Résolution par voie de notification : pas de nécessité de mise en demeure si celle-ci est vaine !

Dans un arrêt important rendu le 18 octobre 2023 et destiné au Rapport annuel de la Cour de cassation, la chambre commerciale précise que lorsqu’une partie souhaite résoudre le contrat par voie de notification, la mise en demeure n’a pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine.

Ces derniers mois, plusieurs décisions importantes ont été rendues par les différentes chambres de la Cour de cassation en droit des contrats. On pense notamment à l’une des premières solutions publiées au Bulletin sur la fixation unilatérale du prix dans le cadre de l’article 1165 du code civil (Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 FS-B, Dalloz actualité, 27 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1783 , note T. Gérard ), à des rappels utiles sur l’articulation entre droit commun et droit spécial en matière de révocation du mandat (Com. 4 oct. 2023, n° 22-15.781 F-B, Dalloz actualité, 11 oct. 2023, obs. C. Hélaine) ou encore à la prise en compte des usages dans la sphère contractuelle (Com. 4 oct. 2023, n° 22-15.685 F-B, Dalloz actualité, 10 oct. 2023, obs. C. Hélaine).

L’arrêt rendu le 18 octobre 2023 reste dans cette même veine assurément. La seule différence réside dans sa publication maximale puisque la décision est promise au très sélectif Rapport annuel de la Cour de cassation. Il permet de s’intéresser à une thématique essentielle de la vie des affaires, à savoir la résolution du contrat, laquelle avait déjà été sous le feu des projecteurs l’hiver dernier en matière de déconnexion de la faute et de la résolution dans un arrêt remarqué (Com. 18 janv. 2023, n° 21-16.812 F-B, Dalloz actualité, 24 janv. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 587 , note M. Garnier-Zaffagnini  ; RTD civ. 2023. 99, obs. H. Barbier ).

Cette fois-ci, il est question de la résolution par voie de notification qui signe, par sa consécration légale, une percée dans l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 d’une certaine forme d’unilatéralisme (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 604, n° 653 ; v. égal., le récent colloque qui s’est tenu le 19 oct. 2023 à la Cour de cassation sur le renouveau de la force obligatoire du contrat et notamment le rapport de synthèse de M. Pascal Ancel).

Les faits de l’affaire que nous commentons aujourd’hui débutent autour de deux sociétés qui ont conclu un contrat ayant pour objet une prestation de maintenance sur une scie, outil particulièrement important pour l’une des parties dont l’activité est la taille et le façonnage du marbre et du calcaire. En décembre 2016, cette société accepte un devis sur la maintenance de ladite scie. Mais malgré les interventions postérieures en exécution de ce contrat, la société propriétaire s’estime insatisfaite des réparations ou des réglages effectués. Le 22 mars 2017, la société opérant la maintenance de l’appareil indique qu’en raison du comportement du dirigeant de la société cocontractante, elle souhaitait résilier unilatéralement le contrat. Elle se plaint, en effet, d’une attitude déplacée ayant conduit à des propos inappropriés notamment. Voici qu’un contentieux se noue autour d’un problème bien précis : la société propriétaire de la scie estime qu’elle aurait dû être mise en demeure avant de se voir notifiée la décision de mettre fin au contrat.

La cour d’appel saisie décide toutefois qu’en raison de l’attitude « inacceptable » du dirigeant, la société de maintenance n’était pas en mesure de poursuivre son intervention. Elle pouvait donc se dispenser de la mise en demeure selon les juges du fond. La société propriétaire de la scie est condamnée à payer les différentes factures en appel.

Celle-ci se pourvoit en cassation estimant qu’une mise en demeure aurait dû être respectée en pareille situation pour demander de mettre un terme aux manquements constatés.

La chambre commerciale rejette le pourvoi dans un arrêt apportant une précision importante pour le nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, à savoir que la mise en demeure de l’article 1226 du code civil « n’a cependant pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine » (arrêt, pt 7).

Les raisons de l’hésitation

Le principe est connu désormais avec cette nouvelle figure qu’est la résolution par voie de notification issue d’une certaine inspiration de la jurisprudence antérieure et notamment de son fameux arrêt Tocqueville (Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 P, D. 1999. 197 , note C. Jamin  ; ibid. 115, obs. P. Delebecque  ; RDSS 2000. 378, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux  ; RTD civ. 1999. 394, obs. J. Mestre  ; ibid. 506, obs. J. Raynard ).

Le créancier peut notifier la résolution du contrat à son partenaire économique s’il respecte une mise en demeure sur le fondement de l’article 1226 du code civil. Le texte ne prévoit qu’une possibilité pour se défaire de ladite mise en demeure, à savoir l’urgence de la situation. Il est vrai, par conséquent, que la disposition légale n’envisage pas le cas précis où la mise en demeure serait seulement inutile. Le raisonnement de la société ayant opposé la résolution était fondé sur le comportement du dirigeant de la société cocontractante qui, selon les faits rapportés, aurait eu des « propos insultants et méprisants à l’égard de l’un des collaborateurs de la société (chargée de la maintenance) » (arrêt, pt 8, reprenant la décision frappée du pourvoi, nous soulignons).

On pouvait donc, dans ce contexte, comprendre que la situation pouvait être difficile pour la société opérant la maintenance dont les collaborateurs pouvaient avoir du mal à réaliser les prestations dans ce contexte… Tout ceci valait-il bien, toutefois, de se dispenser de la condition de la mise en demeure de cesser de tels agissements ?

Le texte ne prévoyant pas ce cas précis, la chambre commerciale décide d’interpréter la disposition dans le sens cité précédemment. Mais pour ce faire, elle disposait de deux constructions intellectuelles possibles. La première consistait tout simplement à rattacher à l’urgence prévue par le texte la situation d’espèce. La seconde, plus générale, invitait simplement à aller au-delà et à étirer le tissu textuel en rajoutant un cas de dispense de la mise en demeure. C’est probablement le choix opéré par l’arrêt du 18 octobre 2023 qui semble voir dans le caractère vain de la mise en demeure une nouvelle possibilité de se dispenser de celle-ci. Certains auteurs pourront probablement y voir un cas rattachable, d’une façon ou d’une autre, à l’urgence de la situation. Mais un tel raisonnement a peut-être rapidement des limites car le caractère vain n’implique pas nécessairement l’urgence. Il existe souvent une intersection entre ces concepts mais des cas de disjonction entre urgence et caractère vain existent. D’où certainement cette rédaction du point n° 7 plus générale qu’à l’accoutumée.

Pour aboutir à sa solution, la chambre commerciale utilise un double fondement textuel peu critiquable à savoir les articles 1224 et 1226 du code civil dont la premier est une annonce de plan et le second l’assise légale de la résolution par voie de notification. Peut-être aurait-on pu se dispenser du premier mais celui-ci a le mérite important de rappeler que dans le cadre d’une résolution par notification, l’inexécution doit être suffisamment grave. Notons l’usage du présent de l’indicatif pour dire que la mise en demeure « est » vaine et non « serait » vaine, ce qui dénote probablement l’idéologie sous-tendant la solution elle-même comme nous allons le voir.

Une solution dans le sens de l’objectif poursuivi par la résolution par voie de notification

Comme le rappellent certains auteurs, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a tenu à être « soucieu(se) de garantir la célérité nécessaire à la bonne marche des affaires sans sacrifier les intérêts légitimes du débiteur » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022,  p. 902 et 903, n° 804). L’arrêt du 18 octobre 2023 poursuit certainement cet objectif puisque sa solution peut fluidifier assez grandement la terminaison du contrat et donc le renouvellement des partenaires contractuels en cas de difficultés importantes.

La difficulté réside, à notre sens, sur les conséquences que pourraient avoir une telle solution. Faut-il s’attendre à voir des résolutions par voie de notification en cascade en avançant, peut-être parfois un peu trop rapidement, que la mise en demeure est vaine ? La chambre commerciale a probablement pesé la question assez lourdement au moment de son délibéré… Il faut certainement relativiser un peu cette crainte au demeurant légitime.

Le caractère vain de la mise en demeure ne couvre en réalité que des situations extrêmes. Et il faut bien le rappeler, la résolution par voie de notification nécessite, au préalable, une « inexécution suffisamment grave » selon la lettre de l’article 1226 du code civil. Nous l’aurons compris, il faut une intersection entre une inexécution de cette intensité et un comportement rendant la mise en demeure « vaine ».

C’est une situation qui devrait être en tout état de cause assez rare. Les faits de l’espèce en donnent évidemment une bonne illustration avec ce dirigeant de société ayant, selon les faits rapportés par l’arrêt d’appel, tenu des propos discutables ou imposés des dates d’intervention qui n’ont pas été convenues.

Lorsque le juge sera saisi d’une telle difficulté et que l’une des parties avancera le caractère vain de la mise en demeure, la motivation employée devrait faire l’objet d’une surveillance particulière. L’arrêt d’appel de la situation d’espèce permet, là-encore, de noter les mots utilisés comme la référence à un « contexte d’extrême pression et de rupture relationnelle ». Ces mots, très bien choisis par la Cour d’appel de Poitiers, permettent de bien comprendre le caractère exceptionnel de cette levée de la mise en demeure. Loin de constituer la règle, elle n’est qu’une exception qui devra être interprétée strictement.

Nous l’aurons compris, l’arrêt du 18 octobre 2023 a toutes les allures d’un grand arrêt. Il fera date car, même s’il va au-delà du texte, il permet de lui donner toute sa force utile pour fluidifier les relations économiques. Sa solution invitera toutefois à la prudence car d’une manière ou d’une autre, il implique une liberté que ne prévoit pas nécessairement l’article 1226 du code civil lui-même.

 

© Lefebvre Dalloz