’objet de l’engagement collectif de conservation.

L’activité éligible peut être simplement prépondérante. Dans l’affaire jugée, le litige concernait la nature de l’activité exercée par la société émettrice des droits sociaux ; il s’agissait ici précisément d’une activité mixte, à la fois commerciale et civile (mais non libérale). Or, une société peut valablement être éligible au régime « Dutreil-ISF » alors que l’activité éligible n’est pas l’activité exclusive exercée par la société ; simplement, il faut que l’activité civile (non éligible) ne soit pas prépondérante. Le contentieux tranché par la chambre commerciale dans son arrêt du 13 mars 2024 concernait pour l’essentiel l’appréciation par les juges du caractère prépondérant de l’activité éligible.

M. H. a ici assigné l’administration fiscale afin d’obtenir la décharge des impositions supplémentaires réclamées par celle-ci. Sa demande est rejetée tant par les premiers juges que par la cour d’appel. En revanche, il obtient la cassation de l’arrêt d’appel, ce qui mérite quelque explication. Certes, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir jugé que, « même postérieurement à la période visée par l’engagement de conservation des titres, l’éligibilité des parts au [régime « Dutreil-ISF »] demeurait soumise à la condition que la société exerçât une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette condition devant être remplie au 1er janvier de chaque année concernée par la déclaration ».

C’est sur le second point, sur l’appréciation par les juges d’appel du caractère prépondérant de l’activité éligible exercée par la société, que le contribuable obtient la censure. La Cour d’appel de Paris avait jugé que le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, agricole ou libérale peut être retenu si le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % de son chiffre d’affaires total et si le montant de l’actif brut immobilisé est supérieur à 50 % du montant total de l’actif brut. Elle avait relevé que la société Parasol production développait une activité mixte, d’une part, une activité commerciale de prestations de services rendues dans le domaine de l’audiovisuel, d’autre part une activité civile de gestion de patrimoine. Mais elle considère que M. H. n’a pas rapporté la preuve que les actifs affectés à l’activité commerciale représenteraient plus de 50 % de son actif brut et que l’actif brut de la société Parasol production serait majoritairement constitué de valeurs mobilières de placement ne présentant pas un caractère professionnel.

Pour la chambre commerciale, le régime d’exonération partielle d’ISF (« Dutreil-ISF ») peut s’appliquer « aux parts ou actions de sociétés qui, ayant pour partie une activité civile autre qu’agricole ou libérale, exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice » (pt 10). Elle reproche aux juges d’appel ne pas avoir examiné, comme il leur incombait, l’ensemble des indices dont se prévalait le contribuable pour démontrer le caractère principalement commercial de la société, en particulier les éléments relatifs à la nature de l’activité exercée et les conditions de son exercice, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si les liquidités et titres de placement inscrits au bilan de la société Parasol production constituaient des actifs dont l’acquisition découlait de son activité sociale. Si tel était le cas, ils devraient être considérés comme faisant partie des actifs commerciaux. D’où la cassation de l’arrêt d’appel pour défaut de base légale.

 

Com. 13 mars 2024, F-B, n° 22-15.300

© Lefebvre Dalloz