Remise d’un réfugié en exécution d’un mandat d’arrêt européen : revirement favorable à l’efficacité de l’instrument

La chambre criminelle opère un revirement de jurisprudence en reconnaissant pour la première fois la possibilité de remettre une personne réfugiée, dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, sans qu’il soit nécessaire que l’État membre d’émission s’engage à ne pas l’expulser vers son pays d’origine situé en dehors de l’Union européenne, sauf dans l’hypothèse d’une défaillance systémique au sein dudit État. Dès lors, elle réhabilite la présomption de respect des droits fondamentaux entre États membres et s’illustre comme un élève modèle vis-à-vis de l’Union européenne.

L’Union européenne pourrait une nouvelle fois se réjouir, tant la chambre criminelle s’illustre comme une élève modèle au regard du revirement de jurisprudence qu’elle vient d’opérer dans un arrêt du 5 novembre 2024.

À l’origine de cet arrêt, un mandat d’arrêt européen a été émis par les autorités judiciaires suédoises afin que la France remette un individu de nationalité afghane, et bénéficiant du statut de réfugié sur le territoire national, en vue de l’exercice de poursuites pénales pour des faits qualifiés de viol. Il a donc été interpellé à cette fin.

Saisie de l’exécution de ce mandat, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a autorisé, en septembre 2024, sa remise aux autorités judiciaires suédoises. Les juges du fond considèrent que de nombreuses garanties ont été fournies par l’État membre d’émission, comme l’engagement par le ministère public suédois à ne pas exiger l’expulsion de l’intéressé vers l’Afghanistan dans le cadre de l’enquête préliminaire en cours. En somme, ils concluent à l’existence d’un engagement ferme et non équivoque de sorte que les droits de la personne recherchée se trouvent préservés en cas de remise.

La personne réfugiée forme alors un pourvoi en cassation face à l’absence de garanties fournies par l’État d’émission entraînant la violation de sources plurielles (nationale : art. 695-22 c. pr. pén. ; européennes : la Convention de Genève du 28 juill. 1951, art. 18 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et art. 3 de la Conv. EDH).

À ce titre, la chambre criminelle devait se prononcer sur les garanties entourant la remise d’une personne réfugiée dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen et spécifiquement sur la question de l’engagement de l’État d’émission à ne pas l’expulser vers son pays d’origine.

Elle commence par rappeler une jurisprudence ancienne applicable au mandat d’arrêt européen – s’inspirant du mécanisme de l’extradition – exigeant un engagement préalable, par l’État d’émission, de non-expulsion du réfugié vers son pays d’origine. Elle opère ensuite un revirement de jurisprudence afin d’écarter cette exigence dans le but de réhabiliter la présomption de respect des droits fondamentaux entre États membres.

Le rappel du nécessaire engagement préalable, par l’État d’émission, de non-expulsion du réfugié vers son pays d’origine

La chambre criminelle rappelle une jurisprudence ancienne exigeant un engagement préalable, par l’État d’émission, de non-expulsion du réfugié vers son pays d’origine, lequel apparaît absent en l’espèce.

Une jurisprudence ancienne

À l’aune d’une jurisprudence « réitérée » par la Cour de cassation, qu’elle prend la peine d’évoquer (Crim. 7 févr. 2007, n° 07-80.162, D. 2007. 799, obs. C. Girault ; 31 janv. 2024, n° 24-80.014, Dalloz actualité, 29 févr. 2024, obs. B. Nicaud ; AJ pénal 2024. 162 et les obs. ; RSC 2024. 472, obs. T. Herran ), la chambre de l’instruction, avant de se prononcer sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, a interrogé les autorités judiciaires suédoises sur leur engagement à ne pas remettre ultérieurement la personne recherchée à son État d’origine. Dès 2007, la chambre criminelle affirmait déjà qu’en application de l’article 695-33 du code de procédure pénale, « il appartient aux juges de demander à l’État d’émission d’un mandat d’arrêt européen visant une personne bénéficiant en France du statut de réfugié politique les informations complémentaires nécessaires sur le sort réservé à l’intéressé à l’issue de sa peine au regard de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 » (Crim. 7 févr. 2007, n° 07-80.162, D. 2007. 799, obs. C. Girault ; 21 nov. 2007, n° 07-87.499, Dalloz actualité, 17 déc. 2007, obs. C. Girault ; 9 juin 2015, n° 15-82.750, Dalloz actualité, 6 juill. 2015, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2016. 92, obs. J. Lelieur ; 31 janv. 2024, n° 24-80.014, préc.).

Jusqu’à l’arrêt rendu le 5 novembre 2024, le nécessaire engagement ferme et non équivoque de l’État d’émission disparaissait seulement si le pays dont était ressortissant le réfugié devenait membre de l’Union européenne (Crim. 12 juill. 2016, n° 16-84.000, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 1566 ; ibid. 2017. 261, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RTD eur. 2017. 336-15, obs. B. Thellier de Poncheville ) ou si le statut de réfugié n’était pas accordé (Crim. 21 nov. 2018, n° 18-86.101, Dalloz actualité, 10 déc. 2018, obs. Fucini ; D. 2018. 2308 ; AJ pénal 2019. 103, obs. C. Chassang ).

Une jurisprudence violée

En l’espèce, les exigences découlant de cette jurisprudence ont été violées. La Haute juridiction considère que « c’est en revanche à tort que la chambre de l’instruction a retenu que la réponse donnée par les autorités judiciaires de l’État d’émission constituait un engagement ferme et non équivoque ». Selon elle, le fait que le ministère public suédois s’engage à ne pas requérir l’expulsion dans le cadre de la procédure pénale en cours apportait des garanties insuffisantes pour le réfugié dès lors que cette promesse n’engageait pas d’autres autorités. À la lecture de ce paragraphe, il pouvait être raisonnablement attendu que l’arrêt de la chambre de l’instruction soit cassé, mais il n’en est rien. La Cour de cassation considère, en effet, que « l’arrêt n’encourt pas la censure », en décidant d’opérer un revirement de jurisprudence.

Le revirement supposant la remise d’un réfugié sans engagement préalable, par l’État d’émission, de non-expulsion vers son pays d’origine

Le revirement de jurisprudence s’appuie sur la confiance réciproque existant entre les États membres. Toutefois, il ne jouera pas dans l’hypothèse de la présence d’une défaillance systémique ou généralisée au sein de l’État d’émission.

L’éviction de l’engagement préalable justifiée par la confiance réciproque entre les États

Le revirement ne fait aucun doute. Ainsi, « la jurisprudence rappelée au § 9 ne peut être maintenue ». La chambre criminelle va, ensuite, prendre la peine d’en expliquer les raisons. Si jusqu’alors elle s’inspirait du mécanisme de l’extradition (Crim. 21 oct. 2014, n° 14-85.257, Dalloz actualité, 12 nov. 2014, obs. S. Fucini ; D. 2014. 2176 ; AJ pénal 2015. 52, obs. D. Brach-Thiel ; RSC 2014. 798, obs. D. Boccon-Gibod ), cette solution « n’est cependant pas compatible avec le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d’arrêt européen, qui repose sur la confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l’Union ». Cet arrêt vise à réhabiliter la présomption de respect des droits fondamentaux entre les États membres et répond donc parfaitement aux exigences posées par l’Union européenne.

En somme, il n’est pas nécessaire, pour l’État d’exécution, d’assurer un contrôle du respect des droits fondamentaux dès lors que ce respect est suffisamment garanti par les obligations qui s’imposent à l’État d’émission au regard de diverses sources. D’une part, en considération des conventions internationales comme la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés auxquelles le royaume de Suède est partie. D’autre part, au regard des règles du droit de l’Union européenne contenues dans le droit primaire et spécifiquement au sein de la Charte des droits fondamentaux (art. 18 et 19) et du droit dérivé à l’image d’une directive contenant des dispositions sur le non-refoulement (art. 21, § 1, de la dir. 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 déc. 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection). Après avoir visé explicitement ces différents fondements supranationaux, la chambre criminelle conclut que l’appréciation de l’éventuelle perspective d’un renvoi ultérieur de la personne remise vers son État d’origine ne doit pas se faire au nom d’un engagement de l’État d’émission, mais de ces diverses sources internationales et européennes.

Néanmoins, la chambre criminelle atténue, en suivant, son raisonnement en fixant une limite dans la seule hypothèse « d’une défaillance systémique ou généralisée dans l’État d’émission ».

Le retour de l’engagement préalable en présence d’une défaillance systémique ou généralisée

L’arrêt vise à deux reprises l’exception liée à l’existence « d’une défaillance systémique ou généralisée dans l’État d’émission » constituant un motif de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen. Originairement, ce dernier ne peut être refusé pour des motifs autres que ceux consacrés au sein de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen (art. 3, art. 4 et art. 4 bis) et transposés en droit national (C. pr. pén., art. 695-22 à 695-24). Pour autant, la Cour de cassation a, très tôt, consacré explicitement un autre motif de refus lié à la violation des droits et principes fondamentaux à la lumière de l’article 1er, § 3, de ladite décision-cadre (Crim. 28 févr. 2012, n° 12-80.744, Dalloz actualité, 28 mars 2012, obs. C. Girault ; AJ pénal 2012. 425, obs. J. Lasserre Capdeville ; RTD eur. 2013. 292-18, obs. B. Thellier de Poncheville ). Il est d’ailleurs étonnant qu’elle n’ait pas cité son propre arrêt fondateur.

Elle se contente, d’abord, de viser celui rendu par la Cour de justice en la matière (CJUE 5 avr. 2016, Aranyosi et Caldararu, aff. C-404/15 et C-659/15, Dalloz actualité, 9 mai 2016, obs. N. Devouèze ; AJDA 2016. 1059, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2016. 786 ; AJ pénal 2016. 395, obs. M.-E. Boursier ; RTD eur. 2016. 793, obs. M. Benlolo Carabot ; ibid. 2017. 360, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 363, obs. F. Benoît-Rohmer ), sans en développer le contenu. Pour rappel, afin de démontrer, à titre exceptionnel, l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux, un examen en deux temps doit être mis en œuvre. Le premier vise à identifier des défaillances systémiques ou généralisées, lesquelles reposent sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés relatifs au fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission. Ces éléments peuvent résulter notamment de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, de décisions judiciaires de l’État d’émission ou de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies (CJUE 15 oct. 2019, Dumitru-Tudor Dorobantu, aff. C-128/18, AJDA 2020. 398, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian ; D. 2019. 1995 ; ibid. 2020. 1643, obs. J. Pradel ; RTD eur. 2020. 312, obs. F. Benoît-Rohmer ). Le second exige, quant à lui, que ces défaillances aient des conséquences sur la situation individuelle de la personne recherchée (CJUE 17 déc. 2020, L et P Openbaar Ministerie, aff. C-354/20 PPU et C-412/20 PPU, D. 2021. 15 ; RTD eur. 2021. 969, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 987, obs. F. Benoît-Rohmer ). En d’autres termes, un examen de la situation in abstracto doit être confirmé in concreto, afin de dépasser les apparences.

La Cour de cassation s’appuie ensuite sur une de ses propres jurisprudences rappelant que la chambre de l’instruction ne peut écarter les moyens tirés du risque de violation des droits fondamentaux de la personne réclamée sans analyser les éléments produits par elle et, le cas échéant, solliciter des informations supplémentaires des autorités de l’État d’émission pour démontrer la présence d’un risque (Crim. 10 mai 2022, n° 22-82.379, D. 2022. 2147 , note T. Herran ; même si cette exigence est, en réalité, plus ancienne ; 26 mars 2019, n° 19-81.731, Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. M. Recotillet ; D. 2019. 763 ; ibid. 1626, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2019. 394, obs. T. Herran ; 24 juill. 2019, n° 19-84.167, Dalloz actualité, 2 sept. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 1608 ). Comme, en l’espèce, il n’était pas question de démontrer l’existence d’une défaillance systémique ou généralisée en Suède, l’État d’exécution, en l’occurrence la France, n’était pas tenu de rechercher la présence d’un engagement à ne pas le remettre à son pays d’origine.

Autrement dit, la présomption de respect des droits fondamentaux doit jouer et la France est tenue d’exécuter le mandat d’arrêt européen sans crainte, dans un climat de confiance à l’égard de la Suède. La suite nous dira si c’était à raison.

 

Crim. 5 nov. 2024, FS-B, n° 24-85.705

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