Renonciation au droit exclusif sur le bail (conjoint survivant) : mise en œuvre et portée

Si le conjoint survivant, qui vivait avec le locataire décédé peut renoncer expressément à l’exclusivité de son droit au bail pour permettre aux personnes qui satisfont aux conditions légales de bénéficier de droits concurrents aux siens sur le bail, cette renonciation ne peut porter que sur l’exclusivité du droit au bail et ne peut permettre au conjoint survivant, à défaut de congé valablement délivré par lui, de mettre fin au droit au bail dont il est titulaire.

À bien des égards, le statut spécial des baux d’habitation ou mixtes doit se lire à la lumière des dispositions du droit commun des baux.

Ainsi, la question du sort du bail au décès du locataire ne livre toutes ses subtilités qu’en combinant les dispositions de l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989 avec celles issues de l’article 1751 du code civil.

En effet, le premier de ces textes indique qu’en pareille hypothèse, le bail est, entre autres bénéficiaires, transféré aux descendants qui vivaient avec le défunt depuis au moins un an à la date du décès ou au conjoint survivant non cotitulaire du droit au bail au sens de l’article 1751 du code civil (le texte ajoute qu’en cas de demandes multiples, le juge se prononce en fonction des intérêts en présence).

Si cet article n’envisage pas le cas du conjoint survivant qui cohabitait juridiquement avec le locataire décédé, c’est que son sort est réglé par l’article 1751 du code civil précité. Ce texte commence par poser le principe de la cotitularité du droit au bail des conjoints sur le local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux. Par ailleurs (depuis une loi du 3 déc. 2001), son alinéa 3 précise qu’en cas de décès d’un des époux (ou, depuis la loi Alur du 24 mars 2014, de l’un des partenaires lié par un pacs), le conjoint (ou le pacsé) survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément.

Dans l’arrêt sous étude, c’est cette renonciation qui était au centre des débats.

À la suite du décès de l’épouse, se posait la question de la continuation du bail :

  • soit en la personne du conjoint survivant, séparé de fait de la défunte, mais attributaire de la jouissance du domicile familial par une ordonnance de conciliation intervenue avant le décès et signataire d’un avenant postérieur à celui-ci le désignant comme seul titulaire du bail ;
  • soit au travers de l’un des enfants du couple (un fils), qui cohabitait avec sa mère depuis plus d’un an lors du décès.

En dépit des apparences, il ne semble pas qu’il y ait eu confit entre le père et son fils, mais plutôt, le souci de sauver le bail au profit de ce dernier, le père étant sous le coup d’une procédure de mise en œuvre de la clause résolutoire pour défaut de paiement d’un supplément de loyer de solidarité.

En appel, le juge (Paris, 27 sept. 2022, n° 20/02113, Dalloz jurisprudence) a fait droit à la requête du fils et a rejeté la demande de paiement du bailleur, motif pris que si le local loué avait servi à l’habitation des époux, le conjoint survivant, bien que n’ayant pas donné congé, a fait connaître cinq ans avant le décès de son épouse son désintérêt pour les locaux qu’il n’habitait plus, qu’il n’a jamais demandé à bénéficier du transfert du contrat de location après ce décès, nonobstant l’avenant le désignant comme seul titulaire. Partant, le juge parisien a considéré que le contrat de location devait se poursuivre au profit de son fils, « titulaire, en concurrence avec son père, du droit au transfert comme vivant avec sa mère dans les lieux loués durant l’année ayant précédé le décès de cette dernière, conformément aux dispositions de l’article 14, alinéa 2, de la loi du 6 juillet 1989 ».

Cette solution est censurée par la Cour de cassation.

La censure de la Haute juridiction s’articule autour de plusieurs idées-forces qui peuvent se résumer ainsi : le conjoint survivant était toujours cotitulaire du bail, à ce titre, il disposait d’un droit exclusif sur le logement, droit auquel il n’a pas renoncé expressément, et quand bien même l’eut-il fait, faute d’avoir délivré valablement congé, il est resté titulaire du droit au bail.

Le conjoint survivant était toujours cotitulaire du bail

À l’appui de cette affirmation, la Haute juridiction rappelle sa jurisprudence selon laquelle la séparation de fait des époux ou l’autorisation qui leur est donnée de résider séparément ne remet pas en cause la cotitularité du bail portant sur le logement qui a servi effectivement à leur habitation commune.

La troisième chambre civile a en effet déjà jugé que le conjoint reste cotitulaire du bail et, à ce titre, reste tenu solidairement envers le bailleur du paiement des loyers et charges jusqu’à ce que mention du jugement de divorce ait été faite en marge des registres de l’état civil, ce nonobstant le fait qu’il ait quitté les lieux loués avant cette date ou qu’il ait été autorisé à résider séparément (Civ. 3e, 27 mai 1998, n° 96-13.543, D. 1998. 154 ; AJDI 1999. 701 , obs. G. Teilliais ; RDI 1998. 425, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé . Dans le même sens, v. aussi, Civ. 2e, 3 oct. 1990, n° 88-18.453, D. 1992. 219 , obs. F. Lucet ; RTD civ. 1991. 584, obs. F. Lucet et B. Vareille ). Elle a, par ailleurs, eu l’occasion d’affirmer que le mari restait titulaire d’un droit au bail sur le local ayant effectivement servi à l’habitation des deux époux, quand bien même aurait-il cessé toute communauté de vie avec sa femme (Civ. 3e, 31 mai 2006, n° 04-16.920, D. 2006. 2777 , note N. Damas ; ibid. 2007. 1561, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJDI 2006. 729 , obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2006. 812, obs. B. Vareille ).

Le conjoint survivant cotitulaire du bail disposait d’un droit exclusif sur le logement

La cour réaffirme à cet égard que la cotitularité du bail accordé par l’article 1751 du code civil prive les héritiers qui vivent dans les lieux au moment du décès du preneur de tout droit locatif en présence du conjoint survivant (v. déjà, Civ. 3e, 27 juin 2018, n° 17-20.409, Dalloz actualité, 24 juill. 2018, obs. C. Dreveau ; AJDA 2018. 1365 . Dans le même sens, jugeant que ce droit exclusif prive l’enfant du locataire décédé de tout droit locatif, v. not., Paris, 23 oct. 2014, n° 12/13369, Loyers et copr. 2015, n° 4, obs. Vial-Pedroletti ; comp., avant l’instauration de ce droit exclusif par la loi du 3 déc. 2001, préc., Civ. 3e, 15 nov. 2006, n° 04-15.679, AJDI 2007. 476 , note F. de La Vaissière ).

L’effectivité et la portée de la renonciation du conjoint survivant à son droit au bail exclusif

L’apport original de l’arrêt du 4 juillet 2024 consiste à affirmer que si le conjoint survivant cotitulaire du droit au bail peut renoncer expressément à l’exclusivité de son droit au bail pour permettre, le cas échéant, aux bénéficiaires de droits concurrents aux siens sur le bail de les exercer, cette renonciation ne peut porter que sur l’exclusivité du droit au bail et ne peut permettre au conjoint survivant, à défaut de congé valablement délivré par lui, de mettre fin au droit au bail dont il est titulaire.

On comprend par conséquent, d’une part, que la renonciation doit être expresse et, d’autre part (et surtout), qu’à elle seule, elle est insuffisante à délier le conjoint survivant de son lien contractuel avec le bailleur.

Une renonciation nécessairement expresse. Le caractère nécessairement exprès de la renonciation du conjoint survivant (ou, désormais, du partenaire pacsé avec le défunt) est inscrit à l’alinéa 3 de l’article 1751 du code civil (« en cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément »).

Or, la simple affirmation, par le conjoint, selon laquelle il se désintéressait des locaux qu’il n’habitait d’ailleurs plus ne pouvait en toute hypothèse pas constituer cette renonciation, ne serait-ce que parce que, au cas particulier, elle est intervenue avant le décès de son épouse, soit à une époque où il n’était pas encore titulaire du droit exclusif sur le bail (en ce sens, v. déjà Civ. 3e, 18 mai 2011, n° 10-13.853, Dalloz actualité, 30 mai 2011, obs. Y. Rouquet ; D. 2011. 2624, obs. C. Bourdaire-Mignot, V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2012. 971, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1086, obs. N. Damas ; AJDI 2011. 786 , obs. N. Damas ; RTD civ. 2011. 518, obs. J. Hauser ).

Quant à l’affirmation, après le décès de son épouse cette fois, qu’il n’a, à aucun moment, revendiqué le bénéfice du transfert du bail, elle était sans portée, puisque, titulaire du droit exclusif sur le bail, il n’était pas concerné par le mécanisme de transfert de bail prévu à l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989.

Une renonciation qui ne met pas fin au bail. En admettant que la renonciation du conjoint eut été valable, ce que nous dit l’arrêt sous étude et, à notre connaissance, c’est une première, c’est que cette renonciation aurait uniquement mis fin à son droit exclusif sur le bail, sans pour autant le délier de ses obligations nées du contrat de location (en l’occurrence, l’obligation de s’acquitter du supplément de loyer de solidarité).

Seul un congé en bonne et due forme aurait pu produire cet effet, permettant au fils du couple de bénéficier du transfert du bail.

 

Civ. 3e, 4 juill. 2024, FS-B, n° 22-24.856

© Lefebvre Dalloz