Réquisition de données : précisions sur l’habilitation des enquêteurs à consulter le TAJ et le logiciel ATRT
Par un arrêt du 3 avril 2024, la Cour de cassation a affirmé la régularité de la consultation de données concernant un salarié par des gendarmes, sur réquisition d’une société, malgré l’absence de leur habilitation mentionnée aux procès-verbaux.
En l’espèce, une enquête préliminaire concernant des infractions à la législation sur les stupéfiants a été ouverte à la suite d’un renseignement anonyme. Des réquisitions ont été faites auprès d’une société afin d’obtenir des images extraites de vidéosurveillance. Les enquêteurs ont consulté le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) concernant le prévenu, salarié de la société, le soupçonnant de participer au trafic de stupéfiants. De plus, deux enquêteurs ont eu recours à un logiciel de rapprochement judiciaire, l’application de traitement des relations transactionnelles (ATRT).
À la suite de ces actes d’enquête, une information a été ouverte contre personne non dénommée, pour des faits d’infractions à la législation sur les stupéfiants. Le prévenu a été mis en examen un mois plus tard.
Le prévenu a formé une demande d’annulation de pièces de la procédure devant la chambre de l’instruction, laquelle a rejeté cette demande. C’est ainsi que l’affaire a été portée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, après pourvoi formé par le prévenu.
La remise d’informations aux enquêteurs par la société sur réquisition
La chambre de l’instruction avait considéré mal fondées les requêtes en annulation de pièces, considérant que la société avait été régulièrement requise pour remettre aux enquêteurs des informations issues de son système de vidéosurveillance pour la date du 13 février 2023. Bien au contraire, la Cour de cassation a jugé que compte tenu du fait que la réquisition visait une période postérieure au 1er mars 2023, la chambre de l’instruction avait jugé à tort. Toutefois, la Cour affirme ici que l’arrêt de la chambre de l’instruction n’encourt pas pour autant la censure, puisque les informations ont été remises aux enquêteurs de façon volontaire par la société, sans qu’ils aient eu recours à un moyen coercitif (§§ 10 et 11 de l’arrêt).
Toutefois, ce raisonnement peut interroger. En effet, si la société a remis des données aux enquêteurs relevant d’une période extérieure à celle concernée par la réquisition, il n’en demeure pas moins qu’elle a remis ces données au cours de la réquisition menée par les enquêteurs. Le caractère volontaire de cette remise de données est manifestement atténué dans le cadre d’une réquisition menée par des enquêteurs.
Les actes d’enquête opérés sans habilitation mentionnée dans les PV de procédure
La chambre de l’instruction a considéré non fondé le moyen de nullité tendant à voir prononcer l’irrégularité des consultations du TAJ et du logiciel ATRT. En effet, elle a tout d’abord considéré que l’attestation du commandant de la section de recherche certifiant que l’intéressé bénéficiait d’une habilitation suffisait à constituer l’habilitation nécessaire à l’accès au TAJ et au logiciel, et que cette attestation suffisait à permettre la transmission des données aux enquêteurs.
Or, selon le prévenu, cette attestation ne suffisait pas aux enquêteurs pour accéder aux informations puisqu’ils auraient dû fournir un acte portant habilitation et comportant les précisions nécessaires quant aux données concernées. Ici, les juges ont constaté l’absence d’habilitation des agents, énonçant que « ni les procès-verbaux de consultation du TAJ effectuée (…), ni les procès-verbaux d’utilisation du logiciel précité, (…) ne portent mention » des habilitations (§ 25).
Pourtant, la Cour de cassation a choisi de statuer dans le sens de la chambre de l’instruction. En effet, la Cour précise que l’absence de mention en procédure de l’habilitation n’emporte pas, par elle-même, la nullité de la procédure (§ 19). La réalité de l’habilitation doit donc être contrôlée par le juge, ce dernier pouvant ordonner un supplément d’information. De plus, la Cour affirme ici que la seule mention en procédure de l’existence de l’habilitation suffit à en établir la preuve (§ 21). Autrement dit, la Haute juridiction considère que la mention, au sein d’un procès-verbal de la procédure, de l’existence de l’habilitation est de nature suffisante à démontrer que l’enquêteur était bien habilité à effectuer les actes.
L’habilitation des gendarmes à la consultation du TAJ et de l’ATRT, mines d’or d’informations
Le prévenu rappelle que l’acte d’habilitation ne peut être délivré que par un des agents mentionnés par le code de procédure pénale, dont ne fait pas partie le commandant de la section de recherche ayant habilité le militaire en l’espèce.
Or, la Cour se fonde ici sur l’article R. 40-28 du code de procédure pénale, disposant que les gendarmes individuellement désignés et spécialement habilités ont accès à la totalité des données enregistrées dans le fichier TAJ (§ 24). Cet article prévoit en effet cet accès total, après habilitation spéciale donnée, entre autres, par « les commandants de groupement, (…) soit par les commandants de région, soit par les commandants des gendarmeries spécialisées » (C. pr. pén., art. R. 40-28, I, 2°).
L’accès des enquêteurs au fichier TAJ est crucial pour établir la commission d’infractions. En effet, les gendarmes peuvent exploiter le TAJ afin de faciliter la constatation d’infractions, de rassembler des preuves de ces infractions et rechercher leurs auteurs (C. pr. pén., art. 230-6 et R. 40-23).
Quant au logiciel ATRT, il « permet l’exploitation automatisée de relevés bancaires et de documents téléphoniques (…) obtenus sur réquisitions judiciaires » (CNIL, avis, 15 déc. 2011, n° 2011-418). En l’espèce, la Cour de cassation cite une décision du Conseil constitutionnel affirmant que les données consultées dans ce logiciel découlent uniquement de la procédure en cours (§ 24). En l’occurrence, déjà en 2011, la CNIL avait également observé qu’un tel logiciel de rapprochement de données est mobilisé « pour les seuls besoins d’une enquête déterminée », n’ayant pas pour objet de conserver les informations enregistrées (CNIL, avis préc.).
De plus, les gendarmes sont habilités, « pour les seuls besoins des enquêtes dont ils sont saisis », à consulter les logiciels de rapprochement judiciaire, par « les commandants de groupement, (…) soit par les commandants de région, soit par les commandants des gendarmeries spécialisées » (C. pr. pén., art. 230-25 et R. 40-39).
La Cour de cassation en déduit que la production d’une habilitation précisant la nature des données auxquelles elle autorise l’accès est « sans pertinence s’agissant tant du TAJ que du logiciel ATRT » (§ 23). Elle confirme l’argument de la cour d’appel selon lequel, sur complément d’information, le commandant de la section de recherche a attesté que les deux enquêteurs étaient habilités à procéder aux actes, cet élément suffisant à établir leur habilitation, cette dernière n’ayant pas à être produite en version originale (§§ 25 et 26).
Crim. 3 avr. 2024, F-B, n° 23-85.513
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