Rejet de la compensation en matière douanière
Aucune disposition législative ou réglementaire n’autorise les entrepositaires agréés à procéder, dans leur comptabilité matières et leur déclaration d’imposition, à une compensation entre produits manquants et produits excédents de références différentes, même si ces produits appartiennent à une même catégorie fiscale ou relèvent du même taux d’imposition.
Les droits d’accises sont des impôts indirects à payer lors de la mise à la consommation de certains produits, notamment l’alcool, le tabac et l’énergie. Mais avant cette étape de la consommation, il existe des régimes suspensifs qui permettent la production, le stockage et la circulation des produits entre professionnels sans payer le droit d’accises à ce stade, c’est-à-dire en suspension de droits d’accises. Les professionnels qui souhaitent bénéficier de ce régime doivent obtenir un agrément délivré par l’administration des douanes. Le régime de suspension de droits d’accises bénéficie au premier chef à l’entrepositaire agréé, lequel peut produire, transformer, détenir, recevoir et expédier des produits en suspension de droits d’accises dans un entrepôt fiscal.
Dans l’affaire jugée, il est question d’une société, DFA, qui achète des produits alcooliques et du tabac qu’elle détient, en tant qu’entrepositaire agréé, en suspension de droits d’accises. En 2016, à la suite d’un contrôle de l’entrepôt de la société DFA, l’administration des douanes a constaté que des produits manquants avaient été compensés avec des excédents de références différentes. En 2017, soutenant que les compensations effectuées avaient eu pour effet de minorer le montant des droits d’accises liés à l’ensemble des manquants constatés lors des inventaires, l’administration des douanes a émis contre la société DFA un avis préalable de taxation au titre des années 2013, 2014 et 2015. Puis après avoir émis un avis définitif de taxation, l’administration des douanes a notifié à la société DFA les infractions de défaut de paiement des droits d’accises sur l’alcool et le tabac, défaut de paiement de la cotisation sociale et défaut de tenue de la comptabilité matières par inexactitude. Enfin, elle a émis contre la société DFA deux avis de mise en recouvrement (AMR) des suppléments de droits réclamés et des pénalités de retard. Après le rejet de sa réclamation, la société DFA a alors assigné l’administration des douanes en annulation des AMR et de la décision de rejet et en remboursement des droits payés et des frais de caution engagés. Les premiers juges (TGI de Meaux) ont donné à raison à la société DFA, puisqu’ils ont annulé les deux AMR. Mais la Cour d’appel de Paris, infirmant leur jugement, a confirmé les AMR. Il en est de même de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi de la société.
1. Dans son pourvoi, la société AMR reproche tout d’abord à la cour d’appel de ne pas avoir respecté les droits de la défense. L’argument ne convainc pas la Haute juridiction.
Cette dernière se réfère à l’article L. 80 M du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, qui pose le principe du respect du contradictoire. Précisément, en matière de contributions indirectes et de réglementations assimilées, toute constatation susceptible de conduire à une taxation donne lieu à un échange contradictoire entre le contribuable et l’administration. Le contribuable est informé des motifs et du montant de la taxation encourue par tout agent de l’administration. Si le contribuable demande à bénéficier d’une communication écrite, l’administration lui adresse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception une proposition de taxation qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation.
La Cour de cassation ajoute qu’il résulte en outre du principe du respect des droits de la défense, qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief, que les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments de droit et de fait sur lesquels l’administration entend fonder sa décision.
Elle considère que, en l’occurrence, l’administration n’a pas modifié les motifs de la taxation, qui est restée fondée sur la constatation de manquants, et qu’elle a satisfait à son obligation de motivation en répondant précisément aux arguments soulevés par la société DFA dans ses observations. La cour d’appel de Paris en déduit que, la société DFA ne démontrant pas qu’elle a été privée d’un débat contradictoire, il y a lieu de confirmer la régularité de la procédure.
2. La société AMR considère, en second lieu, que les entrepositaires agréés peuvent, dans leur comptabilité matières et leur déclaration d’imposition, procéder à une compensation entre produits manquants et produits excédents de références différentes, mais de même nature, appartenant à une même catégorie fiscale et relevant du même taux d’imposition, puisqu’une telle compensation n’a aucun impact sur le montant des droits d’accises dus.
Les manquants constituent des « produits soumis à accise placés sous un régime de suspension de droits, autres que ceux détruits ou perdus en cours de fabrication, de transformation ou de stockage, qui ne peuvent être présentés aux services des douanes et droits indirects alors qu’ils figurent dans la comptabilité matières tenue par l’entrepositaire agréé ou qu’ils auraient dû figurer dans celle-ci » (CGI, art. 302 D, I, 1, 2° bis). Comme le précise l’administration des douanes, les manquants « correspondent ainsi à une disparition injustifiée de produit alcoolique. Tout manquant est taxé » (Circ. 31 déc. 2014, NOR : FCPD1431405C, spéc. p. 5).
Ce à quoi la Cour de cassation répond qu’« aucune disposition législative ou réglementaire n’autorise les entrepositaires agréés à procéder, dans leur comptabilité matières et leur déclaration d’imposition, à une compensation entre produits manquants et produits excédents de références différentes, même si ces produits appartiennent à une même catégorie fiscale ou relèvent du même taux d’imposition ». Cette position rejoint celle de la douane (Circ. 31 déc. 2014, préc., spéc. p. 27 : « toute compensation entre manquants et excédents de différents types, élaboration et stockage en cuve étanche par exemple, est interdite »), laquelle se trouve ainsi confortée.
Com. 24 janv. 2024, F-B , n° 21-19.998
© Lefebvre Dalloz