Renonciation à l’immunité d’exécution d’un État étranger et saisie d’un aéronef ne relevant pas de l’exercice de la mission diplomatique de cet État

CIVIL | Voie d'exécution L’utilisation d’un aéronef par la présidence d’un État étranger ne suffit pas à démontrer l’affectation de ce bien à l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de sorte que, pour pouvoir faire l’objet d’une mesure d’exécution, une renonciation expresse de cet État à son immunité d’exécution suffit, sans que soit également requise une renonciation spéciale.

L’affaire opposant la République du Congo et la société Commisimpex constitue désormais une série jurisprudentielle dont l’arrêt rendu le 13 mars 2024 est, pour l’heure, le dernier épisode.

Rappelons que le contentieux a pour toile de fond l’exécution de sentences arbitrales condamnant l’État congolais. Or, ce dernier ayant expressément renoncé à l’immunité d’exécution dont il bénéficiait en vertu des normes du droit international public, le litige s’est rapidement et essentiellement cristallisé sur la difficulté de déterminer si la renonciation devait être, non seulement expresse mais également spéciale, et donc indiquer les biens concernés par la renonciation de l’État de la République du Congo.

La question a fait l’objet d’une position jurisprudentielle fluctuante qu’il convient d’avoir à l’esprit avant de pouvoir détailler la solution dernièrement rendue par la Cour de cassation.

Antécédents jurisprudentiels

Avant l’affaire Commisimpex, tandis qu’un arrêt de 2011 décidait que la renonciation devait être expresse et spéciale pour les biens uniquement affectés à une mission diplomatique (Civ. 1re, 28 sept. 2011, n° 09-72.057, Dalloz actualité, 3 nov. 2011, obs. C. Tahri ; D. 2011. 2412  ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier  ; Rev. crit. DIP 2012. 124, note H. Gaudemet-Tallon ), deux arrêts rendus en 2013 ont décidé qu’une telle renonciation expresse et spéciale devait s’appliquer à tous les biens de l’État, et donc pas uniquement aux seuls biens diplomatiques (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-10.450 et n° 10-25.938, Dalloz actualité, 16 avr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1728 , note D. Martel  ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne  ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot  ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier ).

C’est dans le cadre du litige Commisimpex que la jurisprudence s’est quelque peu obscurcie puisque, dans un premier arrêt rendu le 13 mai 2015, la Cour de cassation a abandonné la condition de spécialité (Civ. 1re, 13 mai 2015, n° 13-17.751, Dalloz actualité, 29 mai 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1936, obs. I. Gallmeister , note S. Bollée  ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; ibid. 2588, obs. T. Clay  ; Rev. crit. DIP 2015. 652, note H. Muir Watt ) avant de la réintroduire trois ans plus tard, à l’occasion d’un second pourvoi, dans un arrêt rendu le 10 janvier 2018 (Civ. 1re, 10 janv. 2018, n° 16-22.494, Dalloz actualité, 24 janv. 2018, obs. G. Payan ; Revue pratique du recouvrement - EJT 2020. 29, chron. F. Rocheteau  ; D. 2018. 541 , note B. Haftel  ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke  ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne  ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; ibid. 2448, obs. T. Clay  ; Rev. crit. DIP 2018. 315, note D. Alland  ; RTD civ. 2018. 353, obs. L. Usunier et P. Deumier  ; ibid. 474, obs. P. Théry ).

Encore faut-il préciser que cette dernière solution se voulait justifiée par une application anticipée de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II », cette dernière ayant imposé à l’article L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution que la renonciation à l’immunité d’exécution devait être, en matière de biens diplomatiques, non seulement expresse mais également spéciale (sur la question, v. J. Heymann, La loi Sapin II et les immunités d’exécutions. À propos de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, JCP 2017. 102 ; R. Bismuth, L’immunité d’exécution après la loi Sapin II, JDI 2018. Doctr. 4).

Ayant également eu à connaître, en parallèle, de la mainlevée d’une saisie-attribution de différents comptes bancaires ouverts auprès d’une banque au nom de la mission diplomatique à Paris de la République du Congo, la Cour de cassation a considéré que l’immunité devait s’étendre « notamment, aux fonds déposés sur les comptes bancaires des missions diplomatiques, lesquels sont présumés être affectés aux besoins de la mission de souveraineté de l’État accréditaire » et que « cette présomption, justifiée par la nécessité de préserver cette mission à l’exercice de laquelle participent les représentations diplomatiques, cède devant la preuve contraire qui, pouvant être rapportée par tous moyens, n’est pas rendue impossible aux créanciers » (Civ. 1re, 3 févr. 2021, n° 19-10.669, Dalloz actualité, 2 mars 2021, obs. F. Mélin ; D. 2019. 1891  ; ibid. 2020. 1970, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux  ; RTD civ. 2019. 927, obs. P. Théry ).

Mais c’est lorsque, le 13 avril 2023, la Cour de cassation a de nouveau eu à connaître de la condition de spécialité que la confusion a semblé s’accentuer, laissant penser à un nouveau revirement de jurisprudence qui, comme en 2015, aurait pour objet l’abandon d’une telle condition (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 18-20.915, n° 18-24.859, n° 19-14.391, n° 19-14.394 et n° 18-20.916, D. 2023. 1570 , note B. Haftel  ; ibid. 1282, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier  ; ibid. 1565, avis R. Salomon  ; ibid. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; JCP 2023. Actu. 568, note L. d’Avout). En réalité, le revirement n’était que partiel et il a pu être souligné, à cet égard, qu’une lecture a contrario aboutissait à réintroduire la distinction abandonnée en 2011 entre les biens diplomatiques et les autres biens (v. B. Haftel, préc.).

En d’autres termes, tandis que la condition de spécialité semblait être maintenue pour les biens diplomatiques, elle paraissait définitivement abandonnée pour les autres biens, ceux qui n’ont pas été affectés à l’exercice d’une mission d’ordre diplomatique.

Solution rendue

Dans ce contexte, c’est bien cette dernière interprétation que conforte l’arrêt rendu le 13 mars 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui, par ailleurs, s’attache à préciser les biens qui ne sont pas affectés à l’exercice des fonctions d’une mission diplomatique, exigeant donc, pour ces derniers, une renonciation uniquement expresse et non spéciale.

En l’espèce, le pourvoi formé par la République du Congo soutenait en substance que l’immunité d’exécution diplomatique devait s’appliquer à l’ensemble des biens affectés par un État étranger à l’exercice de ses activités diplomatiques, y compris ceux utilisés par son chef d’État ou les membres du pouvoir exécutif. Dans cette perspective, il était reproché à la cour d’appel son interprétation par trop restrictive en considérant que seuls les biens de l’ambassade de la République du Congo devaient se voir soumis à l’exigence d’une renonciation expresse et spéciale.

Ici, dans la mesure où la saisie-vente avait été pratiquée sur un Falcon manifestement utilisé par la présidence de la République du Congo, il appartenait à la Cour de cassation de déterminer si l’aéronef pouvait être considéré comme un bien contribuant à l’exercice de la mission diplomatique de l’État congolais.

La réponse négative qu’apporte la Cour de cassation se veut empreinte de fondements qui touchent tant au droit international public qu’au droit interne.

Ainsi, si les principes du droit international coutumier reflétés par la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités des États et de leurs biens n’exigent qu’une renonciation expresse – et non spéciale – à l’immunité d’exécution, quels que soient les biens concernés, il en est autrement d’après l’article 22, § 3, de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques lorsque sont en cause les locaux de la mission diplomatique, leur ameublement et les autres objets qui s’y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ces derniers ne pouvant, par exception, faire l’objet d’aucune saisie ou mesure d’exécution.

Par où l’on comprend que le champ d’application limité d’une telle exception au principe général va nécessairement rejaillir sur le droit interne. Dans cette perspective, la Cour de cassation souligne que les dispositions de l’article L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution doivent être interprétées strictement, à l’instar de ce qu’a pu décider la cour d’appel au sujet de la saisie du Falcon.

Concrètement donc, il en résulte deux implications :

  • l’utilisation du Falcon par le chef d’État congolais ne suffisait pas à démontrer que l’aéronef saisi faisait partie des moyens mis à la disposition de la mission diplomatique en France de la République du Congo dès lors que « les fonctions d’une mission diplomatique se distinguent de l’activité diplomatique exercée par un chef d’État » ; 
  • la renonciation expresse à l’immunité d’exécution, consentie par la République du Congo dans le cadre du litige l’opposant à la société Commisimpex, suffisait pour que le Falcon, affecté à la présidence de la République, puisse faire l’objet d’une mesure d’exécution, sans que soit également requise une renonciation spéciale. 

 

Civ. 1re, 13 mars 2024, F-B, n° 21-17.599

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