Répétition de l’indu : le locataire peut agir contre le bailleur originaire

Le locataire peut agir à l’encontre de son bailleur originaire en restitution de paiements indus effectués au titre de sommes échues antérieurement à la vente, sans que celui-ci ne puisse lui opposer une clause de subrogation.

Par cet arrêt de censure, la Cour de cassation affirme que le locataire peut agir à l’encontre du bailleur originaire en répétition de l’indu des sommes échues avant la vente de l’immeuble, alors même que l’acte de vente prévoit la subrogation de l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur.

Clause de subrogation

Au cas particulier, au motif que le bien a été vendu et que l’acte de vente contenait une telle clause de subrogation, une société locataire d’un local commercial a été déboutée tant en première instance (TGI Béziers, 9 mai 219, n° 15/01344) qu’en appel (Montpellier, 19 avr. 2022, n° 19/03730, Dalloz jurisprudence) de sa demande dirigée contre son bailleur originaire en restitution de sommes indûment perçues par lui au titre de charges locatives.

Selon le juge d’appel, le fait que le vendeur a perçu les fonds dont la restitution est demandée par la société locataire ne peut justifier que le vendeur soit maintenu en la cause dans la mesure où l’acte de vente prévoit expressément que l’acquéreur fera son affaire personnelle de tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété même si la cause en était directement ou indirectement antérieure.

Très exactement, l’acte de vente indiquait que « l’acquéreur fera son affaire personnelle, d’une part, de la continuation ou de la résiliation des baux dont les biens sont l’objet ainsi que de toutes les procédures qui pourraient survenir à compter de l’entrée en jouissance sans recours contre le vendeur, aux droits et obligations duquel il sera purement et simplement subrogé, d’autre part, de tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété, même si la cause en était directement ou indirectement antérieure ».

La Haute juridiction censure l’arrêt d’appel, au triple visa de l’ancien article 1165 du code civil (aujourd’hui, art. 1199, effet relatif des contrats), de l’alinéa 1er de l’article 1743 du même code (opposabilité du bail à l’acquéreur qui en a eu connaissance) et de l’ancien article 1376 du même code (aujourd’hui, art. 1302-1, obligation de restitution de ce que l’on a reçu indûment), motif pris, que :

« le locataire peut agir à l’encontre de son bailleur originaire en restitution de paiements indus effectués au titre de loyers et charges échus antérieurement à la vente, sans que celui-ci, qui reste tenu à son égard de ses obligations personnelles antérieures à la vente, ne puisse lui opposer une clause contenue dans l’acte de vente subrogeant l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur ».

Dette personnelle

Cet arrêt n’est pas sans rappeler une jurisprudence bien ancrée rendue en matière de versement de l’indemnité d’éviction, aux termes de laquelle la vente d’un immeuble postérieurement à la délivrance d’un congé emportant refus de renouvellement du bail ne décharge pas l’ancien propriétaire de son obligation de payer l’indemnité, dette qui lui est personnelle (Civ. 3e, 25 avr. 1968 P, Gaz. Pal. 1968. 2. 272, note P.-H. Brault ; 27 oct. 1993, n° 91-18.859, Rev. huiss. 1994. 318, note R. Martin ; JCP 1995. II. 22390, note B. Boccara ; 10 déc. 1997, n° 96-13.616, D. 1998. 26 ; AJDI 1998. 271 , obs. G. Teilliais ; ibid. 842 ; ibid. 843, obs. J.-P. Blatter ; RDI 1998. 307, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé ; RTD civ. 1998. 399, obs. P.-Y. Gautier  ; 18 févr. 1998, n° 96-15.030, D. 1998. 71 ; AJDI 1998. 843 , obs. J.-P. Blatter ; RDI 1998. 307, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé ; RTD civ. 1998. 399, obs. P.-Y. Gautier ; 15 déc. 1999, n° 98-13.029, D. 2000. 123 , obs. Y. Rouquet ; RDI 2000. 100, obs. J. Derruppé ; RTD civ. 2000. 351, obs. P.-Y. Gautier ; 13 sept. 2011, n° 10-18.241, D. 2012. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2012. 36 , obs. D. Lipman-W. Boccara ; Gaz. Pal. 21-22 oct. 2011. 39, obs. J.-D. Barbier ; comp. toutefois, Civ. 3e, 2 déc. 1998, n° 96-22.181 ; 7 janv. 2016, n° 14-19.124, AJDI 2016. 205  ; comp. aussi, en matière de restitution du dépôt de garantie d’un bail d’habitation, l’art. 22 de la loi du 6 juill. 1989, précisant qu’« en cas de mutation à titre gratuit ou onéreux des locaux loués, [cette restitution] incombe au nouveau bailleur. Toute convention contraire n’a d’effet qu’entre les parties à la mutation »).

Le choix des armes

On notera enfin qu’il n’est pas anodin que, dans l’arrêt sous étude, les hauts magistrats emploient le verbe « pouvoir » (« le locataire peut agir à l’encontre de son bailleur originaire en restitution de paiements indus »). Il s’infère de cette formulation que le preneur aurait tout aussi bien pu diriger son action à l’encontre de l’acquéreur du local.

En 1993, la même juridiction a d’ailleurs jugé que manque de base légale l’arrêt qui, pour débouter un locataire de sa demande dirigée contre l’acquéreur de l’immeuble en remboursement d’un trop-perçu de loyers, versé avant la date à laquelle ce dernier est devenu propriétaire, retient que l’acte de vente contenant l’engagement de subrogation n’est pas opposable au locataire, sans rechercher si le locataire ne pouvait invoquer cet engagement comme un fait juridique (Civ. 3e, 19 oct. 1993, n° 91-17.665, Rev. loyers 1994. 91, note J.-L. Aubert). Et, en 2003, la Cour d’appel de Paris n’affirmait pas autre chose en décidant que si la clause en vertu de laquelle l’acquéreur fait son affaire personnelle des litiges en cours ne concerne que les relations entre le vendeur et l’acquéreur, elle n’interdit pas au locataire de demander aux propriétaires successifs au moment de la réalisation et de la persistance de son préjudice de le dédommager, sauf à ceux-ci à se retourner contre le propriétaire actuel (Paris, 27 juin 2003, Loyers et copr. 2003, n° 231, obs. B. Vial-Pedroletti).

 

Civ. 3e, 16 mai 2024, FS-B, n° 22-19.922

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