Répartition de la participation : ne pas tenir compte de la période non travaillée du mi-temps thérapeutique est discriminatoire

La période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un temps partiel thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l'entreprise pour la répartition de la réserve spéciale de participation, sous peine de méconnaitre le principe légal de non-discrimination en raison de l'état de santé du salarié.

En l’absence d’accord entre les signataires, la réserve spéciale de la participation se répartit entre les bénéficiaires proportionnellement aux salaires perçus, dans la limite de trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale. Cependant, par accord, la répartition de cette réserve peut (article L.3324-5 du code du travail) :

  • être uniforme ;
  • être proportionnelle aux salaires ;
  • être proportionnelle à la durée de présence ;
  • correspondre à une répartition combinant conjointement plusieurs de ces critères.

Lorsque la répartition est proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise, les absences consécutives à un accident du travail (mais non de trajet) ou à une maladie professionnelle sont assimilés à des périodes de présence (article L.3324-6 du code du travail).

Lorsqu'elle est proportionnelle au salaire, pour les absences telles que l’arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle, la rémunération à prendre en compte dans le cas où l’employeur ne maintient pas intégralement le salaire, est celle qu’aurait perçue le salarié concerné pendant les mêmes périodes s’il avait travaillé (article D.3324-11 du code du travail).

Un accord peut-il ne tenir compte que des heures effectivement travaillées dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique pour calculer les droits d'un salarié au titre de la participation ? C'est la question posée à la Cour de cassation dans un arrêt (publié) rendu le 20 septembre 2023 à propos d'un temps partiel thérapeutique consécutif à un accident du travail. 

Les faits

Engagé en 2001 en qualité de commercial de bord, un salarié est victime, le 4 mai 2015, d'un accident du travail et placé en arrêt de travail à compter de cette date jusqu'au 6 décembre de la même année. Il reprend ensuite son poste à mi-temps thérapeutique jusqu'au 8 août 2016.

Durant cette période (exercice 2015-2016), il perçoit une somme due au titre de la participation qui, conformément aux stipulations de l'accord de participation en vigueur dans son entreprise, n'assimilait pas la période de mi-temps thérapeutique à une période de travail effectif à temps plein pour calculer la somme due au salarié au titre de la réserve spéciale de participation.

Le 5 juin 2019, le salarié conteste cette somme en justice et sollicite, outre des dommages et intérêts, un complément de participation. Le conseil de prud'hommes, jugeant en premier et dernier ressort, fait droit à ses demandes.

Son employeur se pourvoit en cassation.

Ne pas tenir compte de la période non travaillée d'un mi-temps thérapeutique consécutif d'un AT/MP pour la répartition de la RSP constitue une discrimination

Se fondant sur la prohibition de toute mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions notamment en raison de l'état de santé du salarié ou de son handicap (article L.1132-1 du code du travail), la Cour de cassation dispose que "la période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l'entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l'assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé".

► L'employeur arguait que le salarié n'était pas en situation de handicap mais se trouvait temporairement dans l'impossibilité de reprendre son travail à temps complet.

La Cour de cassation a suivi l'avis de l'avocat général référendaire qui considère que :

  • l'article L. 1132-1 du code du travail susvisé prohibe bien les discriminations, directes comme indirectes, en raison de l'état de santé du salarié et celles en raison de son handicap ;
  • si le salarié est dans une démarche volontaire de reprise de son emploi, les modalités de cette reprise lui sont imposées par son état de santé et les avis médicaux de sorte que ce temps partiel est bien la résultante de son état de santé : il ne se trouve donc pas dans une situation comparable à celle d'un salarié à temps partiel classique ;
  • le mi-temps thérapeutique étant une modalité de reprise du travail favorable au salarié, exclure les périodes d'absence de son emploi du total des heures de travail effectif ou assimilées du salarié le pénaliserait par rapport à ceux bénéficiaires d'une absence complète pour accident du travail ou maladie professionnelle.

Exclure les périodes non travaillées du temps partiel thérapeutique pour répartir la réserve spéciale de participation doit donc être proscrit, que cette réserve soit répartie proportionnellement à la durée de présence ou proportionnellement aux salaires.

Mais quid du mi-temps thérapeutique consécutif à une maladie non professionnelle ?

A notre avis, cette solution ne se cantonne pas au temps partiel thérapeutique consécutif à un accident du travail ou une maladie professionnelle (AT/MP). Elle est également applicable au temps partiel thérapeutique consécutif à un arrêt de travail pour maladie non professionnelle lorsque cette maladie non professionnelle est, en tout ou partie, assimilée à du temps de présence par l'accord de participation. 

► Rappelons, en effet, que l'accord de participation peut retenir une définition de la durée de présence ou des salaires plus favorable aux salariés que celle donnée par les dispositions légales et réglementaires.

Dans ce cas de figure, la même prohibition de la discrimination en raison de l'état de santé s'applique.

La généralité de cette jurisprudence semble accréditer notre position. La chambre sociale ne semble pas, en effet, cantonner sa décision au seul temps partiel thérapeutique consécutif à un AT/MP.

Mais la décision jurisprudentielle doit-elle s'appliquer au temps partiel thérapeutique consécutif à une maladie non professionnelle non assimilée par l'accord de participation à du temps de présence ? Dans l'affirmative, cet arrêt annonce-t-il une jurisprudence à venir qui imposerait l'assimilation de la maladie non professionnelle à du temps de présence pour la répartition de la participation ? La question est posée.

Répartition proportionnelle aux salaires : quel salaire retenir en cas de mi-temps thérapeutique ?

La Cour de cassation dispose que "le salaire à prendre en compte pour le calcul de l'assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l'arrêt de travail pour maladie l'ayant, le cas échéant, précédé".

Elle applique la méthode qu'elle a dégagée pour le calcul de l'indemnité de licenciement en cas d'arrêt de travail pour maladie (arrêt du 23 mai 2017).

Remarque : selon cette jurisprudence, le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des 12 ou des 3 derniers mois précédant l'arrêt de travail pour maladie.

Toutefois, aux termes de l'article D. 3324-11 du code du travail, le salaire à retenir pour la répartition de la participation proportionnelle au salaire en cas d'absence assimilée à du temps de présence, est un salaire reconstitué fictivement (soit le salaire qu’aurait perçu le salarié concerné pendant les mêmes périodes s’il avait travaillé - voir ci-avant).

La décision de la Cour de cassation jette le trouble sur ce point. Y aurait-il deux méthodes différentes à appliquer pour un arrêt de travail motivé par un accident de travail et un temps partiel thérapeutique qui lui fait suite ou s’agit-il d’une malencontreuse approximation ?

La reconstitution fictive du salaire tient potentiellement compte des augmentations générales accordées au cours de la période d'absence alors que la reprise du salaire précédent le mi-temps ou l'arrêt de travail du salarié n'en tient pas compte. La réglementation oblige l'employeur à reconstituer fictivement le salaire en cas d'arrêt de travail « AT/MP ; l'appliquer au cas du mi-temps thérapeutique consécutif à un AT/MP respecterait en tout cas le principe d'égalité de traitement.

Une décision jurisprudentielle transposable à l'intéressement

La question de la prise en compte du temps partiel thérapeutique consécutif à un accident du travail avait déjà été posée à la Cour de cassation à propos de la répartition de l'intéressement, dans un arrêt isolé rendu en 2011 (arrêt du 16 juin 2011) dont la motivation était juridiquement contestable.

Dans l'arrêt cité en référence, la Cour de cassation considérait que les périodes non travaillées dans le cadre d'un travail à temps partiel thérapeutique consécutif à un accident du travail devaient être assimilées au même régime que celles de la suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail. Le salarié devait donc bénéficier d'une prime d'intéressement sans application d'un prorata. 

Sa motivation était toutefois contestable puisqu'un contrat de travail exécuté dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique n'est plus juridiquement suspendu. Le temps partiel thérapeutique est une reprise d'un "travail léger" autorisé par le médecin traitant, de nature à favoriser la guérison ou la consolidation de la blessure (article L.433-1 du code de la sécurité sociale) et qui implique normalement la fin de la suspension du contrat de travail.

La décision du 20 septembre 2023 qui se fonde sur le principe de non-discrimination en raison de l'état de santé du salarié est bien plus claire. 

Une solution prise à propos de la répartition de la réserve spéciale de participation qui, à notre sens et compte tenu de sa généralité, peut également s'appliquer à l'intéressement.

 

© Lefebvre Dalloz