Résolution d’une vente à charge de rente viagère : les prévisions des parties ne peuvent être méconnues

La résolution d’un contrat de vente à charge de rente viagère opère rétroactivement tout en laissant subsister la clause prévoyant expressément ce qui demeurerait acquis au vendeur, de sorte que le juge ne peut fixer la créance due par l’acquéreur au-delà, sans préciser qu’il laisse les sommes à titre de dommages-intérêts.

Les rédacteurs du code civil voyaient dans l’article 1978 de ce code, qui exclut la résolution pour inexécution de l’obligation de paiement de la rente viagère, une protection du crédirentier (v. le discours du tribun Duveyrier, in P.-A Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du code civil, t. XIV, 1827, spéc. p. 564). Depuis plusieurs années, cet article 1978 n’est pas analysé de la même manière. Bien au contraire, la clause résolutoire est devenue « de style » dans les contrats de vente à charge de rente viagère (sur la licéité de la clause, v. not., Civ. 1re, 10 oct. 1995, n° 94-10.649).

Découlent de sa mise en œuvre un anéantissement rétroactif du contrat (comp., C. civ., art. 1229 issu de l’ord. du 10 févr. 2016), des restitutions mais aussi, parfois un « préjudice de résolution » (v. T. Genicon, La résolution du contrat pour inexécution, LGDJ, 2007, n°s 1029 s.).

Le plus souvent, les parties ont adjoint à la clause résolutoire, une clause pénale.

Dans cette hypothèse, les juges ne peuvent occulter les prévisions des parties. C’est ce que vient rappeler la Haute juridiction dans l’arrêt sous étude.

Dans cette affaire, une vente en viager libre est conclue en 1992. La rente n’étant pas payée régulièrement, les parties ont convenu, vingt ans plus tard, qu’en cas de vente du bien par les débirentiers, les crédirentiers renonceraient à la rente en contrepartie d’une somme déterminée. Trois ans plus tard, le bien n’étant pas vendu et la rente ayant cessé d’être réglée, les vendeurs assignent l’acquéreur en résolution de la vente, en expulsion et en paiement des arrérages impayés.

La cour d’appel prononce la résolution de la vente, ordonne la restitution de l’immeuble au vendeur et condamne l’acquéreur au paiement d’une somme correspondant aux arrérages non versés ainsi qu’à une indemnité d’occupation pour la période courant de l’acquisition de la clause résolutoire à la remise des clés.

L’acquéreur se pourvoit en cassation. Il reproche aux juges du fond d’une part de ne pas avoir ordonné la restitution du bouquet et, d’autre part, de l’avoir condamné à verser les arrérages échus et impayés alors que la clause résolutoire prévoyait que le crédirentier ne conserverait que les arrérages versés ainsi que les embellissements et améliorations apportés au bien.

La Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel pour violation des articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Après avoir rappelé la teneur de ces dispositions, elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir ordonné la restitution du bouquet et d’avoir inclus dans la créance due par l’acquéreur les arrérages échus et impayés au jour de la résolution, sans préciser que ces sommes étaient laissées au vendeur à titre de dommages-intérêts.

La Haute juridiction rappelle d’une part que la résolution emporte l’anéantissement rétroactif du contrat et des restitutions qui en constituent des conséquences légales et, d’autre part, que lorsque les parties ont envisagé les conséquences de l’inexécution de l’obligation emportant la résolution du contrat, le juge ne peut pas occulter leurs prévisions.

Des restitutions réciproques : conséquences légales de la résolution

En l’espèce, les vendeurs contestaient la recevabilité du moyen de l’acquéreur tendant d’une part à contester l’absence de restitution du bouquet et d’autre part, à s’opposer au paiement des arrérages échus et impayés, au motif qu’il était nouveau. Sans surprise, la haute juridiction affirme que le moyen est recevable. Elle rappelle que « la restitution de la chose et du prix [constitue] une conséquence légale de la résolution ». L’effet extinctif de la résolution engendrant « par la seule autorité de la loi un droit à restitution au profit de qui a accompli une prestation » (Y.-M. Serinet, L’office du juge, la résolution et les restitutions, obs. ss. Civ. 3e, 29 janv. 2003, JCP 2003. II. 10116), le moyen de l’acquéreur n’impliquait « aucun fait qui ne soit constaté par la décision attaquée » (J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz Action, n° 82.211), de sorte qu’il s’agissait d’un moyen de pur droit.

Le moyen est non seulement recevable, mais il a également emporté la conviction de la Cour régulatrice.

En effet, le contrat de vente à charge de rente viagère est un contrat à exécution instantanée, la rente étant stipulée comme mode de paiement du prix. Par conséquent, la résolution du contrat emporte la destruction des effets juridiques nés du contrat : le contrat a existé, il n’est plus. Afin d’effacer l’exécution du contrat résolu, il faut procéder à un « contrat synallagmatique renversé » (v. J. Carbonnier, Droit civil, vol. II, Les biens. Les obligations, PUF, coll. « Quadrige », 2004, n° 1022).

Au cas particulier, si les juges du fond ont bien prononcé la restitution de l’immeuble, objet de la vente, au profit du vendeur, ils n’ont fait peser sur ce dernier aucune obligation de restitution au profit de l’acquéreur. Bien au contraire, ils ont condamné celui-ci à verser les arrérages échus et impayés au vendeur.

Certes les restitutions peuvent laisser subsister un « préjudice de résolution » impliquant l’octroi de dommages-intérêts au contractant non fautif, mais il faut alors, si comme en l’espèce les parties ont prévu ce qui pourrait être conservé par le vendeur à titre de réparation, que les juges du fond indiquent que les sommes laissées le sont à titre de dommages et intérêts, qu’ils expliquent avoir été au-delà des prévisions des parties.

Or, ces derniers n’ont pas, en l’espèce, expliqué avoir laissé le bouquet et les arrérages échus et impayés à titre de dommages-intérêts, de sorte que la Cour de cassation ne pouvait que leur reprocher d’avoir méconnu le principe de la force obligatoire du contrat.

L’indemnisation du vendeur : le respect de la force obligatoire du contrat

Couramment, dans les contrats de vente à charge de rente viagère, une clause pénale est adjointe à la clause résolutoire. Cette dernière prévoit, qu’en cas de résolution, le crédirentier conservera, à titre de réparation, le bouquet et/ou les arrérages échus et/ou les embellissements et améliorations apportées au bien.

En l’espèce, les parties avaient stipulé que « les arrérages versés et les embellissements » resteraient à la charge de l’acquéreur « à la suite d’un commandement visant » la clause résolutoire attachée au paiement de la rente.

Cette stipulation peut assurément s’analyser en une clause pénale (comp., Civ. 1re, 9 févr. 1983, n° 82-10.524) : les parties ont déterminé « forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution » de l’obligation du débirentier (Civ. 1re, 10 oct. 1995, n° 93-16.869, D. 1996. 486 , note B. Fillion-Dufouleur  ; ibid. 116, obs. P. Delebecque ).

La résolution du contrat laisse « survivre » la clause pénale (en ce sens, v. Civ. 3e, 6 janv. 1993, n° 89-16.011 ; 15 févr. 2005, n° 04-11.223). En effet, la résolution, contrairement à la nullité, implique un manquement contractuel, de sorte que l’existence d’un contrat ne peut être niée (v. T. Genicon, obs. ss. Com. 5 oct. 2010, RDC 2011. 431). La nature de la résolution justifie que les clauses relatives aux conséquences de la résolution, comme aux règlements des différends survivent.

La clause pénale demeurant, elle ne peut, au nom de la force obligatoire du contrat, être occultée par les juges du fond lorsqu’ils se prononcent sur les conséquences de la résolution. Certes, comme la Cour de cassation l’a précisé, une cour d’appel ne peut pas se borner à appliquer strictement une clause pénale « au seul motif qu’elle était la conséquence d’obligations librement contractées quelque rigoureuses qu’en soient les conséquences » (Civ. 1re, 9 févr. 1983, préc.), mais si le juge peut réviser une clause pénale lorsque celle-ci lui apparaît manifestement excessive ou dérisoire, il ne peut, en revanche, pas l’ignorer complètement. Cette clause pénale doit constituer le point de départ de sa décision quant au montant de la peine : c’est parce que la peine prévue par les parties est manifestement dérisoire ou excessive que le juge peut la modifier.

Aussi, les juges du fond auraient pu, selon les termes du moyen, « compléter la réparation constituée par les arrérages déjà versés », en accroissant la peine au motif qu’elle était dérisoire.

D’ailleurs, trois motifs auraient pu conduire à considérer que la peine était dérisoire :

- premièrement, le contrat portait sur un viager libre et l’immeuble semblait être occupé par l’acquéreur puisque son expulsion avait été sollicitée auprès des juges du fond ;

- deuxièmement, la rente n’avait pas été payée avec régularité pendant quinze ans et n’avait pas du tout été payée pendant dix-huit mois ;

- troisièmement, aucune amélioration ni embellissement ne semblent avoir été réalisés.

Il reste que les juges du fond n’ont pas, comme le leur reproche la Cour de cassation, précisé avoir laissé le bouquet et les arrérages échus et impayés « à titre de dommages-intérêts ». Aussi, leur décision ne pouvait qu’être censurée.

 

© Lefebvre Dalloz