Responsabilité de l’État en cas d’usage d’une arme par les forces de l’ordre

Le Conseil d’État réaffirme les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État du fait de l’usage d’armes par les forces de l’ordre pendant une manifestation.

Cette affaire a donné l’occasion au Conseil d’État d’actualiser ses jurisprudences Tomaso Grecco (CE 10 févr. 1905, n° 10365, Lebon 13 ) et Consorts Lecomte (CE, ass., 24 juin 1949, n° 87335, Lebon ) sur les conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait des activités de police.

Il réaffirme tout d’abord que l’utilisation par les forces de l’ordre d’une arme présentant un danger exceptionnel est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration pour faute simple, en cas de dommage causé aux personnes visées par une opération de maintien de l’ordre (CE 28 juill. 1951, n° 98323).

M. A. recherchait l’engagement de la responsabilité de l’État en réparation des dommages subis à la suite d’une blessure à l’abdomen qu’il impute à un tir de grenade lacrymogène de type MP7 à l’occasion d’une manifestation à laquelle il soutient avoir assisté en qualité de tiers, pour prendre des photographies en amateur, le samedi 12 janvier 2019 à Paris, dans le cadre du mouvement dit des « gilets jaunes ». Le Conseil d’État est saisi du recours de M. A. contre le jugement du Tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande.

Usage d’une arme par les forces de l’ordre

Pour apprécier si une arme présente un danger exceptionnel tel que son utilisation serait susceptible d’engager la responsabilité de l’administration pour faute simple, en cas de dommage causé aux personnes visées par une opération de maintien de l’ordre, et sans faute, à l’égard des personnes tierces à cette opération, le juge administratif prend en compte le danger présenté par l’usage normal de l’arme en cause. L’article D. 211-17 du code de la sécurité intérieure précise que les grenades lacrymogènes instantanées, dont fait partie la grenade MP7, ainsi que son lanceur, constituent des armes de catégorie A2, qui sont susceptibles d’être utilisées par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public.

Le Conseil d’État estime que le tribunal administratif a « implicitement mais nécessairement jugé qu’une grenade lacrymogène de type MP7, qui constitue une munition de rétablissement de l’ordre dite "de force intermédiaire" destinée à émettre un nuage lacrymogène important, persistant et dense, même tirée à l’aide d’un lanceur, ne constituait pas une arme présentant un tel danger exceptionnel tel que son utilisation serait susceptible d’engager la responsabilité de l’administration pour faute simple, en cas de dommage causé aux personnes visées par une opération de maintien de l’ordre, et sans faute, à l’égard des personnes tierces à cette opération ». En statuant ainsi, le tribunal administratif a, eu égard aux éléments qui lui étaient soumis quant au danger présenté par l’usage normal de l’arme en cause, exactement qualifié les faits de l’espèce. Il n’a donc en tout état de cause commis aucune erreur de droit en ne soulevant pas d’office la responsabilité sans faute de l’État.

Conduite d’une opération de rétablissement de l’ordre public

Cet arrêt est l’occasion de réaffirmer que la responsabilité de l’État en raison d’une opération de maintien de l’ordre ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde, illustrant que celle-ci n’a pas disparu en matière d’activités matérielles de police. En l’espèce, le requérant soutenait avoir assisté en qualité de tiers pour prendre des photographies en amateur, à une manifestation dans le cadre du mouvement dit des « gilets jaunes ». Le Conseil d’État relève que les forces de l’ordre ont fait face à des tirs de projectiles incessants, qu’ils ont procédé aux sommations règlementaires avant d’utiliser à plusieurs reprises le lanceur d’eau et les gaz lacrymogènes pour tenter de rétablir l’ordre et dissiper l’attroupement. Il ne résulte pas de l’instruction que les forces de l’ordre aient fait un « usage irrégulier et disproportionné de cette arme, eu égard à la nécessité de rétablir l’ordre ainsi qu’à la violence et à la complexité du contexte ». Le requérant n’apporte aucun élément de nature à démontrer qu’il aurait fait l’objet d’un tir tendu, non conforme aux conditions d’emploi de l’arme en maintien de l’ordre. Il en résulte que les forces de police ne pouvaient être regardées comme ayant commis une faute lourde dans l’opération de rétablissement de l’ordre.

L’imprudence, cause exonératoire de responsabilité de l’État

Enfin, le Conseil d’État précise que la responsabilité civile de l’État en réparation des dommages résultant des attroupements et rassemblements mentionnée à l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure « s’étend à la réparation des dégâts et dommages provoqués par l’intervention des forces de l’ordre contre les membres d’attroupements ou rassemblements ». En l’espèce, le requérant s’est volontairement maintenu à proximité immédiate d’affrontements violents qui duraient depuis plusieurs heures, aux seules fins de prendre des photographies d’amateur pour son intérêt personnel, alors que des consignes réitérées de dispersion avaient été données aux manifestants. Dans ces conditions, « alors que les forces de l’ordre n’avaient fait usage des grenades lacrymogènes qu’après avoir procédé aux sommations règlementaires, et quand bien même il se serait installé près de professionnels de la presse, il avait commis une imprudence de nature, dans les circonstances de l’espèce, à exonérer l’État de sa responsabilité ».

 

CE 31 mai 2024, n° 468316

© Lefebvre Dalloz