Règlement (UE) n° 2015/848 Insolvabilité : lieu d’activité principal du débiteur personne physique

S’agissant d’une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, il est présumé, jusqu’à preuve du contraire, que le centre des intérêts principaux se situe au lieu d’activité principal, quand bien même cette activité ne nécessite aucun moyen humain ou aucun actif.

L’ouverture d’une procédure d’insolvabilité a été demandée en Allemagne à l’égard d’un débiteur personne physique ayant une activité libérale ou indépendante et ayant – selon les éléments de la procédure allemande – plusieurs domiciles, situés en Allemagne, à Monaco, aux États-Unis et en France.

Le juge saisi a retenu qu’il n’était pas compétent sur le fondement du règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, dont l’article 3, § 1, dispose que « les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité (ci-après dénommée procédure d’insolvabilité principale). Le centre des intérêts principaux correspond au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers » ; et que « pour une personne physique exerçant une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être le lieu d’activité principal de l’intéressé. Cette présomption ne s’applique que si le lieu d’activité principal de la personne physique n’a pas été transféré dans un autre État membre au cours des trois mois précédant la demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ».

Sa décision ayant fait l’objet d’un recours, la Cour fédérale allemande de justice a en définitive transmis à la Cour de justice de l’Union européenne deux questions préjudicielles, visant toutes les deux à cerner la notion de « lieu d’activité principal » du débiteur ayant une activité libérale ou indépendante.

1) La première question préjudicielle trouve son origine dans les termes de l’article 2, point 10, du règlement selon lesquels l’« établissement » du débiteur est « tout lieu d’opérations où un débiteur exerce ou a exercé au cours de la période de trois mois précédant la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale, de façon non transitoire, une activité économique avec des moyens humains et des actifs ».
Il s’agit de déterminer si la notion de lieu d’activité principal, visée par l’article 3, § 1, correspond à celle d’établissement, énoncée par l’article 2.

Cette première question est quelque peu surprenante car ces deux notions ne sont pas utilisées par le règlement de manière équivalente ni dans le même contexte.
La notion de lieu d’activité principal est utilisée pour déterminer les juridictions de l’État membre compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité dite « principale » au sens de l’article 3, § 1, (sur ce, M. Menjucq, Droit international et européen des sociétés, 6e éd., LGDJ, 2021, n° 630).

La notion d’établissement est, quant à elle, utilisée dans le cadre des procédures d’insolvabilité dites secondaires prévues par l’article 3, § 2, : « Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire » (sur ce, W. Ben Hamida, O. Cachard et R. Dalmau, Droit des affaires internationales, 4e éd., LGDJ, 2024, n° 411).

Sans surprise, l’arrêt du 19 septembre 2024 énonce en conséquence que l’article 3, § 1, doit être interprété en ce sens que la notion de « lieu d’activité principal » d’une personne physique exerçant une profession libérale ou une autre activité d’indépendant, au sens de cette disposition, ne correspond pas à la notion d’« établissement » définie à l’article 2, point 10.

2) La seconde question préjudicielle trouve quant à elle son origine dans une particularité factuelle de l’espèce : le débiteur personne physique concerné exerçait ses activités – selon l’expression retenue par l’arrêt – sans recourir à aucun moyen humain ni à aucun actif.

Cette particularité devait-elle avoir une incidence sur la détermination du lieu d’activité principal, alors que l’article 3, § 1, du règlement indique que le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve du contraire, être ce lieu ?

L’arrêt répond négativement à cette interrogation, par le principe reproduit en tête de ces observations.

Une telle réponse se situe dans la ligne de la jurisprudence récente.

On sait que le centre des intérêts principaux doit être déterminé au terme d’une appréciation globale de l’ensemble des critères objectifs et vérifiables par les tiers, particulièrement par les créanciers, susceptibles de déterminer le lieu effectif où le débiteur gère habituellement ses intérêts (CJUE 16 juil. 2020, aff. C‑253/19, pt 22, D. 2020. 2104 , note J.-L. Vallens ; ibid. 1970, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2021. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ) ; et que cette approche vaut également pour les personnes physiques exerçant une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant (même arrêt, pt 23). On sait également que s’agissant d’une personne physique n’exerçant pas une profession libérale ou toute autre activité d’indépendant, il est admis que les critères pertinents pour déterminer le centre des intérêts principaux sont ceux qui se rapportent, notamment, à sa situation économique, ce qui correspond au lieu où cette personne gère ses intérêts économiques et où la majorité de ses revenus sont perçus et dépensés, ou bien au lieu où se situe la majeure partie de ses actifs (même arrêt, pt 24).

Prolongeant cette approche, l’arrêt du 19 septembre 2024 précise que le seul fait que la profession libérale ou l’activité d’indépendant de l’intéressé ne nécessite aucun actif ou aucun moyen humain ne saurait, en soi, suffire à renverser la présomption posée par l’article 3, § 1 (arrêt, pts 48 et 49). Cette précision ne peut qu’être approuvée, en l’absence de restrictions prévues par les rédacteurs du règlement.

 

CJUE 19 sept. 2024, aff. C-501/23

Lefebvre Dalloz