Résolution par voie de notification et caducité d’un contrat de location financière

La résolution par voie de notification est opposable à celui contre lequel est invoquée la caducité sans qu’il soit nécessaire de mettre en cause le cocontractant du contrat préalablement résolu.

La caducité au sein d’ensembles contractuels interdépendants a donné lieu, au début de l’année 2024, à un très bel arrêt par lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation a réitéré sa jurisprudence sur les locations financières s’agissant des clauses de divisibilité à l’aune du nouvel article 1186 du code civil (Com. 10 janv. 2024, n° 22-20.466 FS-B+R, Dalloz actualité, 16 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 342 , note G. Chantepie ; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 1154, chron. C. Bellino, T. Boutié et C. Lefeuvre ; ibid. 1877, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2024. 100, obs. H. Barbier ; RTD com. 2024. 147, obs. D. Legeais ). Quelques mois plus tard, c’est la première chambre civile qui a pu revenir sur l’interdépendance d’un contrat d’assurance-vie et de plusieurs prêts pour déterminer si des restitutions doivent être ordonnées en cas de caducité de ces derniers (Civ. 1re, 13 mars 2024, n° 22-21.451 FS-B, Dalloz actualité, 19 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 544 ; RTD civ. 2024. 384, obs. H. Barbier ).

Le 5 février 2025, la chambre commerciale a rendu trois nouveaux arrêts publiés au Bulletin sur cette thématique essentielle de la vie des affaires. L’objet du présent commentaire est d’analyser les deux décisions (pourvois n° 23-23.358 et n° 23-14.318) qui partagent une problématique commune autour de la résolution unilatérale.

Le troisième arrêt portant sur la caducité au sein d’ensembles contractuels interdépendants fera l’objet d’un prochain commentaire au Dalloz actualité (Com. 5 févr. 2025, n° 23-16.749, Dalloz actualité, nos obs. à paraître).

Distinguons, à titre préliminaire, les faits en fonction des deux pourvois examinés.

Dans l’affaire n° 23-23.358, la situation est régie par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ayant réformé le droit des obligations. Une société N. conclut le 2 décembre 2016 un contrat de location financière qui porte sur du matériel de bureautique avec une société L. spécialisée dans ce type d’opérations locatives. Ledit matériel est fourni par une société O. qui est également chargée de la maintenance des produits livrés. Cependant, tout ne se passe pas aussi bien que prévu puisque cette dernière prestation pose difficulté. Dans ce contexte, la société N. notifie unilatéralement la résolution du contrat de maintenance à la société O par courrier du 8 janvier 2020 sur le fondement de l’article 1226 du code civil.

Le 13 janvier suivant, la même société N. notifie ensuite la caducité du contrat de location financière à son cocontractant, la société L., qui en conteste le principe. Cette dernière estime, dès lors, que des loyers ont été impayés et assigne donc la société N. pour en obtenir le règlement. Le locataire oppose la caducité du contrat en cause conformément à sa position du 13 janvier 2020. En appel, les juges du fond décident de rejeter la caducité en estimant que la société O. – placée entre temps en liquidation judiciaire – n’avait pas été mise en cause préalablement. Le locataire se pourvoit en cassation en estimant qu’une telle position viole les articles 1186, 1224 et 1226 du code civil.

Dans l’affaire n° 23-14.318, les faits sont régis par le droit ancien en présence de conventions antérieures au 1er octobre 2016 à quelques mois près. En l’espèce, une société B. conclut en février 2016 un contrat de location avec une société G. portant sur un logiciel lequel est fourni par une troisième personne morale (la société R.). Une année plus tard, le locataire se rend compte de graves dysfonctionnements du logiciel loué. Ce dernier envoie donc deux courriers recommandés en février 2017 au fournisseur du logiciel comme au loueur afin d’obtenir la terminaison des contrats concernés, en vain. On notera que les lettres ne mentionnent pas le mécanisme déclenché puisque l’arrêt rapporte qu’il était question de solliciter la « rupture du contrat » sans précision supplémentaire (pt n° 2).

La société G. notifie au locataire la résiliation du contrat de location le 19 juillet 2017 en soulignant l’absence de paiement des loyers. Plus tard, elle l’assigne afin d’obtenir le règlement des sommes dues mais également dans l’optique de réclamer en justice la restitution du matériel loué. En cause d’appel, les juges du fond accueillent le raisonnement défendu par la société B. locataire, à savoir que la caducité de la location financière était encourue en raison de la résiliation unilatérale du contrat conclu avec le fournisseur du logiciel en février 2017. Cette fois-ci, c’est le propriétaire du matériel qui se pourvoit en cassation en estimant que la société R. n’avait pas été mise en cause et que la caducité ne pouvait pas être prononcée en pareille situation.

Les deux décisions rendues par la chambre commerciale le 5 février 2025, importantes pour la pratique, se rejoignent sur l’orientation choisie, mais également sur leur publication tant au Bulletin qu’aux sélectives Lettres de chambre.

Hésitations autour de la portée de la résolution unilatérale

Les arrêts examinés ont en commun un point essentiel concernant la modalité de résiliation du contrat de maintenance du matériel de bureautique ou de fourniture du logiciel loué. Dans ces deux affaires, le locataire avait notifié une résiliation unilatérale. Ceci résulte très clairement des faits du pourvoi n° 23-23.358 mais de manière plus indirecte de la motivation retenue au sein du pourvoi n° 23-14.318 (combinaison des pts nos 2 et 7 de la décision concernée). La question qui s’est alors posée de manière transversale concerne la place procédurale de la société qui a reçu ladite résiliation dans l’instance opposant les parties concernant la caducité de la location financière.

Deux solutions très différentes sont envisageables.

Une première conception consiste à estimer, d’une part, que la caducité du contrat de location ne peut pas être prononcée s’il n’y a pas eu de mise en cause préalable de la société dont le contrat a été résolu unilatéralement. C’est d’ailleurs ce qu’avait décidé la Cour d’appel de Lyon dans l’affaire n° 23-23.358 (Lyon, 19 oct. 2023, n° 21/09337). Un arrêt de la Cour de cassation a, en effet, précisé par le passé que « la résiliation d’un contrat ne peut être ni prononcée ni constatée par le juge en l’absence de l’un des cocontractants. (…) L’anéantissement du contrat de prestation ou de fourniture, qui ne peut donc être prononcé qu’en présence du prestataire ou du fournisseur, ou de son liquidateur, est un préalable nécessaire à la constatation, par voie de conséquence, de la caducité du contrat de location » (Com. 14 sept. 2022, n° 21-16.840, inédit, spéc. n° 12). La base Judilibre propose, à ce titre par rapprochement de jurisprudences, d’autres décisions plus anciennes ayant souligné cette même orientation pour la résiliation de manière générale (v. par ex., Com. 17 mai 2017, n° 15-14.924 : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ne résultait pas de ses constatations que l’anéantissement du contrat de fourniture, qui ne pouvait qu’être prononcé en présence du liquidateur judiciaire, l’avait été, la cour d’appel a violé le texte susvisé », nous soulignons ; Com. 4 nov. 2014, n° 13-24.270, D. 2014. 2297 ; ibid. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD civ. 2015. 127, obs. H. Barbier ; v. les références également citées par T. de Ravel d’Esclapon, in Rép. com., Location financière, n° 52, juill. 2023).

Il est également possible, d’autre part, de penser qu’une telle mise en cause est purement et simplement inutile quand la résolution est unilatérale. C’était la position de l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar frappé du pourvoi dans l’affaire n° 23-14.318 (Colmar, 11 janv. 2023, n° 21/02320). Les arguments avancés par la société demanderesse à la cassation méritent l’attention car cette dernière invoque, notamment, au sein de la deuxième branche de son moyen, la contrariété d’une telle position avec l’article 14 du code de procédure civile. Difficile toutefois de considérer un tel argument comme déterminant puisque, dans les instances en cause, il ne s’agit pas de juger de la pertinence de la résolution préalable mais de la seule caducité qui en est la conséquence. Ceci montre, au moins, l’enracinement de la question mêlant droit des obligations et procédure civile.

Les deux orientations ci-avant rappelées peuvent parfaitement se concevoir. L’hésitation dispose d’une portée pratique très importante car en cas de nécessité de mise en cause du cocontractant du contrat résolu unilatéralement, la rigidité procédurale qui en résulterait serait un facteur de diminution de l’intérêt de ce mode de terminaison du contrat.

C’est ce que nous allons examiner maintenant.

De l’inutilité de la mise en cause du cocontractant du contrat résolu unilatéralement

C’est le second système envisagé précédemment qui emporte l’adhésion de la chambre commerciale dans les deux arrêts du 5 février 2025, à juste titre selon nous. Grâce à une motivation enrichie de la décision de cassation, on peut lire que « la résolution par voie de notification est opposable à celui contre lequel est invoquée la caducité d’un contrat, par voie de conséquence de l’anéantissement préalable du contrat interdépendant, sans qu’il soit nécessaire de mettre en cause le cocontractant du contrat préalablement résolu » (pt n° 9 de l’affaire n° 23-23.358, nous soulignons). On notera volontiers cette opposabilité de la résolution unilatérale au propriétaire des biens loués qui vient asseoir toute l’efficacité du mécanisme de l’article 1226 du code civil. En miroir, le rejet du pourvoi n° 23-14.318 est motivé plus simplement mais dans des termes similaires.

Est-ce dire qu’il s’agit d’un revirement de jurisprudence ? Répondre par la positive paraît précipité pour l’affaire n° 23-23.358 laquelle tranche des faits soumis au droit issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Pour l’heure, aucune décision n’avait pu se pencher aussi précisément sur l’interrogation en droit nouveau. L’article 1226 du code civil permet de « garantir la célérité nécessaire à la bonne marche des affaires » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, Précis, 13e éd., Dalloz, 2022 p. 901, n° 804). Une telle dispense de la mise en cause du cocontractant du contrat résolu unilatéralement concourt à cette efficacité en renforçant la dimension de simple faculté de la résolution judiciaire (sur cette faculté, G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 713, n° 653).

Certains auteurs pourront donc, peut-être, estimer que la solution s’inscrit dans le sillage du nouvel article 1226 du code civil. Cependant, une telle limitation ainsi suggérée au droit issu de la réforme de 2016 trouverait des limites évidentes avec le pourvoi n° 23-14.318 qui concerne le droit ancien. Or, comme nous l’avons déjà précisé plus haut, la solution dessinée au sein de ce second arrêt est rédigée en miroir quoique de manière plus lapidaire, décision de rejet oblige. Il faut, par conséquent, probablement acter avec ces deux arrêts du 5 février 2025 une orientation inédite rompant avec une partie de la jurisprudence précédemment rappelée que ce soit en droit nouveau comme en droit ancien. Tout du moins, s’agit-il d’une précision essentielle concernant la seule résolution par voie de notification.

Le but commun de ces solutions publiées tant au Bulletin qu’aux Lettres de chambre reste de conférer à la résolution unilatérale ses pleins effets. Les arrêts permettent d’éviter, assez opportunément, d’exiger l’intégration systématique à la cause de celui qui a subi la résolution unilatérale dans une instance ne le concernant pas. En ce sens, la jurisprudence dessinée respecte l’économie du mécanisme qui consiste à se dispenser d’une résolution judiciaire en pareille situation. L’orientation opposée qui consisterait à toujours intégrer ce tiers à la location financière viendrait nécessairement diminuer l’intérêt de recourir à une résolution unilatérale et conduirait in fine à questionner une partie de l’utilité de cette notion en droit positif.

Il faut, en effet, rappeler que la résolution par voie de notification s’opère toujours aux risques et périls de celui qui la met en jeu (v. sur ce point, J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil – Les obligations, tome 1 : l’acte juridique, 18e éd., Sirey, 2024, p. 1160, n° 914). En d’autres termes, la mise en cause systématique dans l’instance en caducité du cocontractant du contrat ayant fait l’objet de la résolution unilatérale conduirait, peu ou prou, à préférer systématiquement la résolution judiciaire. On aboutirait alors à une instance unique qui consisterait à ce que le juge prononce, d’une part, la résolution puis applique, d’autre part, la caducité du second contrat le cas échéant. Les arrêts du 5 février 2025 permettent, en somme, de préserver toute l’efficacité de la résolution unilatérale, et c’est heureux.

Commence ainsi à se former une fresque de plus en plus complète de la résolution par voie de notification de l’article 1226 du code civil, notamment quand on se rappelle l’incidence de l’exception dite de vaine mise en demeure s’agissant de la mise en jeu de cette disposition (Com. 18 oct. 2023, n° 20-21.579 FP-B+R, Dalloz actualité, 23 oct. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2169 , note S. Tisseyre ; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2023. 882, obs. H. Barbier ) ou de la charge de la preuve en la matière (Com. 22 nov. 2023, n° 22-16.514 F-B, Dalloz actualité, 1er déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2084 ; ibid. 2024. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; RTD civ. 2024. 103, obs. H. Barbier ; ibid. 182, obs. J. Klein ). Les décisions étudiées aujourd’hui poursuivent utilement l’impératif d’interprétation de ce mécanisme très important en pratique.

 

Com. 5 févr. 2025, FS-B, n° 23-23.358

Com. 5 févr. 2025, FS-B, n° 23-14.318

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