Regroupement de crédits et rétractation

Dans un arrêt rendu le 19 juin 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle quelques constantes autour du droit de rétractation du consommateur dans le contexte d’un regroupement de crédits.

Le droit de la consommation a été l’objet, ces dernières semaines, de plusieurs décisions remarquables rendues par la première chambre civile de la Cour de cassation. Les thématiques étudiées sont plurielles allant du droit des clauses abusives (Civ. 1re, 29 mai 2024, n° 23-12.904 F-B, Dalloz actualité, 4 juin 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1012 ) au surendettement des particuliers (Civ. 2e, 28 mars 2024, n° 22-12.797 FS-B, Dalloz actualité, 2 mai 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 677 ; CE 31 mai 2024, n° 465197, Dalloz actualité, 11 juin 2024, obs. C. Hélaine ; Lebon ; AJDA 2024. 1137 ). Trois nouvelles décisions rendues le 19 juin 2024 viennent confirmer ce constat de vivacité du contentieux à travers le prêt viager hypothécaire (Civ. 1re, 19 juin 2024, n° 22-20.533, Dalloz actualité, 25 juin 2024, obs. C. Hélaine), l’obligation d’information et de conseil (Civ. 1re, 19 juin 2024, n° 21-19.972, Dalloz actualité, 26 juin 2024, obs. C. Hélaine) et, enfin, le droit de rétractation qui nous intéresse aujourd’hui. Comme le note un auteur, le processus contractuel connaît une certaine spécificité en matière de crédit à la consommation en raison de ce dernier mécanisme (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 266, n° 187). L’affaire étudiée permet d’évoquer la thématique sous l’angle du regroupement de crédits. 

Les faits débutent par une offre de prêt du 3 janvier 2018 émise par un établissement bancaire au profit d’un couple. L’offre est acceptée le 6 janvier suivant. Le but de l’opération est de regrouper plusieurs crédits à la consommation préexistants. Une clause de la convention reproduit les dispositions de l’article L. 312-26 du code de la consommation sur le droit de rétractation offert au consommateur et indique que « les fonds, mis à disposition au plus tôt dès le 8e jour de la date d’acceptation de l’offre par l’emprunteur avec l’accord de ce dernier et au plus tard après l’expiration du délai de rétractation, seront directement versés par la banque à chacun des précédents créanciers dont le remboursement de la créance fait l’objet du contrat » (pt n° 2, nous soulignons). Cette précision sera fort importante pour la suite. Une fois le délai de huit jours dépassé, les emprunteurs demandent le déblocage des fonds. Ceux-ci sont versés aux créanciers concernés et les crédits ainsi regroupés sont remboursés dès le 16 janvier 2018. Deux jours plus tard, le 18 janvier suivant, les emprunteurs exercent leur droit de rétractation.

La banque les assigne en paiement après les avoir mis en demeure de restituer le capital et de payer les intérêts au taux du contrat. Les emprunteurs estiment ne pas devoir rembourser les fonds dans la mesure où le versement a été réalisé au profit de leurs créanciers et qu’ils n’ont donc pas été destinataires directement de la somme prêtée. En cause d’appel, les juges du fond accueillent la demande de la banque en restitution de la somme mise à disposition des créanciers des emprunts préexistants. Le montant de la créance de la banque est fixé en principal et en intérêts tout en ordonnant la capitalisation desdits intérêts.

Nos emprunteurs ayant exercé leur droit de rétractation se pourvoient en cassation. Les deux moyens développés devant la cour n’auront pas forcément la même efficacité. Nous allons examiner pourquoi l’arrêt du 19 juin 2024 aboutit à une cassation seulement sur la capitalisation des intérêts.

De l’incidence du regroupement de crédit

La question posée à la première chambre civile est, disons-le d’emblée, assez rare. Aucune décision publiée au Bulletin ces dernières années ne vient très clairement prendre position sur ce point précis. Quoiqu’on puisse penser de l’orientation choisie, il résulte de l’arrêt étudié un certain éclaircissement appréciable pour la pratique et notamment celles des regroupements de crédits.

Toute l’argumentation des demandeurs au pourvoi reposait sur un aspect de pure ingénierie contractuelle. Comme dans de nombreux regroupements de crédit, le but de l’opération de regroupement était de pouvoir désintéresser les créanciers déjà en place pour ne plus avoir une pluralité d’interlocuteurs. Or, en pareille situation, les fonds n’avaient donc pas été versés personnellement aux emprunteurs mais répartis entre les différents créanciers de ces derniers, et ce, afin de procéder audit regroupement (v. la clause ci-dessus reproduite). Les demandeurs à la cassation y voyaient un cas où ils n’étaient pas tenus au remboursement des fonds prêtés.

Sans très grande surprise, la première chambre civile de la Cour de cassation procède par voie d’assimilation du contrat de regroupement de crédits à un nouveau crédit à la consommation, et ce, en rappelant la lettre de l’article L. 314-10 du code de la consommation. C’est précisément cette disposition qui permet à l’arrêt du 19 juin 2024 de pouvoir déployer son argumentation en cascade sur l’application des textes dans la présente affaire.

L’assimilation entre le regroupement de crédits et un nouveau crédit à la consommation pur et simple permet aux magistrats de juger que l’absence de versement des fonds à l’emprunteur lui-même est purement et simplement indifférente. Les dispositions légales ne font, en effet, aucune différence entre les fonds directement versés à l’emprunteur et ceux qui sont versés aux créanciers afin de regrouper plusieurs crédits en un seul. Par conséquent, une solution contraire ne se comprendrait pas au sens des textes du droit de la consommation. Là où la loi ne distingue pas, il convient de ne pas distinguer en somme !

On comprend surtout de l’arrêt étudié que l’ingénierie contractuelle prévoyant le désintéressement des créanciers ne dispense pas les emprunteurs de rembourser, par leurs propres forces, le prêteur s’ils se rétractent. Tout ceci implique pour ces derniers de mûrement réfléchir avant de se rétracter en pareille situation. 

De l’absence de capitalisation des intérêts

Une question intéressante est également posée par le second moyen. En cause d’appel, la créance de la banque avait été fixée en principal comme en intérêts tout en prononçant la capitalisation desdits intérêts. Or, il est vrai que l’article L. 312-26 du code de la consommation précise in fine que « le prêteur n’a droit à aucune indemnité versée par l’emprunteur en cas de rétractation ». Là-encore, la décision explore un motif peu fréquemment mis à l’honneur.

Dans son arrêt rendu le 19 juin 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation fait intégrer dans le giron de cette interdiction la capitalisation des intérêts. À bon droit certainement dans la mesure où une telle capitalisation pourrait être assimilée à l’indemnité que ne peut pas recevoir l’emprunteur en cas de rétractation. L’anatocisme, lequel pose fréquemment difficulté en droit de la consommation (v. déjà sur cette question dans un autre domaine, Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-23.617 FS-B, Dalloz actualité, 19 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 788 ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RDI 2022. 458, obs. J. Bruttin ), répond à l’évidence à un objectif plus ou moins direct de rémunération du prêteur de deniers. On peut évidemment nuancer l’idée en estimant que la capitalisation des intérêts ne fait que de restaurer la banque dans ses droits postérieurement à la rétractation. L’argument ne paraît pas déterminant.

En tout état de cause, l’arrêt examiné vient aligner la solution avec celle d’autres pans du droit de la consommation pour empêcher toute capitalisation des intérêts en la matière (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-23.617 FS-B, préc.). L’énoncé légal est, ici encore, trop général pour que la solution contraire puisse prospérer.

La décision du 19 juin 2024 permet donc d’opérer des rappels et des précisions dans le contexte du regroupement de crédits. Opération importante du droit de la consommation, son assimilation au crédit à la consommation permet de lui appliquer les textes prévus par la loi :

  • du côté de l’emprunteur, ceci implique la restitution des fonds prêtés en cas d’exercice du droit de rétractation après la remise desdits fonds et ce même si ceux-ci ont été versés aux créanciers de l’emprunteur ;
  • du côté de la banque prêteuse de deniers, ceci signifie que la capitalisation des intérêts n’est pas possible dans la mesure où le prêteur n’a droit à aucune indemnité par le jeu de l’article L. 312-26 du code de la consommation. 

Prudence, donc au moment du choix de la rétractation et de la mise en mouvement des conséquences de celle-ci !

 

Civ. 1re, 19 juin 2024, F-B, n° 22-10.300

© Lefebvre Dalloz