Renforcement de l’ordonnance de protection et création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate
La loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforce l’ordonnance de protection créée en 2010, en particulier en allongeant à un an la durée maximale durant laquelle elle peut être fixée, et crée l’ordonnance provisoire de protection immédiate délivrable dans un délai de vingt-quatre heures en cas de danger grave et immédiat pour la victime potentielle.
Actualité des violences intrafamiliales. La protection contre les violences intrafamiliales est au cœur de l’actualité juridique française, mais également mondiale comme en témoigne, par exemple, le projet de loi C-332 du Parlement canadien visant à protéger les victimes de ces violences par la criminalisation des conduites contrôlantes et coercitives d’un partenaire intime, en cours de navette parlementaire. En France, après la loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 renforçant notamment les mesures de suspension de l’exercice (de plein droit, désormais) ou de retrait de l’autorité parentale dans le cadre de tels violences, la loi du 13 juin 2024 achève de protéger les victimes potentielles via l’ordonnance de protection. Comme le souligne la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023, ce mécanisme créé par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 a, depuis, été renforcé à de multiples reprises par la voie législative. De même, quelques semaines avant l’adoption de la loi, la Cour de cassation a interprété souplement ses conditions : elle a estimé qu’un juge aux affaires familiales qui délivre une ordonnance de protection peut interdire au défendeur d’entrer en relation avec l’enfant de la victime, sans devoir se prononcer sur l’existence d’un danger spécifiquement encouru par l’enfant (Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-22.600, Dalloz actualité, 5 juin 2024, obs. M. Musson ; D. 2024. 1017
; JCP 2024. Actu. 685).
Nécessité d’une nouvelle législation. Toutefois, le constat est celui de la nécessité d’une amélioration de la protection des personnes en danger au sein du foyer familial, au regard de l’augmentation des demandes formulées et du nombre toujours important des violences faites aux femmes – lesquelles sont les principales concernées (97 % entre 2019 et 2021, Ass. nat., Rapp. n° 2078 du 22 janv. 2024, par E. Chandler, p. 14). Des avocats ont ainsi appelé à s’inspirer des législations étrangères pour renforcer la protection des victimes, telles que celles de l’Espagne, la Californie ou encore l’Allemagne qui permettent de répondre à une situation d’urgence (A. Sannier et G. Barbe, Vite, une nouvelle ordonnance de protection !, AJ fam. 2021. 479
).
Sur demande de la Première ministre de l’époque, deux parlementaires ont été chargées de formuler des propositions dont l’une d’elle figure au sein de la nouvelle loi. L’objectif est atteint par la loi grâce au renforcement de l’ordonnance de protection, d’une part, et la création d’une ordonnance provisoire de protection immédiate, d’autre part. Il convient toutefois de noter que le Comité national de pilotage de l’ordonnance de protection (CNOP), créé par la garde des Sceaux en 2020 et censé souligner les difficultés afin de proposer des solutions plus protectrices des victimes, n’avait émis aucune de ces recommandations dans son premier bilan concernant cette mesure (CNOP, Rapport d’activité, 2020-2021).
Renforcement de l’ordonnance de protection
Allongement du délai
La principale mesure renforçant l’ordonnance de protection déjà existante réside dans l’allongement de la durée maximale durant laquelle elle peut être fixée : de six mois, elle passe à un an, le prolongement restant toujours possible. Selon le rapport de l’Assemblée nationale, ce dernier « permettra aux victimes qui ne sont pas mariées et qui n’ont pas d’enfant d’avoir plus de temps pour organiser leur séparation et stabiliser leur situation financière » (Ass. nat., Rapp. n° 2078, préc., p. 6). Cet allongement avait déjà été proposé à de multiples reprises au Sénat mais avait toujours été in fine rejeté (CMP, Rapp. n° 2635, 21 mai 2024, par E. Chandler et D. Vérien, p. 7).
Absence de cohabitation
Le nouvel article 515-11 du code civil tel que modifié par la loi précise que l’ordonnance de protection est susceptible d’être ordonnée « lorsqu’il n’y a pas de cohabitation ou qu’il n’y a jamais eu de cohabitation ». Cette modification permet une harmonisation avec l’article 515-9 qui évoquait déjà ces hypothèses, la première dans le cadre d’un couple uni, la seconde dans le cadre d’un couple séparé. Le rapport de la commission mixte paritaire justifie cet ajout par le fait qu’il « vise à résoudre le problème que pose la frilosité de certains juges, qui refusent de délivrer une ordonnance de protection dès lors que la victime présumée et l’auteur des violences ne vivent plus sous le même toit » (CMP, Rapp. n° 2635, préc., p. 4). Elle permet également de « clarifier (…) l’intention du législateur », au lieu, comme certains sénateurs le souhaitaient, de faire « du danger et des violences vraisemblables un seul et même critère » (ibid., p. 6).
Animaux de compagnie
De manière plus étonnante, grâce au passage de la proposition de loi devant le Sénat, le juge aux affaires familiales peut, dans le cadre de sa décision, « attribuer à la partie demanderesse la jouissance de l’animal de compagnie détenu au sein du foyer ». Cet ajout est justifié par le fait que ces animaux « servent trop souvent au conjoint violent de moyen de pression vis-à-vis de l’autre conjoint ou de ses enfants » (CMP, Rapp. n° 2635, préc., p. 6). Il pose de nouvelles questions sur la place de l’animal de compagnie dans le couple (v. not., P. Hilt, L’animal de compagnie lors de la séparation du couple, AJ fam. 2012. 74
; C. Lienhard, Formule : Clause « canine » à insérer dans les conventions de séparation ou de divorce, AJ fam. 2012. 90
) et permet peut-être d’entrevoir la possibilité, lors d’un divorce, d’un régime spécifique de garde dérogatoire aux biens stricto sensu du couple – l’animal étant en effet considéré, non comme un meuble bien qu’il soit soumis à son régime, mais comme un « être doué de sensibilité » (C. civ., art. 515-14), sur le modèle d’autres États (certains États des États-Unis, Suisse, Espagne). Une garde exclusive ou alternée serait envisageable, à l’instar des enfants : un projet d’ordonnance du gouvernement bruxellois de 2023 va d’ailleurs en ce sens, ce qui démontre l’actualité du sujet, de même qu’une proposition de la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux avec une décision judiciaire prise « en tenant compte des intérêts de l’animal » (SPCA, S. Gaillard, La garde d’animaux en cas de séparation. Mémoire sur le projet de loi n° 56, loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale, avr. 2024).
Autres changements
D’autres modifications sont également à noter. Le terme « huissier » est remplacé par « commissaire de justice » conformément au changement terminologique opéré par la loi du 1er juillet 2022. Les mesures permettant au demandeur de « dissimuler son domicile ou sa résidence et à élire domicile » chez son avocat, auprès du procureur de la République ou, « pour les besoins de la vie courante chez une personne morale qualifiée » (C. civ., art. 515-11, 6° et 6° bis) sont également précisées dans le code électoral, grâce au Sénat, pour « remédier à un défaut d’articulation avec le code civil » mais également pour « garantir l’effectivité de la dissimulation de l’adresse de la victime lorsqu’elle est prononcée par le juge aux affaires familiales, y compris sur les listes électorales, que certains allaient chercher pour y retrouver la personne qu’ils poursuivaient » (CMP, Rapp. n° 2635, préc., p. 4).
Enfin, une nouvelle mesure avait été proposée mais n’a pas été retenue dans le texte final, au désarroi de la sénatrice Laurence Rossignol : la dissimulation de l’adresse de l’école des enfants. Selon la rapporteure au Sénat, son absence s’explique par le fait que « cette possibilité n’apparaît pas compatible avec les prérogatives du juge aux affaires familiales : celui-ci peut uniquement se prononcer sur le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, non sur la titularité de cette autorité. Or un parent privé de l’exercice de l’autorité parentale doit encore être informé des choix structurants dans la vie de son enfant, notamment celui de l’école, ce qui implique de connaître l’adresse de celle-ci » (ibid., p. 6). Toutefois, comme l’explique Mme Rossignol, à juste titre, le risque est que l’auteur des violences connaisse l’adresse du conjoint victime par le biais de l’établissement scolaire… (ibid., p. 7). Il apparaît donc important que la victime avertisse ce dernier qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection et qu’en aucun cas ne doit être révélée le lieu de son domicile : le problème réside dans le fait que cette démarche incombe à la victime, déjà accablée par les violences dont elle fait l’objet.
Création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate
Modalités
L’ordonnance provisoire de protection immédiate vise à protéger rapidement la victime de violences intrafamiliales alléguées en attendant une ordonnance de protection classique : elle constitue la mesure phrase de la loi du 13 juin 2024, sur le modèle de législations étrangères (v. supra). Selon l’article 515-13-1 du code civil nouvellement créé, elle pourra être délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai de vingt-heures, à condition de rapporter la preuve d’un danger grave et immédiat et uniquement avec l’accord de la personne en danger. L’article 515-13, II, ajoute également l’hypothèse d’une personne majeure menacée de mariage forcé, sur le modèle de l’ordonnance de protection classique, avec la possibilité nouvelle d’interdire à la personne menacée, à sa demande, de sortir du territoire français à titre temporaire. Toutefois, l’ordonnance provisoire ne peut être demandée que par le ministère public, lorsque le juge aux affaires familiales est saisi d’une demande d’ordonnance de protection. La rapporteure pour le Sénat le regrette : elle aurait souhaité que le demandeur puisse directement saisir le juge (CMP, Rapp. n° 2635, préc., p. 4), contrairement à la rapporteure pour l’Assemblée nationale qui estime que cette impossibilité permet d’« éviter tout risque d’instrumentalisation » (ibid., p. 7). On voit cependant mal qui pourrait instrumentaliser la victime, si ce n’est l’auteur des violences lui-même, et en quoi la saisine du juge pour obtenir une telle ordonnance serait contraire à ses intérêts si les conditions de sa délivrance sont remplies : elle fait l’objet d’un danger grave et immédiat qui justifierait qu’elle puisse, d’elle-même, solliciter de l’aide, sans l’intermédiaire du Parquet.
Mesures possibles
L’article 515-13-1, alinéa 3, précise les mesures que peut ordonner le juge. Elles sont moins nombreuses que celles prévues pour l’ordonnance de protection, puisque sont notamment exclues l’attribution de la jouissance du logement conjugal ou commun (qui requiert, à l’évidence, une décision plus approfondie) ou encore l’attribution de la jouissance de l’animal de compagnie (qui n’apparaît pas, en effet, comme une mesure urgente). En revanche, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale ou encore la possibilité pour la victime de dissimuler son adresse, mesures permettant de protégeant de manière efficace la victime et ses enfants, sont possibles. La durée des mesures prises par le juge n’est pas fixe : elle dépend de la décision sur l’ordonnance de protection classique et prend donc fin à cette date, puisqu’elle est par nature provisoire.
Renforcement des sanctions pénales en cas de violation des mesures imposées par le juge
Alignement des sanctions
Le non-respect des mesures imposées par le juge est sanctionné par les mêmes peines, qu’il s’agisse d’une ordonnance de protection classique ou d’une ordonnance provisoire de protection immédiate, le rapport de la commission mixte paritaire justifiant cela par « un souci de lisibilité, mais avant tout pour permettre au juge d’imposer à la personne ayant violé cette ordonnance [provisoire de protection immédiate] le port d’un bracelet antirapprochement » (CMP, Rapp. n° 2635, p. 4). De même, l’article 41-3-1 du code de procédure pénale a été modifié afin que le dispositif de téléprotection, attribué par le procureur de la République qui permet, « en cas de grave danger menaçant une personne victime de violences » conjugale, d’alerter les autorités publiques, soit également applicable dans l’hypothèse d’une ordonnance provisoire de protection immédiate. Toutefois, le fait que ce dispositif soit subordonné à l’absence de cohabitation entre la victime et l’auteur des violences est maintenu, et sa durée de six mois renouvelables peut être réduite par le procureur de la République dans le cadre d’une ordonnance provisoire de protection immédiate, contraire à l’ordonnance de protection classique.
Renforcement des peines
L’article 227-4-2 du code pénal tel que modifié par la loi de 2024 prévoit désormais que le non-respect des obligations ou interdictions imposées dans une ordonnance de protection classique ou provisoire est puni de trois ans (au lieu de 2) et de 45 000 € d’amende (au lieu de 15 000 €). Il n’est toutefois pas certain que ces modifications aient réellement l’effet prophylactique et dissuasif recherché.
Loi n° 2024-536 du 13 juin 2024, JO 14 juin
© Lefebvre Dalloz