Responsabilité des parties au contrat à l’égard des tiers et clauses limitatives de responsabilité
Dans le sillage des arrêts d’assemblée plénière Boot shop Myr’Ho de 2006 puis Bois Rouge de 2020, la chambre commerciale opère un tournant dans le cadre de cette jurisprudence. Elle décide que lorsque le tiers invoque un manquement contractuel lui causant un dommage sur le fondement délictuel, celui-ci peut se voir opposer les clauses limitatives de responsabilité prévues entre les parties.
 
                            Le 3 juillet 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un très important arrêt promis aux honneurs d’une publication au Bulletin mais également aux sélectives Lettres de chambre et ce dans le contexte de la lignée jurisprudentielle initiée par la décision Boot shop Myr’Ho (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister  , note G. Viney
, note G. Viney  ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès
 ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès  ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain
 ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain  ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson
 ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson  ; AJDI 2007. 295
 ; AJDI 2007. 295  , obs. N. Damas
, obs. N. Damas  ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud
 ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud  ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier
 ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier  ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages
 ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages  ; ibid. 123, obs. P. Jourdain
 ; ibid. 123, obs. P. Jourdain  ; Y. Lequette, F. Terré, H. Capitant et F. Chénedé, Les grands arrêts de la jurisprudence civile. Tome 2. Obligations, contrats spéciaux, sûretés, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2015, p. 228 s., n° 177). En 2020, l’assemblée plénière avait complété cette fresque par un deuxième arrêt que l’on a pu surnommer « Bois Rouge » en raison de la partie commune du nom des parties concernées (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 416, et les obs.
 ; Y. Lequette, F. Terré, H. Capitant et F. Chénedé, Les grands arrêts de la jurisprudence civile. Tome 2. Obligations, contrats spéciaux, sûretés, Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2015, p. 228 s., n° 177). En 2020, l’assemblée plénière avait complété cette fresque par un deuxième arrêt que l’on a pu surnommer « Bois Rouge » en raison de la partie commune du nom des parties concernées (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 416, et les obs.  , note J.-S. Borghetti
, note J.-S. Borghetti  ; ibid. 353, obs. M. Mekki
 ; ibid. 353, obs. M. Mekki  ; ibid. 394, point de vue M. Bacache
 ; ibid. 394, point de vue M. Bacache  ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
 ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki
 ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; AJ contrat 2020. 80
 ; AJ contrat 2020. 80  , obs. M. Latina
, obs. M. Latina  ; RFDA 2020. 443, note J. Bousquet
 ; RFDA 2020. 443, note J. Bousquet  ; Rev. crit. DIP 2020. 711, étude D. Sindres
 ; Rev. crit. DIP 2020. 711, étude D. Sindres  ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier  ; ibid. 395, obs. P. Jourdain
 ; ibid. 395, obs. P. Jourdain  ).
).
Cette décision aurait, probablement, pu être l’occasion d’un nouvel arrêt d’assemblée plénière ou, du moins, d’une décision de chambre mixte eu égard aux difficultés qu’elle cristallise en pratique. N’ayons pas peur de l’écrire : il y aura un avant et un après l’arrêt Clamageran, du nom de la partie demanderesse au pourvoi.
Commençons par reprendre les faits à l’origine de l’affaire. Ces derniers puisent leur source dans un contentieux lié au transport de marchandises coûteuses et, plus précisément, concernant leur déchargement. Deux sociétés décident de conclure, en novembre 2014, un contrat portant sur la manutention et le déchargement de machines produites par l’une d’elles. Au déchargement de celles-ci, voici qu’une des machines est endommagée en raison de sa manipulation par un préposé de la société chargée de l’opération. La société produisant lesdites machines se voit indemnisée par son assureur qui, désormais subrogé dans les droits de son assuré, décide d’assigner en responsabilité contractuelle la société employant le préposé qui était chargé de décharger les produits. La défenderesse avance, pour éviter une condamnation trop coûteuse, une clause limitative de responsabilité issue des conditions générales du contrat conclu entre les deux sociétés en novembre 2014. En cause d’appel, le dossier est plaidé à une audience du 25 juin 2020. Le 10 décembre suivant, le président de la chambre à laquelle le dossier est affecté décide, en cours de délibéré, d’inviter les parties à présenter leurs observations sur la nature délictuelle et non contractuelle de l’action ainsi exercée par l’assureur. La cour décide, dans un arrêt rendu le 21 janvier 2021, de condamner la société de manutention à régler à l’assureur la somme de 100 000 €, majorée des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016. Elle refuse de faire application des clauses limitatives de responsabilité en considérant que celles-ci sont inopposables en pareille situation.
La société ainsi condamnée se pourvoit en cassation. Elle regrette la position des juges du fond en estimant que les clauses limitatives de responsabilité auraient dû être pleinement applicables en l’espèce.
L’arrêt Clamageran rendu le 3 juillet 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation s’écarte quelque peu du chemin tracé tant par la décision Boot shop Myr’Ho de 2006 que par l’arrêt Bois Rouge de 2020; une orientation qui ne manquera pas de faire couler beaucoup d’encre en doctrine.
Stabilité et hésitation d’une lignée jurisprudentielle
Sans aucune surprise, la décision étudiée est, en premier lieu, l’occasion d’un rappel (pt n° 12). Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui cause un dommage. La chambre commerciale complète cette position remarquablement stable depuis l’arrêt Boot shop Myr’Ho en précisant que la décision Bois Rouge de 2020 a pu juger que « s’il (ndlr, le tiers) établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu’il subit, il n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement » (pt n° 12). La réitération de cette solution peut paraître désormais anodine, plus de dix-sept ans après l’arrêt de 2006, mais il ne semble pas qu’une telle précision soit pour autant inutile eu égard aux difficultés soulevées par cette orientation jurisprudentielle notamment concernant la délimitation des « frontières du contrat et du délit » (Rép. civ., v° Responsabilité du fait personnel, par P. Brun, n° 53) ou encore s’agissant de l’effet relatif des contrats (ce qui peut n’être toutefois ici qu’un trompe l’œil, J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil – Les obligations, l’acte juridique, 17e éd., Sirey, coll. « Université », 2022, p. 931, n° 662, v. infra dans ce commentaire).
La doctrine a, dans ce contexte, critiqué de manière assez vive cette position en reprochant son caractère peu lisible (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 594, n° 554). Comme l’énoncent MM. Terré, Simler, Lequette et Chénedé, la solution peut sembler « trop abrupte pour être juste » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1013, n° 898). Remise en question notamment pour ses dangers (G. Viney, La responsabilité du débiteur à l’égard du tiers auquel il a causé un dommage en manquant à son obligation contractuelle, D. 2006, 2825  ), la lignée jurisprudentielle dessinée entre 2006 et 2020 n’en reste pas moins remarquablement stable en droit positif. On peut d’ailleurs croiser, de temps à autres, des décisions publiées au Bulletin qui opèrent, elles aussi, un tel rappel. Évoquons, dans ce contexte, une solution commentée dans ces colonnes il y a un tout petit peu plus de deux ans, qui avait pu préciser qu’un héritier ne peut agir sur le fondement délictuel en invoquant un manquement contractuel qu’en réparation d’un préjudice qui lui est personnel (Com. 15 juin 2022, n° 19-25.750 F-B, Dalloz actualité, 22 juin 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1150
), la lignée jurisprudentielle dessinée entre 2006 et 2020 n’en reste pas moins remarquablement stable en droit positif. On peut d’ailleurs croiser, de temps à autres, des décisions publiées au Bulletin qui opèrent, elles aussi, un tel rappel. Évoquons, dans ce contexte, une solution commentée dans ces colonnes il y a un tout petit peu plus de deux ans, qui avait pu préciser qu’un héritier ne peut agir sur le fondement délictuel en invoquant un manquement contractuel qu’en réparation d’un préjudice qui lui est personnel (Com. 15 juin 2022, n° 19-25.750 F-B, Dalloz actualité, 22 juin 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1150  ).
).
Toutefois, aucune des décisions d’assemblée plénière, en 2006 comme en 2020, n’a pu dégager une solution visant à admettre les clauses limitatives de responsabilité insérées dans le contrat sur lequel le tiers se fonde pour reprocher le manquement contractuel sur le fondement délictuel. Le problème est de taille et aurait pu mériter une nouvelle réunion d’une assemblée plénière ou, à tout le moins, d’une chambre mixte. Après l’arrêt de 2006, le fondement délictuel choisi par la Cour de cassation implique que l’on ne peut que se demander si l’utilisation de telles clauses limitatives peut avoir droit de cité. En matière de responsabilité délictuelle, ces stipulations n’ont en effet pas leur place (J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux et L. Andreu, Droit civil. Les obligations. Le fait juridique, 15e éd., 2023, p. 183, n° 113, note 2, rappelant le nombre très faible d’arrêts sur la question et citant ainsi une décision inédite mais claire sur ce point, Civ. 1re 5 juill. 2017, n° 16-13.497 ; on notera également un arrêt, Civ. 2e, 17 févr. 1955, n° 55-02.810 énonçant que « Mais attendu, d’une part, que sont nulles les clauses d’exonération ou d’atténuation de responsabilité en matière délictuelle, les articles 1382 et 1383 du code civil étant d’ordre public et leur application ne pouvant être paralysée d’avance par une convention », nous soulignons).
La société demanderesse à la cassation estime, en tout état de cause, que « les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les cocontractants » (pt n° 11 de l’arrêt étudié) sont opposables au tiers invoquant l’inexécution de l’obligation contractuelle sur le fondement délictuel. On devine alors le schéma souhaité, à savoir la création d’une sorte de régime « distributif » où, même sur le fondement délictuel, la portée et la force des clauses limitatives de responsabilité viendraient s’appliquer. Le contrat et le délit s’entrecroiseraient alors d’une manière assez originale dans cette conception.
La réponse donnée dans l’arrêt du 3 juillet 2024 implique une évolution majeure sujette à une certaine prudence dans l’attente d’une décision commune à toutes les chambres de la Cour de cassation.
De l’opposabilité aux tiers des clauses limitatives de responsabilité
Nous tenterons d’examiner la solution en elle-même puis les perspectives offertes par celle-ci.
L’affirmation d’une solution nouvelle
Eu égard à l’importance de la décision, il n’est pas inutile – loin s’en faut – d’en revenir aux mots choisis par la chambre commerciale. Celle-ci précise sa position en ces termes : « Pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s’est engagé en considération de l’économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants » (pt n° 13).
L’affirmation est remarquable et ne manquera pas d’engendrer une passionnante disputatio en droit des obligations ces prochains mois entre l’orée de l’été et la rentrée universitaire. Nous sommes assurément devant une très belle décision qui aurait certainement mérité une rédaction un peu plus riche pour en solidifier l’assise. En l’état, la motivation employée semble « semi-enrichie » avec un rappel citant la lignée déjà connue (pt n° 12) puis un paragraphe, finalement assez sobre et ramassé, ne venant pas faire apparaître de manière parfaitement claire la justification pleine et entière du choix opéré (pt n° 13). Cette rédaction à mi-chemin entre la motivation simplement « développée » et celle « enrichie » signe toute l’ambivalence de l’arrêt qui, sans être un revirement complet de jurisprudence, vient apporter un tournant important (peut-être décisif ?) à cette fresque jurisprudentielle initiée en 2006.
L’arrêt du 3 juillet 2024 fait appel en premier lieu aux « prévisions du débiteur » (v. à propos de la « prévision des parties » et de la relativité de la faute contractuelle, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, op. cit., p. 1013, n° 898). La possibilité d’opposer les clauses limitatives de responsabilité permettrait, en effet, de ne pas trahir « l’économie générale du contrat ». La décision postule, en outre, que le tiers – agissant sur la voie délictuelle en invoquant le manquement contractuel – se retrouve dans une position plus avantageuse par rapport au créancier. Cette motivation peut montrer toutes les ambivalences et toutes les subtilités que la jurisprudence Boot shop Myr’Ho/Bois Rouge est venue créer. En tout état de cause, le vocabulaire utilisé présente une certaine appétence pour la sécurité juridique attendue du débiteur au lendemain de la conclusion du contrat. Le tiers ne peut plus le surprendre en évitant de telles limitations contractuelles tout en se fondant sur le manquement reproché qui a provoqué un dommage pour ledit tiers.
C’est donc la fin d’un certain paradoxe, qui n’existait pas dans le marbre de la loi et qui n’était dû qu’à la création prétorienne de 2006.
Les perspectives incertaines d’une solution heureuse
La collision entre la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle ne permet, toutefois, pas d’y voir très clair sur certains points. L’arrêt du 3 juillet 2024 permet, en pratique, de tirer toutes les conséquences qui s’imposent d’une utilisation par le tiers du manquement contractuel. Alors, certes, on pourrait objecter que ce même tiers ne connaît peut-être pas l’existence des stipulations limitatives de responsabilité. Une telle objection ne paraît pas déterminante puisque c’est ce même tiers qui choisit d’utiliser une faute contractuelle d’un contrat dans lequel il n’est, par nature, pas partie. Il doit donc prendre le risque de se voir opposer de telles clauses, au détriment d’une réparation intégrale de son préjudice. En outre, l’arrêt n’évoque que les « conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants » (pt n° 13). Il faut probablement considérer que la décision invite à laisser encore plusieurs zones d’ombres sur ce que le tiers doit subir dans son action délictuelle en termes de rayonnement du contrat. En ce sens, d’autres clauses peuvent-elles être concernées ?
Certains pourront estimer, par ailleurs, que la solution choisie ne fait que peu de cas de l’effet relatif du contrat. Le tiers se sert, en effet, à la fois du manquement contractuel – qu’il utilise en complémentarité avec le dommage qu’il subit – tout en se voyant désormais opposer le contenu contractuel, à savoir les clauses limitatives de responsabilité. Il n’existe, toutefois, pas réellement de difficulté liée à l’effet relatif du contrat puisque, comme le rappellent MM. Flour, Aubert et Savaux, « l’effet relatif interdit seulement aux parties de faire naître, par l’effet de leur seule volonté, des obligations contractuelles au profit ou à la charge des tiers » (J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, op. cit., p. 931 s., n° 662).
En pratique, l’orientation même de la solution paraît assez souhaitable dans la mesure où les clauses limitatives de responsabilité permettent aux parties de comprendre quelle est la portée exacte de leur engagement dès la conclusion du contrat. Le débiteur n’a donc plus à craindre des actions en responsabilité qui, se fondant sur le manquement contractuel pour en tirer une faute délictuelle, pouvaient venir briser ses prévisions contractuelles initiales et rendre inefficaces les clauses limitatives de responsabilité. C’est, en d’autres, termes, une petite victoire du contrat sur la nature délictuelle de cette responsabilité aussi dangereuse que chimérique.
Le projet de réforme de la responsabilité civile de 2017 avait prévu d’opérer un bris de la jurisprudence Boot shop Myr’Ho dans un nouvel article 1234 (G. Chantepie et M. Latina, op. cit., p. 594, n° 554, note 3 ; v. par ex., pour des critiques de cet art. 1234 du projet, J.-S. Borghetti, La responsabilité des contractants à l’égard des tiers dans le projet de réforme de la responsabilité civile, D. 2017. 1846  ; O. Deshayes, La nouvelle mouture de l’avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile : retour sur la responsabilité des parties à l’égard des tiers, RDC 2017/2, p. 238 s.). La réforme du droit des contrats spéciaux semble, toutefois, avoir quelque peu éclipsé la toute aussi importante rénovation de notre droit de la responsabilité civile.
 ; O. Deshayes, La nouvelle mouture de l’avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile : retour sur la responsabilité des parties à l’égard des tiers, RDC 2017/2, p. 238 s.). La réforme du droit des contrats spéciaux semble, toutefois, avoir quelque peu éclipsé la toute aussi importante rénovation de notre droit de la responsabilité civile.
L’arrêt du 3 juillet 2024 opère donc un certain tournant. Dès lors que le tiers invoque le manquement contractuel sur le fondement délictuel, il doit s’attendre à subir les clauses limitatives de responsabilité, et ce, alors même qu’il n’est pas dans la sphère contractuelle dans laquelle ces stipulations sont normalement enfermées. La motivation développée, mais tout de même assez brève utilisée dans le pt n° 13 de l’arrêt, appelle une confirmation dans des arrêts postérieurs d’autres chambres de la Cour de cassation ou, mieux encore, dans une décision d’assemblée plénière ou de chambre mixte. Une telle méthodologie aurait pour effet, d’une part, d’augmenter la motivation employée pour justifier davantage la position – probablement plutôt fondée en droit – mais surtout, d’autre part, de peut-être revenir purement et simplement sur cette lignée jurisprudentielle aussi critiquée que délicate.
Voici donc un arrêt qui ne laissera certainement pas indifférent ! La fresque jurisprudentielle commencée en 2006 et complétée en 2020 n’est pas démentie en 2024. Elle continue, certes sur un chemin légèrement dévié, pour aboutir au même résultat final. Le tiers peut invoquer le manquement contractuel dès lors que ce manquement lui cause un dommage. Mais s’il le fait, il doit épouser le contenu contractuel et ne pas reprocher l’application de clauses limitatives de responsabilité stipulées entre les parties au contrat. Ce qui peut être, assez rapidement, problématique pour la réparation de son préjudice. De passionnants débats peuvent, alors, être menés sur la réparation intégrale dudit préjudice. Affaire à suivre !
Bref retour sur une problématique procédurale
Notons un problème de procédure civile qui est enfermé dans la première branche du moyen, plus discrètement étudiée par la chambre commerciale. Le demandeur estimait que la cour d’appel ne pouvait pas modifier le fondement juridique des prétentions sans rouvrir les débats. La cour avait, en l’espèce, demandé une note en délibéré pour que les parties s’expliquent sur l’éventuelle substitution de la responsabilité contractuelle demandée par l’assureur par une responsabilité délictuelle.
On notera que la chambre commerciale a pu recourir à la technique d’un délibéré pluriel puisque la deuxième chambre civile a également pu délibérer sur cette branche du moyen. Il en résulte une solution intéressante au n° 7 de l’arrêt rappelant une position qui semblait parfois incertaine : « Lorsqu’il envisage de relever d’office un moyen et invite les parties à présenter leurs observations dans une note en délibéré, le juge n’est pas tenu d’ordonner la réouverture des débats. » (nous soulignons).
La pratique en sera donc avertie. En soi, la note en délibéré suffit à assurer le respect du contradictoire même s’il est vrai qu’une réouverture des débats permet de préserver le principe de manière encore plus certaine.
Com. 3 juill. 2024, FS-B, n° 21-14.947
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