Requalification d’une cession de droits d’auteur en donation : la fin des contreparties symboliques ?

Dans le cadre d’une cession à titre gratuit, les parties doivent respecter le formalisme des donations et prévoir un acte notarié. La contrepartie de cette cession doit être pécuniaire et non pas symbolique, l’engagement dans un partenariat futur n’est pas considéré comme une contrepartie suffisante à la cession.

Mme S. et M. A., marionnettistes professionnels, sont coauteurs de trois marionnettes ayant fait l’objet de dépôts auprès de la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). La société Blast exploite un média en ligne et dans cette perspective, elle s’est rapprochée des auteurs en vue de créer une émission satirique Les Marioles dans laquelle les marionnettes seront mises en scène. Dans ce cadre, quatorze vidéos ont été tournées et diffusées à compter du 30 décembre 2022.

Estimant qu’aucune cession de droits n’était intervenue entre les parties, Mme S. et M. A. ont fait assigner la société Blast en contrefaçon de droit d’auteur du fait de la diffusion de ces vidéos et de produits dérivés reproduisant lesdites marionnettes. Mme S. et M. A. reprochent à la société Blast d’avoir porté atteinte à leurs droits moraux et patrimoniaux dans l’utilisation, sans autorisation écrite et sans crédit, de leurs œuvres.

En défense, la société Blast soulève un défaut de qualité à agir sur deux fondements : dans un premier temps car les auteurs n’auraient pas appelé M. K. à agir, considéré comme co-auteur des œuvres, et dans un second temps, les œuvres ayant été déposées auprès de la SACD, seule cette dernière aurait qualité à agir.

Les juges ont rapidement écarté ces derniers arguments aux motifs que les preuves apportées par la société, une attestation affirmant que M. K. aurait demandé des modifications sur les marionnettes, ne sont pas suffisantes pour établir la collaboration de M. K. dans la création des œuvres. Concernant le dépôt à la SACD, les juges ont relevé que l’organisme n’avait qualité à agir que pour les œuvres figurant dans son répertoire, les œuvres dramatiques et audiovisuelles, dont sont exclues les marionnettes.

La société Blast s’est vu condamnée à cesser l’utilisation des œuvres de Mme S. et M. A., et de leur verser à titre provisionnel la somme de 10 000 € chacun et de 4 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour justifier leur décision, les juges ont notamment relevé que la cession ne respectait pas le formalisme légal attaché aux cessions de droits d’auteur ni celui obligatoire pour les donations.

Sur le formalisme de la cession

La société Blast, sur l’absence de contrat de cession écrit, a estimé qu’il s’agissait d’une cession implicite, corroborée par de nombreux mails.

En l’espèce, les juges ont apprécié que même si un accord de principe des demandeurs pour autoriser une exploitation gratuite des marionnettes, en contrepartie d’un partenariat les associant au développement du projet d’émission Les Marioles, a été identifié dans les échanges de courriels, il n’en résulte aucune cession de droits patrimoniaux sur les marionnettes litigieuses.

Les mentions obligatoires pour qualifier un acte de cession seraient manquantes et notamment l’accord des parties sur la délimitation du domaine d’exploitation des droits quant à son étendue, sa destination, au lieu et quant à la durée ainsi que l’identification précise des œuvres cédées (étant relevé qu’à cette date les parties n’avaient pas encore défini quelles seraient les marionnettes à mettre en scène).

Sur le formalisme, sur le fondement de l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle, les juges ont statué sur une absence de mention obligatoire écartant de fait la qualification de cession implicite. Cependant, il semblerait que l’absence d’un contrat écrit n’est en lui-même pas un argument qui fut débattu, or, l’article précité dispose que « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. Lorsque des circonstances spéciales l’exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article. »

Le code prévoit donc la possibilité de conclure un accord par échange de télégrammes, mais il précise que ce recours n’est possible qu’en présence de « circonstances spéciales ». En l’espèce, aucune des parties n’a justifié de circonstances spéciales qui auraient nécessité la conclusion d’un accord par mail et non par écrit. Il nous semble important de relever que la cession par télégramme est l’exception et non la règle, elle doit donc être justifiée comme telle. L’obligation d’un contrat écrit doit tout autant être respectée que les mentions obligatoires.

En conclusion, les juges n’ont pas considéré que les éléments apportés par la société Blast étaient suffisants pour caractériser une cession implicite, trop d’éléments étant manquants. Aussi, pour appuyer leur argumentation les juges ont également relevé qu’un contrat était en cours d’élaboration entre les parties et n’avait pas encore été signé, la société Blast ne pouvait donc pas ignorer l’importance d’un tel contrat étant elle-même à l’initiative de celui-ci.

Sur la gratuité de la cession

En conclusion de leur argumentation, les juges ont glissé cette mention « il est relevé en outre que les cessions de droit à titre gratuit doivent suivre le formalisme édicté par l’article 931 du code civil pour les donations, non rapporté en l’espèce. » Sans faire l’objet de plus de développements, cette phrase pourrait alors avoir des conséquences juridiques importantes.

Un courant jurisprudentiel récent émerge pour encadrer les cessions à titre gratuit des droits de propriété intellectuelle. En droit des marques, les juges se sont déjà positionnés sur la qualification de donation d’une cession à titre gratuit (TJ Paris 8 févr. 2022, n° 19/14142, confirmé par Paris, 13 mars 2024, n° 22/05440).

Les titres de propriété étant des biens immatériels, il semble tout à fait logique qu’ils doivent respecter le même formalisme que les autres actifs de propriété mais quelles sont les conséquences de l’application du régime des donations ?

Et bien l’article 931 précité dispose que « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires, dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. » Les cessions à titre gratuit devront donc faire l’objet d’un passage devant un notaire, moyennant le prix de leurs services, mais également supporter les obligations fiscales qui en découlent (l’art. 777 CGI prévoit une imposition à hauteur de 60 % entre personnes sans lien de parenté).

La qualification juridique des cessions à titre gratuit n’est pas une question nouvelle, elle a toujours été longuement débattue et le point de discorde récurrent était l’identification de l’intention libérale. En effet, le régime de la donation nécessite deux éléments cumulatifs, l’un matériel par l’appauvrissement du patrimoine du donneur, et l’autre moral par l’existence d’une intention libérale, donc la volonté d’effectuer une donation.

Dans le cadre des cessions des œuvres de l’esprit, cette intention libérale à souvent été écartée au profit de la reconnaissance d’une contrepartie non financière, il n’y aurait donc aucune volonté de donation de la part de l’auteur mais simplement l’attente d’une contrepartie qui ne soit pas pécuniaire (v. en ce sens, J. Tassi, La cession à titre gratuit constitue-t-elle une donation ?, Dalloz IP/IT 2024. 185 ).

Dans cette décision, la société Blast a d’ailleurs tenté de justifier la gratuité de la cession par l’engagement qu’elle avait pris d’exploiter l’œuvre dans le cadre d’un « partenariat les associant au développement du projet d’émission Les Marioles ». Ce partenariat, et donc la perspective de projets futurs, constituait pour elle une contrepartie suffisante.

Cette contrepartie « symbolique » qui prendrait sa source dans la reconnaissance et la notoriété à venir du fait de l’exploitation de l’œuvre a déjà été théorisée, notamment par Michel Vivant (M. Vivant, La pratique de la gratuité en droit d’auteur, RLDI mai 2010. 59).

Dans cette décision, les juges n’ont pas examiné en profondeur la question de l’intention libérale, ils ont plutôt déduit la donation de l’absence de contrepartie financière, il en résulterait donc que les contreparties autres que pécuniaires soient jugées, par défaut, insuffisantes pour écarter la donation.

En conclusion, ce nouveau courant jurisprudentiel ne semble pas reconnaître les contreparties symboliques et exige une rémunération financière en échange d’une cession de droit, à défaut, le régime de la donation sera applicable. Les auteurs peuvent voir un avantage non négligeable dans cette interprétation qui va encourager, voire systématiser, le paiement des cessions et écarter les abus dans les négociations qui peuvent entraîner des cessions gratuites non réellement consenties. Se posera tout de même la question du sort des pratiques amatrices, souvent réalisées gratuitement par les auteurs et qui devront dorénavant anticiper les coûts financiers qui accompagnent la donation.

 

TJ Paris, ord. réf., 11 sept. 2024, n° 24/50726

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