Relaxes partielles et appel du ministère public : précisions sur la portée de l’appel
Le recours principal ou incident du ministère public saisit la juridiction de l’intégralité de l’action publique.
En l’espèce, à l’issue d’une instruction, deux individus étaient renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d’importation, acquisition, transport, détention, offre ou cessions illicites de stupéfiants et association de malfaiteurs. Cette juridiction relaxait l’un d’eux du chef d’importation et le déclarait coupable pour le surplus. Le deuxième individu était pour sa part relaxé des chefs d’importation de stupéfiants et d’association de malfaiteurs et déclaré coupable des autres infractions. Les intéressés relevaient appel et le ministère public formait, pour sa part, un appel contre chacun d’eux. Dans son pourvoi en cassation, le procureur général reproche aux seconds juges d’avoir considéré que les relaxes partielles étaient définitives en l’absence d’appel principal du parquet. Or, le requérant relève que le ministère public avait formé appel principal à l’égard des intéressés, étant précisé que le recours principal ou incident du ministère a pour conséquence de saisir la juridiction de l’intégralité de l’action publique. En conséquence, selon le parquet général, la portée de l’appel n’ayant pas été limitée, la cour d’appel était saisie de toutes les dispositions du jugement concernant ces deux prévenus.
La Cour de cassation partage ce point de vue et casse l’arrêt rendu par la cour d’appel qui avait cru pouvoir reconnaître le caractère définitif des relaxes prononcées en première instance. Au triple visa des articles 500, 509 et 515 du code de procédure pénale, la chambre criminelle énonce que l’affaire est dévolue à la cour d’appel dans la limite fixée par l’acte d’appel et par la qualité de l’appelant. Sauf indications contraires expressément formulées dans la déclaration d’appel, le recours principal ou incident du ministère public saisit la juridiction de l’intégralité de l’action publique. La loi ne fait aucune distinction quant à leur effet dévolutif entre les divers appels qu’elle prévoit.
Les effets de l’appel
L’appel a pour effet de suspendre l’exécution de la décision entreprise (effet suspensif) et dévolue l’affaire à la cour (effet dévolutif) qui, dans certains cas, doit évoquer des points non tranchés par le tribunal (effet d’évocation), selon une procédure propre. En l’espèce, l’effet dévolutif est au cœur de cet arrêt. En vertu de cet effet, l’appel emporte dévolution à la juridiction du second degré, la chambre des appels correctionnels, de tout le litige avec toutes les questions de droit ou de fait qu’il comporte. Mais il ne peut être dévolu à la cour d’appel plus qu’il n’a été jugé en première instance. Ce principe entraîne deux prohibitions : la prohibition de statuer sur des faits nouveaux et la prohibition de formuler des demandes nouvelles.
L’approche retenue en l’espèce par la chambre criminelle, revenant à considérer que la cour d’appel était saisie de toutes les dispositions du jugement, s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence connue à propos du principe de l’effet dévolutif de l’appel. Il résulte en ce sens de l’article 509 du code de procédure pénale que l’affaire est dévolue dans la limite fixée par l’acte d’appel à la cour d’appel qui doit à nouveau statuer en fait et en droit. La cour d’appel doit donc procéder elle-même à l’examen des faits dont elle est saisie par l’appelant (Crim. 30 mai 2017, n° 16-83.474, Dalloz actualité, 30 juin 2017, obs. W. Azoulay). C’est pourquoi, – et ce principe est au cœur de l’arrêt rapporté – une cour d’appel peut interpréter une déclaration d’appel, dont ne résulte nettement aucune restriction, comme un appel lui déférant la cause dans son ensemble (Crim. 30 janv. 1973, n° 72-91.691 P).
Quelle articulation entre l’appel et l’action publique ?
L’arrêt rapporté énonce que le recours principal ou incident du ministère public saisit en principe la juridiction de l’intégralité de l’action publique. Ce n’est pas la première fois que ce principe est rappelé par la chambre criminelle. Dans un arrêt du 21 septembre 2004, dont la chambre criminelle s’est manifestement inspirée dans l’arrêt rapporté, il était déjà indiqué que, sauf indications contraires expressément formulées dans la déclaration d’appel, le recours principal ou incident du ministère public saisit la juridiction de l’intégralité de l’action publique (Crim. 21 sept. 2004, n° 04-81.887 P, D. 2004. 2761
; JCP 2004. IV. 3185). Dans cet arrêt, il avait été reproché aux juges du fond d’avoir déclaré irrecevable le recours du ministère public et d’avoir reconnu le caractère définitif d’une décision de relaxe d’un prévenu pour abus de faiblesse par le tribunal correctionnel, au motif que le procureur de la République, qui s’était borné, après l’appel de la partie civile, à former un appel incident, n’avait pas souhaité remettre en cause les dispositions pénales du jugement. Or, pour la chambre criminelle, rien, dans les termes de l’acte d’appel régularisé par le ministère public, n’autorisait à lui attribuer un tel effet restrictif.
La logique est similaire dans l’arrêt rapporté. En effet, le ministère public ayant relevé appel à l’encontre des deux prévenus, sans limiter la portée de son recours, les juges du fond étaient nécessairement saisis de toutes les dispositions du jugement, c’est-à-dire de l’intégralité de l’action publique, y compris en ce qui concerne les relaxes partielles.
Crim. 15 mai 2024, F-B, n° 23-86.129
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