Requalifications de CDD et reconstitution de carrière : quels éléments de rémunération et salaire de référence retenir ?

Dans une série de trois arrêts en date du 8 février 2023, la Cour de cassation a eu l'occasion de se prononcer sur les différentes modalités de calcul des sommes qui peuvent être dues au salarié dans le cadre d'une requalification d'un CDD en CDI.

Dans chacun des arrêts visés, les faits étaient similaires : des salariés en CDD avaient sollicité la requalification de leurs contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée, qu'ils avaient obtenus. Ils réclamaient également de nombreuses sommes au titre de l'exécution, de la rupture ou de la requalification du contrat de travail.

Il est bien établi que la requalification a pour effet de replacer le salarié dans la situation qui aurait été sienne s'il avait directement été recruté en CDI (Soc. 19 mars 2014, n°Â 12-29.080). Cette reconstitution rétroactive de la relation de travail affecte l'intégralité du contrat : se pose donc la question pratique des modalités de versement et de calcul des primes, rappels de salaire sur la période d'exécution du contrat et indemnité de requalification et indemnités de rupture due au titre de la requalification et de la rupture du contrat.

Jusqu'à présent, la Cour de cassation ne s'était pas prononcée sur la base de calcul à utiliser pour déterminer le montant de ces sommes. La Cour de cassation fait ressortir, dans les trois arrêts du 8 février 2023, le principe selon lequel une distinction doit être établie en fonction des sommes sollicitées : les rappels de salaire et de primes, l'indemnité de requalification ainsi que l'indemnité compensatrice de préavis doivent être calculés au regard des éléments de salaire qui auraient dû être perçus par le salarié, donc sur la base du salaire reconstitué du fait de la requalification du CDI. Les indemnités de licenciement et de licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent, quant à elles, être basées sur le salaire effectivement perçu par le salarié, donc sur la rémunération perçue au titre de son CDD.

La régularisation de la rémunération à la suite d'une requalification du contrat de travail

Il est de jurisprudence constante que par effet de la requalification, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le premier jour de son embauche : il est donc en droit d'obtenir une reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération (Soc. 24 avr. 2013, n°Â 12-12.274 ; 6 nov. 2013, n°Â 12-15.953 P, Dalloz actualité, 26 nov. 2013, obs. M. Peyronet ; D. 2013. 2648 ; Dr. soc. 2014. 11, chron. S. Tournaux ; RDT 2014. 35, obs. B. Reynès  ; 9 juin 2017, n°Â 16-17.634, RJS 8-9/2017, n°Â 551).

Dans deux des arrêts du 8 février 2023 (nos 21-10.270 et 21-17.971), la chambre sociale a pu préciser la méthode à utiliser dans le cadre de la régularisation de rémunération, à la suite de demandes de rappels de salaire ou de primes.

Dans un premier arrêt (pourvoi n° 21-10.270), une salariée avait obtenu la requalification de son contrat en CDI, mais avait été déboutée en appel de sa demande de rappels de salaire pour dépassement du seuil conventionnel de 197Â jours travaillés par an au motif que la rémunération perçue au titre des CDD était supérieure à celle qu'elle aurait perçue si elle avait été embauchée directement en CDI, et ce même en incluant la rémunération issue du dépassement du forfait. La cour d'appel estimait que la salariée était d'ores et déjà remplie de ses droits.

La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel en retenant que la salariée était fondée à obtenir ses rappels de salaire même si la comparaison montrait qu'elle avait perçu une rémunération supérieure à celle des salariés en CDI au motif que «Â les sommes qui avaient pu lui être versées […] destinées à compenser la situation dans laquelle elle était placée du fait de ses contrats à durée déterminée, lui restaient acquises nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée ».

C'est dans cette lignée que le second arrêt (pourvoi n° 21-17.971) vient s'inscrire. En l'espèce, le salarié sollicitait un rappel de primes de sujétion, d'ancienneté et de fin d'année dont il n'avait pas bénéficié en sa qualité de salarié intermittent : en reprenant le même raisonnement, la chambre sociale confirme le versement des primes litigieuses au salarié.

En effet, la requalification en CDI, en entraînant la reconstitution de carrière, permet au salarié de se prévaloir d'une ancienneté remontant à cette date (Soc. 3 mai 2016, n°Â 15-12.256, D. 2016. 1004 ; ibid. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2016. 650, étude S. Tournaux ; RDT 2016. 477, obs. S. Tournaux ) ainsi que de bénéficier des primes d'ancienneté, de fin d'année ou de supplément familial dont il aurait pu être bénéficiaire s'il était titulaire d'un CDI dès son embauche (Soc. 19 mai 2009, nos 07-44.841 et 07-45.010).

Néanmoins, par un arrêt du 19 mai 2010, la Cour de cassation avait débouté un salarié de sa demande de rappels de salaire au titre que la rémunération qu'il avait perçue était supérieure aux sommes dues dans le cadre de son embauche sous contrat à durée indéterminée (Soc. 9 mai 2010, n°Â 09-41.464).

C'est par ailleurs la position adoptée par l'Avocat général, qui, dans les affaires tranchées en l'espèce en février 2023, confirmait le raisonnement des cours d'appel, en considérant que les salariés étaient remplis de leurs droits du fait de la rémunération plus élevée qu'ils avaient perçus au titre de leurs CDD (avis de l'avocat général référendaire sur les arrêts du 8 février 2023, nos 21-10.270 et 21-17.971).

En ne retenant pas la méthode de comparaison entre les sommes perçues au titre du contrat à durée déterminée et les sommes dues au titre de la qualité de salarié permanent, la Cour de cassation semble confirmer sa jurisprudence récente où les rappels de primes (Soc. 8 juill. 2020, n°Â 18-23.148) et de salaire (Soc. 25 nov. 2020, n°Â 19-10.834), visent, non pas à compenser la précarité subie par le salarié, mais à le replacer dans la situation qui était sienne s'il avait été recruté en CDI dès l'origine.

La détermination du montant de l'indemnité de requalification

Lors de la requalification du CDD en CDI, le juge accorde au salarié une indemnité de requalification dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire (C. trav., art. L. 1245-2).

Les hauts magistrats ont affiné à plusieurs reprises les modalités de calcul de cette indemnité. Ils avaient précisé dans un premier temps que l'indemnité était calculée sur la base du «Â dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction » (Soc. 17 juin 2005, n°Â 03-44.900, D. 2005. 1883, obs. A. Astaix ) ou sur la dernière moyenne du salaire mensuel (Soc. 20 nov. 2013, n°Â 12-25.459, RJS 3/2014, n°Â 200) lorsque le salarié connaît des variations importantes de rémunération d'un mois sur l'autre. Dans ce dernier arrêt, la Cour ne précise pas de période de référence particulière sur laquelle la moyenne doit être calculée.

Ils avaient également précisé que les heures supplémentaires réalisées (Soc. 10 juin 2003, n°Â 01-40.779, D. 2003. 2054, et les obs. ) et les accessoires de salaire (Soc. 3 mai 2016, n°Â 14-29.739, D. 2016. 1004 ; ibid. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta ) devaient être inclus dans le montant du salaire de référence.

Ces décisions laissaient supposer que le salaire de référence était celui effectivement perçu par le salarié au cours de son contrat à durée déterminée ; de surcroît, il s'agit de la position adoptée par l'Avocat général dans l'un des trois arrêts de février 2023.

La Cour de cassation adopte in fine une position différente (n° 21-16.824). Elle casse l'arrêt de la cour d'appel qui avait calculé l'indemnité à partir de la moyenne de salaire mensuel effectivement perçue pour préférer un calcul sur la base de «Â la rémunération de base de la salariée […] en raison de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps complet ».

Il convient de noter ici que la méthode de la moyenne de salaire est utilisée au regard des circonstances de l'espèce : la Cour de cassation a, au regard de l'ensemble des éléments de salaire, considéré que le salaire de référence devait être apprécié sur une périodicité supérieure à un mois. Dans le cas de figure où la rémunération perçue par le salarié n'a pas connu de variations d'un mois sur l'autre ou que la dernière rémunération perçue est plus basse que celle habituellement perçue, l'indemnité devrait tout de même être calculée, à notre sens, sur la base du denier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction, en prenant en compte toutefois le salaire reconstitué au titre de la requalification en CDI.

Les différents salaires de références pour le calcul des indemnités de rupture du contrat de travail

Par l'effet de la requalification du CDD en CDI, la rupture du contrat de travail du salarié s'analyse en un licenciement : à ce titre, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement et une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse pourraient être dues. La chambre sociale précise dans l'un des arrêts commentés (n°Â 21-17.971) la base de calcul pour chacune de ces indemnités.

S'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis, le code du travail dispose en son article L. 1234-5 que l'indemnité compensatrice est calculée en fonction «Â des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis ». La Cour a réaffirmé ce principe de réalité dans un arrêt récent du 2 juin 2021 (Soc. 2 juin 2021, n°Â 19-16.183, Dalloz actualité, 22 juin 2021, obs. L. Malfettes ; D. 2016. 1004 ; ibid. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta ) l'indemnité de préavis est calculée sur la base du salaire «Â que le salarié aurait dû percevoir », sans expliciter davantage ce qui cache derrière cette formulation. Dans l'arrêt commenté, la Cour précise que l'indemnité compensatrice de préavis «Â devait être calculée au regard des sommes que le salarié aurait perçues en application du statut de travailleur permanent qui lui avait été reconnu ».

La Cour fournit donc enfin une réponse claire concernant la base de calcul de l'indemnité de préavis : en choisissant d'appliquer le salaire théorique que le salarié aurait dû percevoir (v. L. Malfettes, CDD : précisions sur les conséquences indemnitaires d'une requalification en CDI, Dalloz actualité, 22 juin 2021).

Il convient de noter que l'avocat général adoptait le raisonnement contraire à celui de la Cour, en retenant le salaire effectivement perçu en tant que base de calcul.

S'agissant de l'indemnité de licenciement, le code du travail dispose qu'elle est calculée, respectivement, sur la base «Â rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail » (C. trav., art. L. 1235-3). L'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse est quant à elle «Â une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau » prévu par le texte. Elle est calculée en fonction de la rémunération brute perçue avant la rupture du contrat de travail (Soc. 22 juin 1993, n°Â 91-43.560 ; 13 juill. 2004, n°Â 03-43.780, préc.). Les hauts magistrats précisent ici que pour déterminer le montant des indemnités de rupture, il convient de prendre en compte «Â les sommes perçues au titre du salaire de base brut « d'intermittent » qui lui étaient définitivement acquises ».

Il convient de noter qu'à propos de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, les solutions de la Cour et de l'avocat général sont identiques.

La solution rendue par la Cour de cassation est marquée par une appréciation très stricte des articles L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail. Elle va aussi partiellement à l'encontre de l'avis formulé par l'Avocat général, s'agissant du calcul de l'indemnité compensatrice de préavis.

La solution retenue par l'avocat général avait le mérite de la cohérence : toutes les indemnités pouvant être versées à la suite de la rupture du contrat étaient calculées sur la base du même salaire de référence. La Cour, en optant pour une base différente concernant l'indemnité compensatrice de préavis, rend une jurisprudence plus nuancée : néanmoins, elle respecte parfaitement la volonté du législateur. En effet, il est apparent à la lecture des articles définissant les modalités de calcul des indemnités de licenciement et de préavis (respectivement, les articles L. 1234-9 et L. 1234-5 du code du travail) que le législateur a choisi des formulations différentes en ce qui concerne la détermination du salaire de référence de ces indemnités. Ainsi, par sa décision, la Cour de cassation opère la même distinction que le législateur et réalise une application stricte des textes.

 

Soc. 8 févr. 2023, FS-B, n° 21-16.824Soc. 8 févr. 2023, FS-B, n° 21-10.270Soc. 8 févr. 2023, FS-B, n° 21-17.971.

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