Remboursement inconditionnel du payeur malgré la procédure collective du bénéficiaire

La règle de l’interdiction des paiements n’empêche pas le débit du compte du bénéficiaire en liquidation judiciaire lorsque le payeur met en œuvre son droit au remboursement d’un prélèvement réalisé antérieurement.

Après l’échec de deux tentatives de restructurations en sauvegarde et redressement judiciaires, la société Groupe Planet Sushi a été placée en liquidation judiciaire le 13 février 2023 et autorisée à poursuivre son activité pour préparer la cession du groupe. Plusieurs contentieux sont nés à la suite du placement en procédure collective de cette franchise ayant pour objet l’exploitation de fonds de commerce de restauration japonaise. Dans l’arrêt commenté, la règle de l’interdiction de paiement des créances antérieures et postérieures non privilégiées en procédure collective (C. com., art. L. 622-7, I) a dû être confrontée aux dispositions du code monétaire et financier accordant au payeur un droit au remboursement inconditionnel avant l’expiration d’une période de huit semaines à compter de la date à laquelle les fonds ont été débités (C. mon. fin., art. L. 133-25-1 et L. 133-25).

En l’espèce, afin de faciliter le règlement des redevances dues par les franchisés, la société Groupe Planet Sushi a obtenu d’une banque l’ouverture d’un compte et la conclusion d’une convention lui permettant d’avoir recours, avec le réseau de ses franchisés, à des paiements par prélèvements. Cet instrument de paiement consiste à débiter le compte de paiement du payeur à l’initiative du bénéficiaire qui donne un ordre de paiement au prestataire de services de paiement du payeur, fondé sur le consentement donné par le payeur au bénéficiaire (Règl. [UE] n° 260/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 établissant des exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros et modifiant le règl. [CE] n° 924/2009, art. 2 ; C. mon. fin., art. L. 133-3, II, c). Afin de régler leurs redevances, les comptes de plusieurs franchisés du groupe ont ainsi été débités d’une somme créditée sur le compte du franchiseur. En cours de liquidation judiciaire du franchiseur, les franchisés ont ensuite demandé à leurs prestataires de services de paiement le remboursement de ces prélèvements, ce que la banque du bénéficiaire a accepté.

Pour s’y opposer, les administrateurs et le liquidateur judiciaires ont invoqué l’existence d’un trouble manifestement illicite et assigné la banque en référé aux fins de remboursement des sommes débitées du compte du franchiseur sans leur autorisation et qu’il lui soit fait interdiction de procéder au remboursement de tout prélèvement. La cour d’appel a fait droit à cette demande et condamné la banque à restituer les sommes débitées sur le compte bancaire de la liquidation judiciaire de la société Groupe Planet Sushi (Versailles, 14e ch., 14 déc. 2023, n° 23/02493, LEDEN févr. 2024, n° 2, DED202b9, obs. A. Thomas). Rappelant le principe de l’interdiction des paiements, les juges du second degré ont analysé le remboursement des prélèvements en un paiement dont le fait générateur, soit l’opération de prélèvement, prenait sa source avant le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire.

Le pourvoi formé par la banque est approuvé par la Cour de cassation qui casse et annule l’arrêt attaqué pour violation de la loi aux motifs que les « payeurs n’avaient pas bénéficié de la répétition de paiements indus qu’ils auraient effectués à la société Groupe Planet Sushi avant sa mise en liquidation judiciaire et qui aurait été prohibée par la règle de l’interdiction du paiement des créances antérieures, mais s’étaient bornés à exercer, auprès de leurs prestataires de services de paiement, un droit au remboursement distinct de leur rapport fondamental avec cette société ». Si l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du bénéficiaire d’une opération de paiement n’empêche pas le payeur d’exercer son droit au remboursement inconditionnel prévu par les dispositions du code monétaire et financier, alors il n’y a aucun trouble manifestement illicite à procéder à un tel débit sur le compte du débiteur en liquidation judiciaire.

Une solution justifiée du point de vue du droit des instruments de paiement

Confronter la règle de l’interdiction de paiement au droit des instruments de paiement implique de déterminer la date à partir de laquelle s’effectue le paiement au moyen d’un instrument de paiement. Or, le régime applicable aux « autres instruments de paiement » que sont la carte bancaire, le virement et le prélèvement révèle l’existence d’un processus de paiement. Depuis l’ordonnance n° 2009-966 du 15 juillet 2009, le principe est celui de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement une fois qu’il a été reçu par le prestataire de services de paiement (C. mon. fin., art. L. 133-8).

Ainsi, lorsque le payeur se trouve en procédure collective, la date de réception de l’ordre de paiement conditionne le moment à partir duquel le paiement ne risque plus d’être atteint par la règle de l’interdiction de paiement (v. C. Houin-Bressand, L’incidence de l’ouverture d’une procédure collective sur le processus de paiement, RDBF mai-juin 2011. Dossier 16). La date du transfert de fonds importe peu. Une règle particulière s’applique au prélèvement et permet au payeur de révoquer l’ordre de paiement au plus tard à la fin du jour ouvrable précédant le jour convenu pour le débit des fonds. Dans ces conditions, le processus de paiement enclenché avant le jugement d’ouverture peut s’achever ultérieurement sans que l’interdiction de paiement qui s’impose au payeur remette en cause le débit du compte. Différemment, dans notre affaire, le bénéficiaire se trouve en procédure collective. Le transfert de fonds critiqué par les organes de la procédure découle d’une demande de remboursement réalisée par les payeurs et non d’un ordre de paiement émanant du bénéficiaire.

En évoquant un droit au remboursement distinct du rapport fondamental, la Cour de cassation raisonne sur le caractère abstrait du droit des instruments de paiement. Il en est de même du pourvoi dans lequel la banque analyse le remboursement en un simple transfert électronique de fonds indépendant de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire. À suivre cette analyse, comme le processus de paiement, le processus de remboursement organise par étapes l’exécution d’un transfert de fonds indépendamment des contrats qui lient le franchiseur à ses franchisés.

Toutefois, la demande de remboursement s’insère-t-elle dans le même processus de paiement ou initie-t-elle un processus distinct ? La réponse à cette interrogation conditionne l’application de la règle de l’interdiction des paiements. Si le processus était autonome, le remboursement caractériserait un paiement à part entière. Le remboursement devrait avoir été initié avant le jugement d’ouverture pour que le transfert de fonds puisse avoir lieu malgré la règle de l’interdiction de paiements qui s’impose au bénéficiaire en cours de procédure. Si le processus était unique, le remboursement serait une étape du processus de paiement pouvant être empruntée par le payeur pour éviter que ce dernier ne devienne définitif. Le remboursement ne constituerait pas un paiement, mais un simple jeu d’écriture. Il suffirait, comme en l’espèce, que l’ordre de paiement initial ait été initié avant le jugement d’ouverture pour que le transfert de fonds puisse avoir lieu malgré la règle de l’interdiction de paiements qui s’impose au bénéficiaire en cours de procédure.

En affirmant que les payeurs n’ont pas bénéficié de la répétition de paiements indus qui aurait été prohibée par la règle de l’interdiction du paiement des créances antérieures, la Cour de cassation paraît insérer le remboursement dans le processus de paiement initié par le bénéficiaire du prélèvement. Dans cette optique, le paiement par prélèvement n’est définitif qu’à l’expiration de la période de huit semaines à compter de la date à laquelle les fonds ont été débités et pendant laquelle le payeur peut obtenir un remboursement inconditionnel. Une telle solution est conforme à l’esprit du texte qui en est à l’origine. La deuxième directive sur les services de paiement a souhaité assurer un haut niveau de protection des payeurs, afin que le grand public adhère au SEPA censé assurer le bon fonctionnement du marché intérieur par la création d’un marché intégré pour les paiements électroniques en euros (Dir. [UE] 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 nov. 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, consid. 76).

Ce qui paraît justifié du point de vue du droit des instruments de paiement, l’est-il encore si l’on adopte le point de vue du droit des procédures collectives ?

Une solution risquée du point de vue du droit des procédures collectives

Dans une autre affaire, la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur un conflit semblable en raisonnant sur le droit des instruments de paiement. Il a été jugé que l’émetteur d’un ordre de paiement dispose des fonds dès la date à laquelle il consent à l’opération, de sorte qu’un ordre de virement donné avant le jugement de liquidation judiciaire ne peut être déclaré inopposable à la procédure (Com. 30 juin 2021, n° 20-18.759, Dalloz actualité, 23 juill. 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 1332  ; Rev. prat. rec. 2022. 29, chron. P. Roussel Galle et F. Reille  ; JCP E 2021. 1424, n° 3, obs. A. Tehrani ; LEDEN 9/2021. 3, obs. M. Houssin ; APC 2021, n° 185, obs. T. Bonneau ; BJE 9-10/2021. 11, note V. Martineau-Bourgninaud ; DP diff. entr., Bull. nos 439/440, obs. P. Roussel Galle ; Gaz. Pal. 26 oct. 2021. 69, obs. B. Ferrari). La règle du dessaisissement n’avait pas lieu d’être prise en considération ici, dès lors que le débiteur bénéficiaire de l’opération de paiement n’avait aucun rôle à jouer dans le remboursement du prélèvement.

En censurant la solution adoptée par les juges du second degré relativement à la règle de l’interdiction de paiement, la Cour de cassation rejoint la position d’auteurs ayant critiqué l’arrêt d’appel en affirmant que le payeur qui demande le remboursement d’un prélèvement ne recouvre pas une créance, mais redevient débiteur de l’obligation qui a pu motiver le prélèvement annulé (A. Thomas, LEDEN févr. 2024, n° 2, DED202b9, obs. ss. Versailles, 14e ch., 14 déc. 2023, n° 23/02493, préc. ; P.-M. Le Corre [dir.], Droit et pratique des procédures collectives, 13éd., Dalloz, 2024, n° 633.11).

La solution adoptée par la Cour de cassation ne nous paraît pas pour autant équilibrée. La règle de l’interdiction de payer les créances soumises à la discipline collective est essentielle dans une procédure collective dont l’ouverture est fondée sur l’égalité des créanciers et censée assurer une juste répartition de l’actif. La protection du gage commun des créanciers commande d’en restreindre les exceptions. Dans ce cadre, le maintien de l’irrévocabilité de l’ordre de paiement peut être discuté. Les intérêts en jeu en procédure collective paraissent, en effet, autant légitimes à protéger que ceux des payeurs à voir leur prélèvement remboursé.

La cour d’appel avait relevé qu’« il est de principe que les dispositions du livre 6 du code de commerce relatives aux difficultés des entreprises sont d’ordre public et que leur application prime sur les autres normes. » Aveugle, l’impérialisme du droit des procédures collectives paraît injustifié. On peut cependant espérer que certains facteurs tels que l’insuffisance de la trésorerie de l’entreprise ou l’existence d’une offre sérieuse de reprise soient pris en compte pour privilégier le cas échéant l’interdiction de payer si elle permet manifestement la poursuite ou la cession de l’activité.

 

Com. 2 juill. 2025, FS-B, n° 24-11.680

par Romain Azevedo, Maître de conférences à l'Université de Montpellier, membre de la chaire Prévention et traitement des difficultés des entreprises, Labex Entreprendre

© Lefebvre Dalloz