Règlement Bruxelles I : précisions de procédure civile

Le recours, prévu par le règlement Bruxelles I, contre une déclaration constatant la force exécutoire d’un jugement d’un État membre n’est pas un appel, bien qu’il soit porté devant la cour d’appel.

Cette déclaration doit être signifiée conformément aux dispositions de l’article 680 du code de procédure civile, qui constitue un principe général.

Le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale est applicable depuis le 10 janvier 2015 et prévoit notamment, par son article 39, qu’« une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire ».

Il s’agit d’une différence importante avec les dispositions du règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000, entré en vigueur le 1er mars 2002, et qui énonce, par son article 38, § 1, que « les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée ». L’article 39, § 1, ajoute que la requête est présentée à la juridiction ou à l’autorité compétente indiquée sur la liste figurant à l’annexe II. Pour la France, il s’agissait initialement du directeur de greffe du tribunal de grande instance, devenu le directeur des services de greffe du tribunal judiciaire.

Dans l’affaire jugée par la première chambre civile le 18 juin 2025 et encore soumise au règlement Bruxelles I, un greffier en chef d’un tribunal de grande instance avait constaté la force exécutoire en France d’une décision anglaise. La partie débitrice avait alors exercé le recours prévu par l’article 43, § 1, du règlement Bruxelles I, selon lequel « l’une ou l’autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire ». Il avait alors saisi, comme le prévoit l’article 43, § 2, la juridiction indiquée sur la liste figurant à l’annexe III, à savoir, en ce qui concerne la France, la cour d’appel pour les décisions accueillant la requête (le président du tribunal est quant à lui compétent pour celles la rejetant).

Sans qu’il soit nécessaire de présenter les circonstances de l’espèce, il y a lieu de relever que l’arrêt du 18 juin 2025 présente un intérêt important, de deux points de vue.

La qualification du recours

La cour d’appel avait retenu que le recours prévu par le règlement Bruxelles I contre la décision du greffier avait la nature d’un appel, sans doute en raison du fait que l’on est en présence d’un recours organisé devant la cour d’appel et que le délai de recours est, comme celui d’appel (C. pr. civ., art. 538), d’un mois en principe en application de l’article 43, § 5. Cet article énonce en effet que « le recours contre la déclaration constatant la force exécutoire doit être formé dans un délai d’un mois à compter de sa signification », du moins si la partie contre laquelle l’exécution est demandée est domiciliée sur le territoire du même État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée.

Il est vrai que cette qualification d’appel a déjà été promue par certains auteurs (L. Bachmaier Winter et J. Banacloche Palao, in A. De La Oliva Santos [dir.], Competencia judicial internacional, Reconocimiento y ejecucion de resoluciones extranjeras en la Union europea, Thomson Reuters, vol. 1, 2011, p. 375 ; v. égal., à propos de la Convention de Bruxelles, P. Gothot et D. Holleaux, La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, Jupiter, 1985, n° 381).

Néanmoins, cette qualification d’appel n’est pas retenue par le règlement Bruxelles I, dont la Cour de justice de l’Union européenne a relevé qu’il « ne prévoit ni la nature ni les modalités concrètes des voies de recours contre cette décision » déclarant exécutoire un jugement étranger (CJUE 12 déc. 2019, aff. C-433/18, § 28, Dalloz actualité, 10 janv. 2020, obs. F. Mélin ; v. égal., à propos de la Convention de Bruxelles, CJCE 2 juill. 1985, aff. C-148/84, qui énonce, au pt 17, que cette convention a créé une procédure d’exequatur qui constitue un système autonome et complet, y compris dans le domaine des voies de recours, JDI 1986. 469, obs. A. Huet ; Rev. crit. DIP 1986. 341, note H. Gaudemet-Tallon ; Gaz. Pal. 1986. 1. Somm. 106, obs. Mauro).

L’arrêt du 18 juin 2025 écarte cette qualification d’appel compte tenu des termes de l’article 542 du code de procédure civile, selon lesquels « l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel ». Cette définition peut en effet difficilement s’appliquer dans le cadre de la procédure de recours prévue par le règlement Bruxelles I en présence non pas d’un jugement mais d’une déclaration établie par un greffier en chef, devenu directeur des services judiciaires, sans intervention d’un juge. Sans doute faut-il donc faire entrer ce recours dans la catégorie des voies de recours innommées, pour reprendre une expression utilisée par d’éminents auteurs dans le cadre purement interne (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 12e éd., LexisNexis, 2023, n° 794).

L’arrêt du 18 juin 2025 tire les conséquences de cette approche. Les juges du fond avaient en l’espèce condamné le recourant à payer une amende civile pour appel abusif, en application de l’article 559 du code de procédure civile qui dispose qu’« en cas d’appel principal dilatoire ou abusif, l’appelant peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 €, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés ». L’arrêt retient toutefois logiquement qu’ils ont, ce faisant, violé ce texte par fausse application, puisque le recours contre la déclaration conférant la force exécutoire à la décision anglaise n’est pas un appel.

La signification de la déclaration

L’arrêt du 18 juin 2025 présente un autre intérêt car il détermine les conditions de signification de la déclaration constatant la force exécutoire du jugement étranger, qui sont essentielles puisque l’article 43, § 5, précité, prévoit en substance que le délai de recours d’un mois contre la déclaration constatant la force exécutoire court à compter de sa signification. 

À ce sujet, l’article 42, § 2, du règlement énonce que « la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n’a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie », l’objectif étant de protéger les droits de la partie contre laquelle l’exécution est demandée et de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours (CJCE 16 févr. 2006, aff. C-3/05, rendu en application de la Conv. de Bruxelles du 27 sept. 1968, D. 2006. 672 ; Rev. crit. DIP 2006. 691, note E. Pataut ; Procédures 2006. Comm. 272, obs. C. Nourissat ; v. égal., en application du règl. Bruxelles I, Civ. 1re, 25 mai 2023, n° 22-12.299, Dalloz actualité, 9 juin 2023, obs. P. Gondard ; D. 2023. 1018 ).

Or, l’arrêt du 18 juin 2025 précise, pour la première fois semble-t-il, qu’il y a lieu, à ce sujet, de faire application de l’article 680 du code de procédure civile, selon lequel « l’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ».

La référence à cet article peut sembler surprenante au premier abord, puisque la Cour de cassation retient par ailleurs, comme il vient de l’être indiqué, que le recours contre la déclaration ne constitue pas un appel et puisque la qualification d’opposition et de pourvoi en cassation est également à écarter à l’évidence.

Néanmoins, cette référence s’explique aisément compte tenu de la jurisprudence, très abondamment commentée, de la Cour de cassation qui retient  que « la règle issue de l’article 680 du code de procédure civile constitue un principe général qui s’applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours » (Cass., ass. plén., 8 mars 2024, n° 21-21.230, AJDA 2024. 527 ; ibid. 1210 , chron. A. Goin et L. Cadin ; D. 2024. 545 ; AJCT 2024. 435 ; RTD civ. 2024. 494, obs. N. Cayrol ; ibid. 620, obs. P. Deumier ; Dr. adm. 2024, n° 6, comm. 22, note G. Eveillard ; ibid., n° 5, Alerte 51, focus A. Meynaud-Zeroual ; Gaz. Pal. 23 avr. 2024, n° 14, p. 20, note C. Bizet ; Procédures 2024. Repère 7, obs. H. Croze ; JCP A 2024. Chron. 2136, obs. O. Le Bot ; ibid. Actu. 167, obs. V. Beaujard ; JCP 2024. Actu. 557, note C. Froger).

Encore faut-il évidemment que les mentions figurant sur l’acte de signification soient suffisamment précises, ce qui était le cas en l’espèce puisque l’acte indiquait notamment qu’il était possible d’exercer un recours, par un avocat constitué devant la cour d’appel, contre la déclaration dans le délai d’un mois à compter de la date de la signification.

 

Civ. 1re, 18 juin 2025, F-B, n° 23-23.510

par François Mélin, Président de chambre à la Cour d'appel de Reims

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