Relevé d’office en cours de délibéré et respect du contradictoire
Lorsqu’il envisage de relever d’office un moyen et invite les parties à présenter leurs observations dans une note en délibéré, le juge n’est pas tenu d’ordonner la réouverture des débats. Il en va ainsi même lorsque le moyen est une fin de non-recevoir, relevée d’office en cours de délibéré.
 
                            S’il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que le principe du contradictoire, « garantie nécessaire d’une élémentaire justice » (H. Vizioz et P. Raynaud, Jurisprudence française en matière de procédure civile, RTD civ. 1946. 48, spéc. n° 1) irrigue tout procès civil, sa mise en œuvre suscite encore des questions comme en témoigne l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendue le 2 octobre 2025. Les faits étaient les suivants. Une société exploitant un centre équestre dont les installations comprennent une maison d’habitation est mise en liquidation amiable. La société assigne alors cinq personnes devant le tribunal judiciaire à fin d’ordonner l’expulsion de quatre d’entre eux et de condamner les mêmes à lui payer une certaine somme au titre d’une indemnité d’occupation. Le tribunal déclare notamment irrecevable, comme prescrite, une partie des demandes de la société. Le cinquième défendeur fait appel du jugement. Après que l’affaire a été débattue en audience publique, la cour d’appel relève d’office, en cours de délibéré, l’irrecevabilité de l’appel, au regard de la notion d’intérêt à interjeter appel. Elle invite alors les parties, par simple communication, à déposer leurs observations. L’appelante se pourvoit alors en cassation. Elle estime que si le juge relève d’office un moyen d’irrecevabilité, en cours de délibéré, il doit ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties d’en débattre contradictoirement. La question portait alors assurément sur la forme que devait prendre la mise en œuvre du contradictoire, à la suite d’un moyen relevé d’office en cours de délibéré. Visant l’article 16 du code de procédure civile, texte pour le moins sibyllin, la deuxième chambre civile reprend une solution énoncée en 2024 par la chambre commerciale : « Lorsqu’il envisage de relever d’office un moyen et invite les parties à présenter leurs observations dans une note en délibéré, le juge n’est pas tenu d’ordonner la réouverture des débats ». Et pour la Cour de cassation, cela ne porte nullement atteinte à l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Si la solution n’est donc pas nouvelle, elle reste intéressante en ce qu’elle rappelle que si le juge qui soulève un moyen d’office en cours de délibéré est tenu de faire observer et d’observer lui-même le principe de la contradiction, il peut en choisir les modalités.
L’obligation de soumettre au contradictoire la fin de non-recevoir relevée d’office
Le procès civil est la chose des parties, mais certaines règles régissant ce procès sont d’une telle importance, que le législateur lato sensu a confié au juge le pouvoir, voire le devoir, de relever d’office leur violation, c’est-à-dire de relever, de sa propre initiative, ce moyen omis par une partie. Il en est ainsi de la plupart des fins de non-recevoir qui sanctionnent le défaut de droit d’agir. Celles qui ont un caractère d’ordre public doivent être relevées d’office par le juge (C. pr. civ., art. 125, al. 1). En ce qui concerne l’intérêt à agir, condition de l’ouverture de l’action en justice (C. pr. civ., art. 31) et qui en appel, a pour mesure la succombance (Civ. 1re, 9 juin 2021, n° 19-10.550, Dalloz actualité, 22 juin 2021, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2021. 1133  ; ibid. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot
 ; ibid. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot  ; AJ fam. 2021. 492, obs. J. Casey
 ; AJ fam. 2021. 492, obs. J. Casey  ; RTD civ. 2021. 626, obs. A.-M. Leroyer
 ; RTD civ. 2021. 626, obs. A.-M. Leroyer  ), l’article 125, alinéa 2, du code de procédure civile énonce que « le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt ». Il ne s’agit alors que d’une simple faculté. Or, qu’il s’agisse d’une obligation ou d’une faculté, dès lors que le juge relève un moyen d’office, il a l’obligation de respecter le contradictoire. Avant de fonder sa décision sur ce moyen, il doit au préalable « inviter les parties à présenter leurs observations ». Cela a d’abord été inscrit à l’alinéa 3 de l’article 16 du code de procédure civile par le décret n° 81-500 du 12 mai 1981 à propos des moyens de droit. Puis la formule a été reprise par la chambre mixte, à propos des fins de non-recevoir (Cass., ch. mixte, 10 juill. 1981, n° 77-10.745). Dans l’arrêt du 2 octobre dernier, c’est au visa de l’alinéa 1 de l’article 16, plus général en ce qu’il énonce que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction », que la deuxième chambre civile a rappelé le devoir du juge. Si le principe est acquis, reste que sa mise en œuvre semble encore poser problème, notamment quand le moyen est relevé d’office en cours de délibéré.
), l’article 125, alinéa 2, du code de procédure civile énonce que « le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt ». Il ne s’agit alors que d’une simple faculté. Or, qu’il s’agisse d’une obligation ou d’une faculté, dès lors que le juge relève un moyen d’office, il a l’obligation de respecter le contradictoire. Avant de fonder sa décision sur ce moyen, il doit au préalable « inviter les parties à présenter leurs observations ». Cela a d’abord été inscrit à l’alinéa 3 de l’article 16 du code de procédure civile par le décret n° 81-500 du 12 mai 1981 à propos des moyens de droit. Puis la formule a été reprise par la chambre mixte, à propos des fins de non-recevoir (Cass., ch. mixte, 10 juill. 1981, n° 77-10.745). Dans l’arrêt du 2 octobre dernier, c’est au visa de l’alinéa 1 de l’article 16, plus général en ce qu’il énonce que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction », que la deuxième chambre civile a rappelé le devoir du juge. Si le principe est acquis, reste que sa mise en œuvre semble encore poser problème, notamment quand le moyen est relevé d’office en cours de délibéré.
La possibilité de recourir aux notes en délibéré pour faire respecter le contradictoire après la clôture des débats
Comment le juge peut-il faire observer le contradictoire ? Il doit veiller à ce que les parties aient été appelées et aient eu la possibilité d’être entendues (C. pr. civ., art. 14) mais également que leur soit communiqué l’ensemble des pièces, moyens et preuves intéressant le dossier, afin qu’elles puissent en débattre le cas échéant (C. pr. civ., art. 15). Dès lors, lorsque le moyen est relevé d’office en cours de délibéré, il est assez naturel de penser que la réalisation du contradictoire nécessite la réouverture des débats. L’article 444 énonce d’ailleurs que le juge doit ordonnancer cette dernière « chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés ».
Or, la réouverture des débats peut être lourde de conséquences. Un magistrat souligne que « la réouverture des débats signifie, a minima, le renvoi à une audience en procédure orale, voire un renvoi à une audience de mise en état si le juge révoque également l’ordonnance de clôture en procédure écrite » (Y. Bernand, La réouverture des débats dans le procès civil, Gaz. Pal. 7 févr. 2023. Doctr. 14). Ce même magistrat a donc proposé de généraliser le recours à la note en délibéré, puisque la deuxième chambre civile, le 21 février 2019 (Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 17-31.350, Dalloz actualité, 21 mars 2019, obs. R. Laffly ; . 2019. 1306, obs. A. Leborgne  ; RDP 2019, n° 02, p. 35, Décision Gabriele Mecarelli
 ; RDP 2019, n° 02, p. 35, Décision Gabriele Mecarelli  ) a décidé, à propos d’une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel soulevée d’office à l’audience des débats, que les notes en délibéré suffisent à assurer le contradictoire sans pour autant que la cour d’appel qui a autorisé ces notes, soit tenue d’ordonner la réouverture des débats. Cet arrêt est à rapprocher de celui rendu par la deuxième chambre civile le 3 juillet 2024 (Civ. 2e, 3 juill. 2024, n° 21-14.947, Dalloz actualité, 10 juill. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1607
) a décidé, à propos d’une fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel soulevée d’office à l’audience des débats, que les notes en délibéré suffisent à assurer le contradictoire sans pour autant que la cour d’appel qui a autorisé ces notes, soit tenue d’ordonner la réouverture des débats. Cet arrêt est à rapprocher de celui rendu par la deuxième chambre civile le 3 juillet 2024 (Civ. 2e, 3 juill. 2024, n° 21-14.947, Dalloz actualité, 10 juill. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1607  , note D. Houtcieff
, note D. Houtcieff  ; ibid. 1577, point de vue A. Gouëzel
 ; ibid. 1577, point de vue A. Gouëzel  ; ibid. 2193, chron. C. Bellino, T. Boutié, C. Lefeuvre et G. Maigret
 ; ibid. 2193, chron. C. Bellino, T. Boutié, C. Lefeuvre et G. Maigret  ; ibid. 2025. 22, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
 ; ibid. 2025. 22, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; ibid. 267, obs. R. Boffa et M. Mekki
 ; ibid. 267, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; Just. & cass. 2025. 329, rapp. C. Bellino
 ; Just. & cass. 2025. 329, rapp. C. Bellino  ; ibid. 346, avis A.-S. Texier
 ; ibid. 346, avis A.-S. Texier  ; RTD civ. 2024. 644, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2024. 644, obs. H. Barbier  ; ibid. 889, obs. P. Jourdain
 ; ibid. 889, obs. P. Jourdain  ) qui reprend la même solution pour un moyen de droit (un nouveau fondement juridique à l’action engagée) relevé d’office en cours de délibéré.
) qui reprend la même solution pour un moyen de droit (un nouveau fondement juridique à l’action engagée) relevé d’office en cours de délibéré.
L’arrêt du 2 octobre fait la synthèse des deux décisions : lorsque le juge relève d’office une fin de non-recevoir en cours de délibéré, il peut se contenter d’inviter les parties « à présenter leurs observations dans une note en délibéré, [il] n’est pas tenu d’ordonner la réouverture des débats » pour assurer le respect du contradictoire.
Espérons toutefois que dans ces hypothèses, les parties puissent déposer, si nécessaire, plusieurs notes comme ce fut le cas dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de 2019 : les demandeurs au pourvoi avaient « déposé une première note, puis une seconde, en réponse à celle » du défendeur et avaient ainsi été mis en mesure de s’expliquer contradictoirement. En effet, le contradictoire nécessite plus que la parole, il nécessite le débat.
Civ. 2e, 2 oct. 2025, F-B, n° 23-10.667
par Géraldine Maugain, Maître de conférences, Université Bourgogne Europe
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